French Journal For Media Research

Julia Morel

Dominique Tiana et alii (dir.), Visages du racisme contemporain : les défis d’une approche interculturelle, L’Harmattan, coll. « Espaces interculturels », 2021, 320p.

1Cet ouvrage prend forme à la suite du congrès de l’ARIC 2019, tenu en juin 2019, à Genève. Issu d’un panel sur les “nouveaux racismes” et leurs impacts à l’international, ce recueil de textes suscite la réflexion, la remise en question et parfois même l’indignation, tout en dévoilant la profondeur et l’étendue des rouages systémiques et médiatiques des systèmes d’oppression, de marginalisation et de racialisation des populations dans plusieurs pays européens et américains.

2Rassemblés en deux parties distinctes, les textes mobilisent en premier lieu les questions théoriques, éthiques et conceptuelles entourant le.s racisme.s, leurs diverses formes et définitions, tandis que la seconde partie explore les enjeux psychosociaux y étant associés. Les auteurs et autrices provenant d’universités nord-américaines, sud-américaines et européennes, proposent des perspectives riches et complexes, liant histoire, politique, et médias afin de comprendre ce qu’est le principe même du racisme et pourquoi ce dernier est multiple (d’où l’importance de parler des racismes), à la fois relevant du conscient et de l’inconscient. Enfin, des études de cas ainsi que des analyses de recherches sont présentées, proposant d’abord aux lecteurs et lectrices de comprendre comment, par qui et de quelles manières sont vécues ces formes des racismes, ou les néo-racismes, et discriminations, puis d’en distinguer les limites afin de proposer des pistes de régulation, de démarcation voire, de solution.

3L’ouvrage propose de penser aux néo-racismes qui ne semblent se définir ni par la couleur de peu, la confession, l’âge, ni la langue parlée, mais plutôt transcender les différences dites “visuelles” afin de soulever des différences subtiles, ancrées dans le passé sociohistorique. En effet, certains écrits soulignent une dissonance entre les avancées sociales, culturelles, économiques et politiques souhaitées et mises de l’avant au sein de certaines sociétés avec la fin théorique et non réelle de l’ère colonialiste. En d’autres termes, les sociétés actuelles évoluent-elles réellement dans un paradigme postcolonial ? Et si tel est le cas, pouvons-nous réellement penser l’identité sans prendre en compte le contexte historique, social, économique et politique du concept même de l’identité ?

4L’ailleurs est ici exploré non comme un autre exotique et intéressant, à la manière de Said dans son Orientalisme (1978), mais plutôt comme une entité extérieure à soi, inconnue et effrayante. Sans réelle forme ni critères définis, l’Autre décrit dans ces textes est ici assimilé à une ou plusieurs personnes qui sont rapportées comme n’ayant pas leurs places, étant illégitimes et à qui la société s’efforce d’accoler de multiples étiquettes tant politiques et sociales qu’économiques. Ces dernières visant à justifier la violente marginalisation et distanciation qui sont faites qui contribuent à leur tour, à créer une dichotomie “nous” versus “eux”, déterministe et déterminante dans le quotidien présent et futur des individus. En ce sens, est évoquée la fermeture, tangible et/ou psychologique, de certaines frontières, entravant l’ouverture à la compréhension et à l’écoute d’une autre réalité.  

5De même, la marginalisation inconsciente de l’Autre semble être une tendance présente dans les recherches effectuées par les auteurs et autrices. Évoquons ici l’utilisation erronée de terminologies provenant du champ lexical de l’immigration relevée dans les médias ou la normalisation de l’utilisation de certains termes à connotation négative dans le langage courant au sein du système éducatif ou de santé. Rappel de la dynamique systémique des violences faites à l’égard des populations migratoires, la polarisation et le rejet effectués par et à travers le langage indiquent ici la négation de réalités plurielles.

6À cela s’ajoute une réflexion sur l’espace, d’abord en tant que milieu où se rencontrent et s’entrechoquent les perceptions, puis à l’espace spatial, soit à la place tangible, accordé à l’Autre. Les auteurs et autrices évoquent ici l’usage médiatique de certaines terminologies ou images, tel que des memes sur des réseaux sociaux ou de champs lexicaux dans les journaux, comme des marqueurs de différences, contribuant à une polarisation de ces dernières et au renforcement passif de stéréotypes. Dans un ordre d’idée similaire, est questionnée la spatialisation des quartiers au sein des villes dites migratoires, soit des villes ayant en leur sein une présence élevée de personnes d’origines variées, et plus spécifiquement l’accès aux services sociaux, de santé et d’éducation. À savoir, peut-on établir un rapport entre la séparation de la ville en quartiers abritant des communautés culturelles et le sentiment d’appartenance, de légitimité et d’accueil ressenti par ces individus, identifiés comme “immigrants” ? 

7D’autre part, cet ouvrage invite le lecteur à se questionner quant aux systèmes dans lesquels il s’inscrit et participe, de manière inconsciente ou non. Les exemples et thématiques abordées prennent place dans divers espaces sociaux, comme mentionnés brièvement plus haut, et géographiques, autant au sein de pays européens qu’en Colombie ou à Madagascar, gage du caractère international des problématiques évoquées. À cela, certains textes proposent des pistes de solutions à implanter dans les réseaux, notamment éducatifs, à travers l’utilisation de terminologies langagières plus inclusives dans le but de contribuer à la co-construction d’un vivre ensemble. Toutefois, cette recherche de solution ne se retrouve que dans une minorité des textes, la plupart dénonçant et décrivant les systèmes sociaux actuellement mis en place. En ce sens, cette proportion minime invite à se demander si les sociétés dans lesquelles évoluent les auteurs et autrices sont réellement prêtes à s’inscrire dans une perspective décoloniale ou si la force politique de l’écriture demeure une des solutions les plus efficaces pour contrer les nombreuses formes de discriminations et de racismes.

8Enfin, la force de cet ouvrage réside en son caractère interdisciplinaire. Les auteurs et autrices rassemblent des théories de science politique, de sociologie, d’anthropologie, d’éducation et de bien d’autres, permettant ainsi au lecteur, peu importe son parcours et son expérience, de s’identifier à ce qui est partagé et de participer à une réflexion collective autour des fondements souhaités pour la société de demain.

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Quelques mots à propos de :  Julia Morel

Julia Morel

Membre associée du Groupe d’études et de recherches axées sur la communication internationale et interculturelle (GERACII) 

 

 

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