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Alexandre Eyries
Claude Hagège (2015), L’éthique de l’internet face au nouveau monde numérique. Mais qui garde les gardes ?
1Claude Hagège (2015), L’éthique de l’internet face au nouveau monde numérique. Mais qui garde les gardes ? Paris, l’Harmattan : collection "Communication et Civilisation", 208 p.
2Dans un ouvrage stimulant – structuré en onze chapitres – publié chez l’Harmattan en novembre 2015, Claude Hagège – expert en systèmes d’information dans des établissements publics et privés – souligne fort à propos que « c’est maintenant à l’informaticien qu’est confiée la charge de garder, de sauvegarder, de sécuriser le bien immatériel le plus précieux depuis la seconde partie du XXe siècle : L’information 1 »., illustrant ainsi ce qui fait le cœur du propos de son essai : l’accompagnement déontologique de l’essor du web 2.0 .
Je donnerai tout d’abord une perspective d’ensemble sur ce livre en exposant brièvement le contenu de chaque chapitre, le premier d’entre eux établissant un lien signifiant entre l’exigence éthique et la fondation même d’Internet. Dans le second chapitre, Claude Hagège donne à voir Internet comme un incontournable moyen de communication. Dans le troisième chapitre, il montre que la neutralité oscille entre la nécessité de mettre en place des réglementations et la volonté de laisser libre cours aux interprétations diverses. Dans le quatrième chapitre, l’expert appelle de ses vœux le retour de l’éthique au premier plan des préoccupations des acteurs de l’Internet pour que celle-ci soit un enjeu de progrès véritable. Dans le cinquième chapitre, il considère l’écologie de l’Internet avec un regard plein d’espoir tout en ayant conscience de l’imminence de certaines catastrophes. Dans le sixième chapitre, l’auteur examine à quelles conditions le monde numérique peut être porteur d’une véritable révolution économique, mais aussi politique et sociétale. Dans le septième chapitre, l’auteur constate l’omniprésence des nouvelles forces qui se répartissent entre les actifs et les dominants (comme les fameux GAFA pour Google, Apple, Facebook, Amazon). Le huitième chapitre se pose la question de l’appropriation sociale des nouvelles technologies par les usagers et d’une dialectique numérique accompagnant l’utilisation des dispositifs. Le neuvième chapitre se fait le porte-parole d’un discours de résistance tandis que le dixième chapitre en appelle à la vigilance pour que la transparence proclamée ne nuise pas à l’éthique. Le dernier chapitre se fait l’écho d’une inquiétude relative à la réalité augmentée et à sa capacité à déséquilibrer ou non les perceptions que l’on a du monde qui nous entoure.
Cet ouvrage étant dense et foisonnant, je ne rendrai pas compte de la totalité des éléments qui le composent mais je mettrai l’accent sur ceux qui me semblent les plus signifiants.
L’introduction, très riche (quoique parfois un peu trop technique pour un lecteur non initié) et relativement pessimiste, définit ce qu’est l’éthique informatique à travers « un guide des bonnes pratiques des usages pour une informatique respectueuse d’autrui. Les règles les plus connues sont par exemple : ne jamais pratiquer le piratage, l’engorgement du réseau ou le téléchargement illégal… 2 ». Pour l’auteur, l’éthique consiste à respecter les règles de la vie en démocratie et la transparence consiste à faire connaître et à publiciser autant que faire se peut lesdites règles.
Dans le troisième chapitre, il interroge la neutralité du réseau Internet à l’aune des réglementations et des jurisprudences nationales et internationales. Il souligne la complexité du cadre légal qui entoure le web et expose les éléments concourant à assurer la neutralité du réseau : « la neutralité des réseaux de communication, des infrastructures et des services d’accès et de communication au public par voie électronique garantit l’accès à l’information et aux moyens d’expression à des conditions non discriminatoires, équitables et transparentes3 ». Avec clairvoyance et humour l’auteur montre que tout cela relève beaucoup plus de vœux pieux que de la réalité concrète. En matière d’éthique appliquée à Internet, il existe d’infinis espaces de négociations qui ont bien souvent un substrat fortement politique.
Dans le quatrième chapitre, l’auteur associe l’éthique de l’Internet à un enjeu de progrès sur le plan sociétal et politique. L’éthique constitue dans ce cadre la garantie d’un accès universel et au réseau permettant d’ « éviter les débordements et les excès des plus puissants 4 ». Il montre que ce qui animait les premiers internautes était un esprit libertaire et communautaire qui a donné naissance à la notion de gratuité. Claude Hagège rappelle fort à propos la confusion née, en anglais, entre liberté et gratuité (qui se traduisent par le même mot, freedom) et explique que « l’acte de décès de la gratuité, c’est bien l’explosion de l’Internet 5 ».
Dans la conclusion, l’auteur fait remonter « à juste titre, les prémisses de "l’esprit Internet", à la période post hippie, celle où les communautés voulaient s’entraider, ne souhaitaient plus laisser leur destinée entre les mains des militaires et des financiers 6 ». Il donne à voir l’Internet comme un laboratoire où chacun peut entrer, publier, dénoncer, s’exposer en tête de gondole pour se faire adorer ou se faire détruire à la vitesse de l’éclair. Tout va très (trop) vite, les informations y compris vérifiées se propagent ou disparaissent de façon quasi instantanée. Une dialectique numérique doit donc venir en contrepoint de l’utilisation d’Internet pour exercer un contrôle. Claude Hagège conclut en rappelant que, face aux dérives de l’Internet et des big data, il n’y a qu’une seule et unique façon de résister : l’éducation civique, l’éducation aux (nouveaux) médias. Je ne peux qu’abonder dans son sens et recommander la lecture de cet ouvrage en signalant toutefois qu’il aborde des questions techniques complexes qui en rendent la lecture ardue et sélective.
Alexandre Eyries
Université de BourgogneCIMEOS / 3S
Notes
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