L’enfant face à la télévision : réception et enjeu de sociabilité
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1Mots-clés : réception ; télévision ; sociabilité de l’enfant ; influence ; médias.
Résumé : Cet article s’intéresse à l’impact de la télévision sur les enfants, en tant que média prédominant, avec comme cas particulier l’émission L’Ecole des fans diffusée sur 2M. Les notions d’influence, d’identification et d’imprégnation sont cruciales pour la compréhension des enjeux de la consommation du petit écran, surtout en ce qui concerne le développement de la sociabilité de l’enfant.
Mots-clés : réception ; télévision ; sociabilité de l’enfant ; influence ; médias.
Abstract : This article focuses on the impact of television on children, as a predominant media, with the particular case of the program school of fans broadcast on 2M. The notion of influence, identification and impregnation are crucial for the understanding of the stakes of the consumption of the small screen, especially for the development of the child sociability.
2Keywords : reception; television; child sociability; influence; media.
Introduction
3Depuis bien des années, le statut de la télévision (et par la suite, celui des autres écrans comme l’ordinateur, les smartphones, les tablettes, etc.) a suscité bien des débats. Entre invention diabolique, destinée à pourrir la vie et le cerveau de ses téléspectateurs, et création merveilleuse, dotée d’un potentiel inouï, les avis des chercheurs, psychologues et sociologues ne s’accordent pas toujours. L’étude des médias, de McLuhan (1964) et Culkin (1970) à Bourdieu (1990), constitue un champ vaste qui ne peut s’épuiser. Toutefois, et ce malgré l’importance grandissante des écrans dans la vie quotidienne, les études qui s’intéressent à l’influence des médias sur leurs utilisateurs, surtout les enfants, ne parviennent pas à cerner toutes les questions qui s’y rapportent. La tendance majoritaire consiste à évoquer les questions de violence, questions par ailleurs largement vulgarisées. Il est presque impossible de dissocier les études des médias (et de la télévision en particulier) de cette peur-panique, cette méfiance qu’ont à leur égard les téléspectateurs et même les chercheurs.
4Dans le contexte marocain et maghrébin, les analyses et recherches portant sur des programmes locaux ou sur l’utilisation locale des médias se caractérisent par leur rareté. Au cours de la quarantaine et du confinement imposés par la pandémie, nous avons vu comment la télévision marocaine s’est mise au service de l’éducation et de l’enseignement, en diffusant les cours aux programmes, tous niveaux d’étude confondus. Cet usage de la télévision, bien que déjà vu, reste assez inédit : les émissions télévisées ludiques étaient bien parsemées, quelquefois, d’émissions à portée éducative et pédagogique ; mais consacrer autant d’heures à cet effet, voilà qui est nouveau. En même temps, l’émission L’Ecole des fans, présentée par Eko et diffusée sur 2M, a vu le jour, au beau milieu de cette crise du Covid-19. Le site web de Régie3 annonce : « POUR LA PREMIÈRE FOIS AU MAROC ET EN AFRIQUE EN EXCLUSIVITÉ SUR 2M, « L’ÉCOLE DES FANS » SE MAROCANISE. 1»
5Le caractère exclusif et inédit de l’émission est mis en avant, ainsi que sa parenté au concept autrefois présenté par Jacques Martin et diffusé sur Antenne 2, puis, par la suite, sur France 2. Cette émission par et pour les enfants nous a poussé à reprendre pour notre compte des préoccupations qui animent les recherches portant sur la télévision depuis des décennies. Notre problématique est donc la suivante : comment se manifeste l’influence des émissions télévisées sur les enfants en général et plus spécifiquement sur le développement de leur sociabilité ? Et comment ces émissions télévisées destinées aux enfants sont-elles reçues et perçues par les enfants et par les adultes dans le contexte marocain ?
6Nous espérons, par le présent article, apporter quelques éléments de réponse à ces questions qui sont, par ailleurs, d’actualité. Avant de présenter une analyse de contenu approfondie d’épisodes choisis de l’émission, nous aborderons ces questions d’influence et de réception d’un point de vue théorique. Pour répondre à la première question, nous ferons appel à un corpus théorique diversifié, constitué par des études sur les médias, ainsi que des références puisées dans les champs de la sociologie et de la psychologie enfantine. Deux enquêtes viendront compléter cette première partie théorique, l’une auprès de parents et l’autre auprès d’enfants. Elles nous permettront d’analyser la réception de l’émission L’Ecole des fans dans le contexte marocain, et de répondre donc à notre deuxième question.
Les yeux rivés sur l’écran : des préoccupations concernant l’usage de la télévision
7Avant de pouvoir répondre à notre problématique, il est tout d’abord nécessaire de dresser rapidement un état des lieux de la recherche sur la télévision et ses effets au sein de la société. Les inquiétudes entourant la consommation de la télévision par le public enfantin ne datent pas d’hier. Depuis l’invention de la télévision jusqu’à sa démocratisation, de nombreux chercheurs se sont intéressés à l’étude de ce média. Dans ses travaux sur les médias, McLuhan évoque la nécessité de les comprendre, puisqu’ils ne sont qu’un prolongement technologique de l’homme. Pour étudier l’influence d’un média, il faut prendre en considération sa production, sa réception, mais aussi le médium en lui-même, puisque « le message, c’est le médium2 ». Par sa disponibilité et son omniprésence, la télévision occupe donc une place de choix dans les études des médias à travers le monde. Notons d’ailleurs que la majorité des recherches portant sur les médias et les études de la communication sont « en grandes parties américaines3 ».
8Toujours en rapport avec l’état des recherches sur notre thème, nous nous sommes grandement appuyés sur l’article intitulé « Les enfants et la télévision : nouvelles conclusions », de Jacques Mousseau. Ce dernier nous a poussés à étudier profondément les questions abordées par les études des médias (plus particulièrement de la télévision). Avant tout, il faut souligner, comme le fait l’auteur, que l’étude des effets de la télévision se caractérise par des résultats et des conclusions non-définitifs. C’est un champ qui se construit au fur et à mesure. Mousseau rappelle que :
« [...] le média télévision ne peut être comparé, et encore moins confondu, avec les autres médias. Il présente une spécificité que le chercheur qui l’étudie ne doit pas perdre de vue et sur laquelle on insiste insuffisamment : il prend l’individu, il agit sur lui, il le façonne pratiquement dès le berceau. »4
9Ce constat se rapproche de celui de McLuhan, lorsqu’il affirmait que la télévision était le média qui nécessitait le plus l’interaction de tous les sens. Comme nous l’avons déjà dit, la télévision se caractérise par son omniprésence. Elle est même parfois utilisée par les parents comme baby-sitter, moyen de distraction et compagnon des enfants. Ce phénomène est d’autant plus remarquable de nos jours, en comparaison avec les années 70 au cours desquelles l’article de Mousseau a été écrit. Plus encore, la télévision est aujourd’hui plus disponible, si c’est possible : alors qu’avant l’on devait regarder l’émission à une heure précise, il est maintenant possible d’avoir accès en différé à n’importe quelle émission ou presque, sur diverses plateformes (YouTube, Shahid, pour n’en citer que celles qui diffusent des émissions télévisées marocaines). Donc, même si le téléspectateur rate l’heure de diffusion de son émission, il peut toujours se rattraper et la regarder plus tard. Il peut également choisir de regarder d’une traite tous les épisodes disponibles d’une série ou d’une émission précise. Nous constatons alors que la consommation de la télévision et des émissions télévisées, ainsi que le rapport spectateur-télévision, ont beaucoup évolué.
10La télévision a, depuis ses débuts, été reçue avec beaucoup de méfiance. Simples téléspectateurs, spécialistes, critiques et même chercheurs ont été marqués par cette méfiance qui semble traverser la société de part en part. Lin Ross rappelle que :
« [...] l’on aborde rarement le thème des moyens de communication de masse sans poser l’affirmation, euphorique ou inquiète, de leur ‘formidable impact’ sur les institutions, les mœurs et la vie privée des citoyens, la consommation, le développement (qu’il soit dit social, culturel, politique ou économique), sur tout.5 »
11Avec cette question d’influence placée au centre des préoccupations de la recherche, il est étonnant, voire paradoxal, de constater que celle-ci n’est abordée que de manière « utilitaire6 ». La question d’influence est surtout étudiée comme une sorte de critère décisif, en rapport avec la politique et l’économie : influencer pour acheter, pour voter, etc. L’on n’aborde qu’occasionnellement les questions de sociabilités au sein de la famille, et de l’influence de ces émissions télévisées sur les enfants. Même lorsque ces thèmes sont abordés, une division s’opère entre deux courants majeurs de recherche : la sociologie de la famille (ou dans notre cas, de la jeunesse), et la sociologie des technologies. Les recoupements entre ces deux branches sont d’autant plus rares que la nécessité scientifique d’en effectuer se fait de plus en plus ressentir : peut-on aujourd’hui envisager une sociologie de la famille ou de la jeunesse sans prendre en considération les technologies ? La réponse est clairement non, tant ces technologies ont envahi la scène familiale et sociale. Notre problématique répond donc à un réel besoin de la recherche scientifique.
12Pour Baton-Hervé Elisabeth, les enfants sont perçus comme une « page blanche7 » sur laquelle la télévision écrit en encre indélébile. Ils sont par conséquent souvent scrutés par leurs parents, inquiets de les voir absorber, entre autres, la violence représentée au petit écran. Le dossier de la revue Enfances, Familles, Générations reprend cette préoccupation, crainte (peut-être fondée) de voir les écrans connectés venir « bousculer le lien familial8 ». Les pratiques familiales se retrouvent changées et la télévision joue souvent le rôle de fond d’écran, si l’on peut dire, ou d’arrière-plan aux moments familiaux. Plusieurs problématiques, en rapport à la normalité de l’usage (pour être comme les autres), aux dangers et à l’excès sont apparues.
13Un bon nombre d’expériences sociales menées dans ce cadre montrent clairement l’influence de la télévision sur l’enfance. Prenons pour exemple celle déjà citée par Mousseau, avec un groupe d’enfants témoin et un second groupe qui regarde des scènes de violence quotidiennement à la télévision9. Le résultat de l’expérimentation était que les enfants exposés à la violence avaient tendance à banaliser celle-ci, ne sachant plus du tout (ou difficilement) quand il faut appeler un adulte à l’aide. C’est bel et bien un « apprentissage du comportement social10 » que la télévision propose. On peut évoquer ici le concept de l’imprégnation de Wallon : « la personne apprend sans savoir qu’elle apprend ni par conséquent ce qu’elle apprend11 ». L’influence de la télévision dépasse même ce souci d’imprégnation : on peut parler de réels dangers, dans le cas des enfants plus jeunes. Dans son article intitulé « Les effets de la télévision sur les jeunes enfants : prévention de la violence par le ‘jeu des trois figures’ », Serge Tisseront rassemble diverses références et études menées sur la question. Le psychiatre tire des conclusions inquiétantes : la télévision ne favoriserait pas le développement des jeunes enfants ; elle peut même l’entraver. En plus de favoriser le surpoids chez les enfants qui y seraient exposés avec excès, la télévision a des conséquences négatives sur le « développement des possibilités cognitives et du langage12 ». La violence des images ne correspond pas à la définition des images violentes : une image peut stresser l’enfant même si elle n’explicite pas la violence. Elle le perturbe : Tisseron parle d’une théorie du déséquilibre. L’enfant frustré et laissé seul devant un écran cherche une source de réconfort en celui-ci. Comme la télévision n’offre pas ce réconfort, l’enfant devient de plus en plus stressé et, par conséquent, s’attache de plus en plus à la télévision en une sorte de cercle vicieux. Un tableau tiré d’une enquête nationale menée auprès d’enfants et d’adolescents âgés entre 6 et 17 ans13 montre clairement le rapport entre utilisation de la télévision, activités familiales, relations parentales ou à l’école et perceptions de soi. Les enfants qui ont affirmé s’ennuyer à l’école consommaient plus la télévision pendant la semaine, avec un écart de plus de 20% en comparaison avec les non-consommateurs du média. En même temps, ces enfants n'acceptaient pas que leurs parents leur disent quoi faire, avec un écart enregistré entre 10 et 20%, en comparaison avec les non-consommateurs du média. Dominique Pasquier, l’un des auteurs de cette étude réalisée en 1999, en a présenté une autre en 2001. Toujours en rapport avec la place des médias dans la vie familiale, elle s’intéresse cette fois aux clivages sociaux, ainsi qu’aux liens familiaux transformés par l’usage des médias. Pour le cas de la télévision, Pasquier note que :
« […] la consommation moyenne quotidienne déclarée par les enfants de milieu très favorisé est de 72 minutes par jour contre 102 minutes pour ceux de milieu défavorisé. […] L’écart du volume d’écoute est particulièrement fort pendant les jours du week-end, où 40 % des enfants de milieu défavorisé disent regarder la télévision plus de trois heures par jour contre seulement 26 % en milieu très favorisé. Ce qui distingue donc les uns des autres n’est donc pas tant le fait de regarder la télévision, ni même de la regarder souvent, mais de la regarder longtemps.14 »
14L’on comprend que la question de l’influence des médias peut aussi être rattachée à celle des milieux sociaux. Les enfants issus de milieux défavorisés seraient plus exposés à la télévision, et donc à son influence.
15Si l’influence de ce média sur les enfants est indéniable, il ne faut pas non plus oublier que la télévision n’est que ce qu’on en fait. Mentionnons ici qu’un contre-courant était déjà apparu, au cours des années 70, et qu’il consistait à ne plus se demander « ce que les media font ou peuvent faire aux gens15 », mais plutôt « ce que les gens font avec (et aux) media16 ». Dans le cas des enfants, la responsabilité de l’usage de la télévision ne leur incomberait pas : elle incomberait à leurs parents. Ces parents font donc face à un dilemme : tiraillés d’une part entre le besoin de protéger cet enfant-éponge de ce qu’il pourrait accidentellement absorber, et d’autre part entre la peur de faire obstacle à son développement normal, à un moment où les enfants ont de plus en plus accès à toutes sortes d’écrans et de médias. Se pose, dès lors, la problématique du contrôle parental et de la gestion du temps des écrans, un défi qui sera de plus en plus difficile à relever, au fur et à mesure que l’enfant grandit. La première enquête que nous avons citée nous indique qu’environ 42% des mères ont formulé des règles ou des restrictions d’usage en rapport avec la télévision. En revanche, seulement 11% de ces enfants dont les parents réglementent l’usage de la télévision ont répondu ne pas la regarder en cours de semaine, contre 32% qui affirmaient être de gros consommateurs TV en semaine. Cette contradiction reflète parfaitement la difficulté de la réglementation de l’usage de la télévision chez les enfants.
16Finalement, les recherches sur les médias ont progressivement réussi à dépasser cette vision du téléspectateur passif. Bien que les enfants soient effectivement plus fragiles et plus susceptibles d’être influencés, leur interdire catégoriquement de regarder la télévision ne serait pas très productif, peut-être même serait-ce impossible. Au contraire, les parents devraient plutôt encadrer leur usage, afin de s’assurer que leurs enfants ne regardent que des émissions appropriées. L’on devrait également réfléchir à la nécessité d’introduire dans notre contexte marocain (car elle est déjà assez présente à l’étranger) l’étude des médias, qui permettrait de former des téléspectateurs critiques dès le plus jeune âge.
Les enjeux du développement social de l’enfant
17Le dictionnaire Larousse définit la sociabilité comme la « qualité de quelqu’un qui est sociable.17 » Mais que veut dire au juste être sociable ? Que ce soit au sein d’un cercle familial, amical, professionnel ou autre, l’individu est dit sociable s’il est amené à sociabiliser avec son entourage, c’est-à-dire créer des liens et des relations, interagir avec d’autres individus. L’on estime que la nature même de l’être humain le pousse à être sociable, qu’il ne peut s’isoler complètement et cherche toujours à vivre en communauté, en société. Les théories de Wallon concernant la sociabilité de l’enfant affirment que celle-ci est « d’emblée immédiate et totale.18 » Dès son plus tendre âge, le bébé est donc sociable, par les liens qu’il entretient avec son entourage, notamment sa mère. Wallon va même jusqu’à parler d’une « dépendance » à la sociabilité qui, selon lui, freinerait le développement cognitif de l’enfant. Mais qu’en est-il du développement social ? S’il est vrai que les premières relations auxquelles prend part l’enfant se distinguent par leur caractère inné, naturel et primitif, ce n’est pas le cas pour les suivantes. L’enfant sera, en effet, amené petit à petit à sociabiliser avec d’autres individus. Ces interactions sont soumises à un code de valeurs et de règles, si l’on peut dire, qui sont celles de la société, et ne peuvent s’accomplir qu’au sein d’un code qui englobe et régit toutes sortes de communications : la langue.
18De ce fait, le développement social de l’enfant ne décrit pas comment l’enfant devient sociable, mais plutôt comment l’enfant développe sa sociabilité primitive, la nuance et la transforme afin qu’elle puisse correspondre à la société dans laquelle il est en cours d’intégration. L’apprentissage de la langue, qui sera son moyen d’expression principal, est une étape cruciale dans ce parcours. Vient ensuite l’apprentissage de ce code de valeurs susmentionné. Dans son compte-rendu du livre Enfants de l’image, Arnaud-Matech Louis affirme que :
« La famille, l’école, l’environnement immédiat constituaient autrefois les grandes instances de socialisation de l’enfant. Depuis un siècle [...] la littérature enfantine, les journaux et les films pour enfants, la télévision se chargent de plus en plus d’inculquer aux jeunes les idées, les valeurs, les principes d’action de la société. »19
19Ce constat est d’autant plus vrai dans le contexte marocain actuel, avec une augmentation remarquable de l’utilisation des écrans en général. L’inquiétude qui entoure l’utilisation et la consommation du petit écran par les plus jeunes est donc justifiée, surtout en ce qui concerne la question de la violence. La télévision représente un danger lorsqu’elle devient le moyen de développement social principal de l’enfant qui passe plusieurs heures d’affilée devant celle-ci. Cet enfant se fait alors une « image déformée de la réalité parce qu’ [il] la [déduit] du spectacle que [lui] donne la télévision.20 » Nous avons déjà évoqué la question d’influence, à laquelle vient maintenant s’ajouter celle d’identification. Mousseau stipule :
« [...] regardant la télévision, les enfants tendent à s’identifier à d’autres enfants, et à d’autres enfants du même sexe, de la même classe sociale.21 »
20Dans le cas d’émissions télévisées comme L’Ecole des fans, où les enfants sont au centre du discours télévisé, on peut donc réellement parler de cet « apprentissage du comportement social22 ». Ce constat engage d’autant plus la responsabilité des organismes qui produisent et diffusent ces discours télévisés. Ils se doivent d’apporter une représentation assez fidèle de la réalité. A ce moment-là, même en copiant et en prenant modèle et exemple sur ce qu’il voit, l’enfant ne risque pas de se retrouver décalé par rapport à la réalité de sa société. C’est d’ailleurs le problème que rencontrent les adolescents et jeunes qui s’imprègnent de valeurs issues d’un contexte culturel et social différent (européen ou américain, dans le cas des jeunes marocains) et se retrouvent déplacés, se heurtant sans cesse à l’incompréhension, ainsi qu’à d’autres obstacles qui font barrière à leur sociabilité.
21Pour conclure cette section théorique, nous pouvons donc affirmer que les émissions télévisées ont bel et bien une influence (qu’elle soit positive ou négative) sur leurs téléspectateurs, spécialement lorsqu’il s’agit d’enfant en cours de développement social.
22Il est ainsi possible, en théorie, d’exploiter cette influence afin de véhiculer certains messages et comportements sociaux. Reste à vérifier quels messages et quels comportements sont représentés par l’émission qui nous intéresse, et comment celle-ci est reçue et perçue par les téléspectateurs adultes ou enfants.
Analyse de l’émission L’Ecole des fans diffusée sur 2M
Méthodologie
23Cette partie du travail porte sur l’analyse de l’émission L’Ecole des fans, présentée par Eko et diffusée sur 2M. Pour ce faire, nous avons choisi une approche qui se trouve au carrefour de plusieurs méthodes, tentant de suivre celles de Sofia Aslanidou, Evangelia Kourti et Ourania Konstadinidou-Semoglou. Dans leur article « Lecture pluridisciplinaire d'un texte télévisuel », trois aspects sont abordés lors des différentes analyses de la même émission. D’abord, « l’aspect pédagogique23 », avec une analyse du dispositif global de l’émission. Ensuite, « l’aspect psychosociologique24 » qui se penche sur le discours du présentateur. Enfin, « l’aspect psychanalytique25 », qui vise non seulement le discours mais aussi son mode de présentation. Dans notre cas et puisqu’il s’agira d’une analyse de contenu, il n’y aura pas d’isolation du discours. Notre domaine de recherche n’étant pas linguistique mais sociologique, une analyse de discours ne nous semble pas pertinente. Nous nous concentrerons donc plutôt sur l’aspect psychosociologique.
24Notre analyse sera effectuée en trois étapes : un premier visionnage des épisodes, qui nous permettra de faire une idée sur l’émission en général, son déroulement et ses objectifs (d’après le présentateur). Au cours d’un second visionnage, nous allons procéder à une lecture thématique focalisée sur le recensement des mots-clés, les questions du présentateur, qui se répètent, etc. Pour la dernière étape de notre analyse, nous porterons notre intérêt sur les interactions enfants-présentateur, enfants-public et enfants à enfants.
L’analyse
Présentation de l’émission et de l’animateur
25Adaptée de la version française du programme présenté par Jacques Martin, l’Ecole des fans diffusée sur 2M est une émission télévisée faite par et pour les enfants. Avec un total de 13 épisodes, l’émission a été diffusée sur la chaîne 2M chaque samedi en prime time, à 21h40, du 14 novembre 2020 au 6 février 2021. Nous avons étudié l’émission entre les mois de juin et août 2021. Selon des chiffres communiqués par 2M, le premier épisode a été regardé par six millions de spectateurs, enregistrant une part d’audience de 48% : un véritable succès ! L’idée générale de l’émission est de faire parler les enfants l’un après l’autre, devant un public constitué majoritairement d’adultes. L’émission explore les passions, les loisirs et les talents des enfants, dévoilant ainsi des pensées qui sont parfois cachées et inconnues même des parents. C’est une émission familiale de divertissement.
26Pour accueillir les enfants et leur faire la conversation, la production a choisi comme présentateur l’humoriste marocain Abderrahmane Ouaabad, plus souvent connu sous son nom de scène EKO. Eko a fait ses débuts professionnels en tant qu’animateur à la radio, ce qui justifie peut-être le fait de lui confier la présentation de l’Ecole des fans. Il est également acteur, en parallèle à sa carrière de comédien. Ses spectacles connaissent énormément de succès auprès du public, marocain ou étranger. Son rôle au sein de l’émission est d’animer, de donner la parole et la répartie à ses invités (et parfois à l’audience présente sur le plateau), mais surtout de faire parler les enfants, les menant occasionnellement vers des terrains glissants et imprévisibles. L’humour étant le meilleur moyen de divertir et d’assurer le déroulement de l’émission sans heurts, Eko se trouve tout destiné pour le rôle qu’on lui a choisi. Pour ce qui est de l’aspect pédagogique et éducatif, ainsi que de la question de la sociabilité, l’analyse nous permettra de vérifier si l’émission correspond aux attentes du public et des critiques.
Disposition et déroulement typique d’un épisode
27Le plateau visible à l’intérieur du cadre est réparti en 5 espaces différents, en plus d’un espace hors cadre (la loge où se trouve l’invité d’honneur de l’épisode) qu’on ne voit que par le biais d’une projection vidéo. Il s’agit d’une salle de spectacle. Sur la scène, les enfants sont assis côte à côte à droite (pour le téléspectateur), un orchestre est placé à gauche, une zone remplie de cadeaux pour les enfants se trouve au fond, tandis que le milieu de la scène est occupé par le présentateur, ainsi que l’enfant qu’il interviewe individuellement. Le public est à la place qui lui est destinée. Les murs du fond et de la droite sont des écrans de projection où le présentateur demande la projection de vidéos et photos.
28L’émission commence avec la diffusion du générique. Le premier épisode comporte également un bref passage montrant Jacques Martin qui souhaite la bienvenue au public (émission originale), mais l’on ne voit plus cette vidéo par la suite. Le présentateur Eko souhaite à son tour la bienvenue au public et présente l’émission et son objectif, avant de demander aux spectateurs de se joindre à lui pour accueillir les enfants invités. Ceux-ci sont toujours au nombre de 4, 2 garçons et 2 filles. Le présentateur les interroge en alternant un garçon avec une fille, et ainsi de suite. L’âge des enfants se situe généralement entre 3 et 7 ans.
29Le présentateur accueille ensuite l’invité d’honneur de l’épisode (un artiste marocain), avant de l’inviter à rejoindre sa loge privée. Les enfants sont alors amenés à se présenter, et l’animateur leur pose diverses questions. A la fin de leur passage, ils chantent une chanson de leur choix, accompagnés par l’orchestre et occasionnellement par Eko. Au milieu de l’émission, après le passage de deux enfants, le présentateur annonce une brève performance musicale qui n’est pas assurée par l’invité d’honneur, mais plutôt par un autre invité, parfois un groupe musical. Les épisodes durent entre 48 et 52 minutes.
La prise de parole
30La disposition du plateau de l’émission est telle que les enfants sont placés en face des spectateurs face aux spectateurs lorsqu’ils prennent la parole. Celle-ci se fait sous forme d’un va-et-vient entre l’enfant et le présentateur, mais elle est également ponctuée de monologues du présentateur, ainsi que d’apartés entre le présentateur et les spectateurs ou l’invité d’honneur, ou encore l’orchestre. En revanche, les enfants interagissent de manière presque exclusive avec le présentateur. Il arrive qu’un enfant parle avec ses parents ou les fixe, attendant qu’ils lui parlent ou lui soufflent les réponses aux questions posées par l’animateur. Les interactions entre les enfants invités sont extrêmement rares, bien que ceux-ci se promènent parfois d’une manière assez libre sur le plateau, l’animateur est occupé avec l’un d’eux.
31La majorité des enfants s’expriment avec assez d’aisance et de facilité, généralement en arabe dialectal, langue de prédilection du présentateur qui affirme ne pas maîtriser le français. Certains s’expriment en français, ce qui nous a semblé créer un obstacle à la communication comme dans le cas de l’enfant Joud (dans l’épisode 3), par exemple. Aucun enfant ne reste complètement silencieux, même si les débuts sont parfois assez difficiles. Eko se charge de détendre l’ambiance et de rassurer l’enfant en blaguant et riant, instaurant ainsi une atmosphère de confiance et de confort. Dans le même épisode au cours duquel Joud prend la parole, une enfant du nom de Chahd fait preuve d’excellente interactivité, s’exprimant sans problème et sans tabous. Pourtant, la posture adoptée par les enfants est assez intimidante : ils s’exposent, pour ainsi dire, aux regards et devant le regard du public. Même le choix du décor (salle de spectacle) et de sa disposition rappelle une pièce de théâtre. Alors que la présence d’audience réelle peut intimider, nous pensons que les cadeaux placés au fond (apportés par l’invité d’honneur, supposément) servent de motivation aux enfants afin de les encourager à prendre la parole.
32Globalement, l’on peut affirmer que l’émission met en scène un petit échantillon représentatif de la société, avec des enfants issus de milieux différents, d’âges différents et s’exprimant librement. La disposition de la scène et le mode de parole peuvent sembler rébarbatifs pour certains enfants, mais n’oublions pas que le théâtre est l’une des activités préconisées lorsqu’il s’agit d’aider un enfant à se montrer plus sociable et à dépasser, s’il en souffre, sa peur de parler en public. Peut-être faut-il les interpréter dans ce sens.
Codes et valeurs de la société marocaine : l’émission entre subversion et provocation
33Une lecture du rapport d’activités de la SNRT de l’année 201926 nous apprend que les obligations en rapport avec la réalisation d’émissions destinées à l’enfance n’ont pas du tout été remplies (aucune émission n’a été produite). En même temps, la SNRT signalait une diffusion totale d’émissions destinées à l’enfance (entre dessins animés et autres) de 107h au cours de l’année, soit environ 1h tous les trois jours ; contre 1358h d’émissions « fiction et théâtre ». Si l’on croit les statistiques du rapport Les Indicateurs sociaux du Maroc, Edition 202027, les enfants consacrent en moyenne 3h par jour à la télévision. L’écart entre diffusion et consommation nous oblige à poser la question suivante : que regardent les enfants, s’ils ne regardent pas des émissions qui leur sont destinées ? L’on constate une lacune, donc, dans le nombre des émissions télévisées destinées aux enfants : seulement deux programmes (mis à part les dessins animés) leur étaient destinés avant l’Ecole des fans (Nadi al Marah et Atfal ala bal de la chaîne Al Aoula). Nous comprenons que les enjeux sont importants : avec ce vide qu’il faut combler vient la responsabilité du producteur et du présentateur qui doivent proposer un contenu à même de répondre aux attentes et aux besoins du public.
34Si l’émission l’Ecole des fans se présente comme divertissante, l’on peut dire qu’elle reste fidèle à sa description. Toutefois, elle fait l’objet d’une polémique assez nourrie, ainsi que de quelques plaintes soumises à la HACA, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle, comme le rapportent les sites web marocains Yabiladi et 360. Abdelali Errami, président de l’association Forum de l’enfance, critique le programme qui, selon lui, ne véhicule pas des valeurs et une éthique en accord avec l’identité marocaine. De même, trois parlementaires du PJD28 expriment les mêmes inquiétudes.
35Notons que plusieurs internautes sont de cet avis, estimant que les questions posées par le présentateur sont inappropriées et parfois même indécentes. Notre analyse de l’émission nous a permis de relever, quelques dérapages qui pourraient justifier les préoccupations citées plus haut. Tout d’abord, il arrive fréquemment que le présentateur oriente le programme plutôt vers un sketch, s’éloignant ainsi de la visée première et de l’objectif annoncé. Ceci n’aurait aucune incidence si ses blagues étaient accessibles et compréhensibles pour des enfants de l’âge de ceux qu’il accueille. Que ce soit au niveau cognitif ou social, ces enfants se trouvent incapables de suivre le rythme imposé par le présentateur. Nous ne pouvons qu’imaginer que les enfants qui regardent l’émission chez eux éprouvent la même incompréhension.
36L’humour d’Eko s’inspire de thématiques puisées dans la réalité de la société marocaine (l’éducation, les rapports de parents à enfants, la différence entre enseignement privé et public, les femmes et le mariage). Si certaines remarques sont positives, d’autres sont tout bonnement déplacées et connotent une certaine façon de voir le monde. Par exemple, lorsque le spectateur place des petites blagues aux dépens des enfants qui fréquentent l’école privée, il reprend le stéréotype de l’enfant gâté, qui a tout et dont les parents cherchent à satisfaire tous les caprices. Afin de ne pas entériner ce stéréotype chez les enfants, spectateurs et invités, il aurait certainement mieux valu rester objectif. Dans le même esprit, évoquer la gestion financière du foyer (« est-ce que papa donne de l’argent à maman ? ») nous semble poser une problématique qui relève de l’ordre de l’intégration de l’enfant dans la vie des adultes. Si les parents peuvent se sentir gênés devant le public (avec raison, puisque l’émission ne tourne pas autour de leur vie privée mais plutôt autour des enfants), il y a aussi le risque de détruire ce cloisonnement des univers informationnels, qui fait que l’enfant accède graduellement à de nouvelles informations, au fur et à mesure qu’il grandit et intègre l’univers adulte. Le souci qui se pose, dès lors, n’est pas du côté de l’enfant qui participe, mais plutôt de l’enfant-téléspectateur ; il pourra poser des questions parfois embarrassantes à ses parents dont les réponses, surtout, ne le satisferont pas, puisqu’elles échappent à son univers informationnel et donc à sa compréhension et ses capacités d’interprétation. N’oublions pas que la culture marocaine reste une culture où le contact entre parents et enfants obéit à des règles très strictes, notamment en matière de tabous. Ce concept, s’il pouvait fonctionner dans le cadre de la société française plus ouverte, provoque sans surprise des réactions adverses de la part du public marocain, du reste assez conservateur. D’autre part, comme l’ont déjà souligné les détracteurs de l’émission, l’horaire de sa diffusion (21h40), bien qu’il corresponde au prime time, n’est pas approprié pour un public constitué majoritairement d’enfants.
37Enfin, le dernier aspect qui attire particulièrement notre attention est le fait que les enfants sont invités à noter leurs petits camarades après que ceux-ci aient chanté. Si ce geste est en apparence inoffensif, il faut prendre en compte que l’âge des enfants accueillis sur l’émission est assez critique. L’on ne peut demander à un enfant de noter un autre sans que ceci crée des tensions entre eux, un esprit d’adversité et parfois, comme le note le présentateur, d’une envie de se venger en donnant une mauvaise note (épisode 1, « tu verras bien ce qu’elle te fera », après qu’un enfant ait donné la note 5 à Alyae). Le problème qui se pose ici est celui de l’interaction positive : livrés à eux-mêmes, les enfants sont certes capables de se faire du mal, sinon physiquement, du moins psychiquement. Cette remarque du présentateur, faite sur le ton de la plaisanterie, risque de banaliser et peut-être même d’encourager l’interaction négative entre les enfants. Ceci se transmettra bien entendu aux enfants-téléspectateurs qui comprendront que non seulement se venger par une petite réaction négative est tolérable de la part des adultes, mais en plus drôle. L’existence d’une relation de cause à effet entre le visionnage de cette interaction sociale négative et son application dans le quotidien nous semble possible, voire plausible. A supposer que ce principe de notes entre les enfants, qui reprend celui de l’émission originale, ait été intégré dans un souci de fidélité à celle-ci, il faut aussi prendre en considération que le premier épisode de celle-ci date de 1977. La sociologie de l’enfance, de même que d’autres disciplines en rapport avec l’enfance, ont beaucoup évolué. Il fallait donc prendre en considération cette évolution et adapter l’émission au contexte historique et géographique dans lequel elle a été reproduite.
Télévision et réception : résultats d’une étude dans le contexte marocain
Caractéristiques du public et de l’enquête
38L’enquête quantitative que nous avons menée dans le cadre de notre étude portant sur l’influence et la réception de l’Ecole des fans dans le contexte marocain se divise en deux parties distinctes. La première est destinée aux adultes, elle se compose d’un questionnaire avec des questions à choix multiples, fermées, dichotomiques, conditionnelles, filtre, ainsi que de grilles d’évaluation et de questions ouvertes (le questionnaire est disponible en annexe). Nous avons choisi deux modes de recueil des données : en ligne et en personne. Ce choix est plus dû aux circonstances actuelles (restrictions à cause du COVID-19) qui nous ont obligés, dans certains cas, à renoncer à faire un entretien en personne. Nous ne pensons pas que cette différence ait eu d’incidence sur les résultats, puisque les questionnaires remplis en ligne étaient suffisamment détaillés, grâce à la coopération sans faille des parents d’élèves. La partie destinée aux parents a récolté 29 réponses au total (8 sur le questionnaire en ligne et 21 parents d’élèves auxquels on a posé les questions en personne). Environ 75% étaient des femmes. Les femmes sont sur-représentées, ce qui nous laisse croire que les hommes ne connaissent généralement pas les préférences de leurs enfants en matière de télévision et autres écrans. Les mères s’intéresseraient donc plus aux habitudes de consommation télévisée de leurs enfants ; ou peut-être passent-elles plus de temps auprès de ceux-ci. Les résultats du questionnaire en ligne correspondaient à ceux récoltés en personne, nous nous fierons donc aux statistiques des premiers.
39La seconde partie est destinée aux enfants entre 6 et 11 ans. Elle est constituée de questions ouvertes et a été menée de façon directe. L’enquête s’est déroulée dans une classe, chaque enfant étant invité à répondre individuellement, devant le reste de sa classe. Cette manière de recueillir les données a été choisie spécialement : les enfants étaient tous très à l’aise en présence de leurs camarades (qu’ils connaissaient depuis la plus tendre enfance) et de leurs maîtresses respectives. Nous avons choisi le mode oral parce que certains enfants avaient du mal à s’exprimer à l’écrit, pour économiser le temps qu’il aurait fallu pour déchiffrer des questionnaires remplis de fautes. Le mode oral a aussi permis à l’enseignant de diriger l’entretien, évitant ainsi des errements et expliquant aux enfants en cas d’incompréhension. Un total de 14 enfants y a répondu, 9 garçons et 5 filles. Nous avons laissé les enfants s’exprimer librement sans les déranger, ce qui pourrait expliquer cet écart. On peut l’interpréter par le fait que le présentateur de l’émission étant un comédien homme, celle-ci intéresserait peut-être plus les garçons que les filles.
40Pour ce qui est de la représentativité de notre échantillon, il est vrai que le milieu choisi (école privée) peut poser un problème. Ce n’est pas par négligence que nous avons décidé de le favoriser, mais plutôt parce que l’école privée nous a ouvert ses portes. Les difficultés d’accès aux écoles publiques ne nous feront pourtant pas renoncer à l’idée de conduire une prochaine étude à une plus grande échelle, pour les inclure. Toutefois, les élèves de l’école privée n’étant pas toujours issus de milieux favorisés (diverses origines, parents ayant différents niveaux d’éducation et pratiquant différents métiers), nous pensons que l’échantillon est tout de même assez représentatif.
Réception de l’émission « L’Ecole des fans » dans le contexte marocain :
L’Ecole des fans vue par le public adulte
41Concernant les informations personnelles, 50% des parents interviewés avaient 2 enfants, tandis que 25% avaient 3 enfants ou plus, et 25% n’en avaient qu’un seul. 75% de ces enfants correspondaient à la tranche d’âge ciblée (entre 6 et 11 ans). Près de 80% des parents ont affirmé prêter une attention particulière au développement cognitif et social de leur(s) enfant(s) et l’ont décrit comme « ouvert et curieux », contre 20% d’enfants décrits comme « timides et réservés ». Relativement à la question 5, les réponses variaient généralement entre « sans aucun problème » et « neutre », avec 3 réponses « assez difficilement » pour la prise de parole devant une classe ou devant des adultes inconnus. Ceci confirme les statistiques de la question précédente.
42A la question « Avez-vous déjà remarqué que votre (vos) enfant(s) éprouve(nt) des difficultés à s'intégrer, ou des difficultés en rapport avec son/leur entourage ? », 75% des parents ont répondu non, contre 25% ayant répondu oui.
43Pour dépasser ces difficultés, les parents ont préconisé le dialogue, ainsi que diverses activités parascolaires du genre théâtre, sport, etc. 50% des parents affirment que leurs enfants participent à des activités parascolaires. Toutefois, une seule des réponses inclut le théâtre, le reste n’étant que sports et cours de soutien en langues ou calcul mental.
44La deuxième section du questionnaire pour adultes porte sur l’utilisation des écrans. 62% des parents ont choisi «c’est compliqué » lorsqu’on leur a demandé s’ils étaient pour ou contre l’utilisation des écrans. 25% étaient pour et 13% étaient contre. Ceci a montré à quel point le dilemme est grand pour les parents. 75% des enfants avaient accès aux écrans, la télévision étant la plus accessible avec un pourcentage de 100%, suivie de près par les smartphones à 84%. A propos du temps passé devant ces écrans, 62% des enfants regardaient plus d’une heure par jour, et seulement 12% regardaient moins de 3 heures par semaine.
45Il s’agit donc bel et bien d’une consommation excessive des écrans omniprésents dans la vie quotidienne. La majorité des enfants ne s’intéressent qu’aux dessins animés, et 63% des émissions qu’ils regardent sont francophones, contre 25% d’émissions arabophones. Les parents jugent que les émissions télévisées peuvent s’avérer utiles lorsqu’il s’agit de s’ouvrir sur le monde et d’enrichir sa culture générale, mais sont assez inutiles pour tirer des leçons ou des morales, ou encore apprendre à s’exprimer. Les émissions télévisées marocaines sont assez négligées, puisque seulement 25% des enfants les suivent.
46La troisième section de ce questionnaire portait spécifiquement sur l’émission présentée par Eko. La moitié des parents interrogés ne connaissaient même pas l’émission, et 83% n’y ont jamais assisté. Lorsqu’on leur a demandé s’ils pourraient envoyer leur enfant y participer, 66% ont répondu négativement. Ils justifient ce choix en reprenant les mêmes inquiétudes déjà exprimées : l’émission n’est pas assez éducative, elle manque de perspective pédagogique et devrait être présentée par des personnes plus compétentes. Certains parents l’ont même décrite comme « vulgaire et honteuse », estimant qu’elle ne correspond pas aux valeurs de la société marocaine et qu’elle pourrit l’esprit des enfants jeunes et sensibles.
47En somme, l’influence de la télévision en particulier et des écrans en général constitue une question cruciale à étudier, puisque les enfants passent énormément de temps devant ceux-ci. Les parents semblent s’intéresser de près aux habitudes de leurs enfants. Par rapport à l’émission que nous étudions, celle-ci ne semble pas assez connue, malgré les chiffres annoncés par 2M. Elle est assez mal reçue par le public adulte qui déplore la futilité du projet, mais aimerait voir d’autres initiatives du genre, plus abouties.
Point de vue de l’enfant
48Comme la collecte des réponses de cette partie s’est faite sous forme d’interviews orales, il était plus pratique pour nous de les enregistrer afin de pouvoir les retranscrire sans hâte. Toutefois, dans un souci de concision, nous les avons synthétisées pour les présenter en points principaux, comme suit :
-
La majorité des enfants connaissent l’Ecole des fans et la regardent.
-
Ils apprécient l’émission parce qu’elle est drôle et parce qu’elle met en scène des enfants.
-
Les enfants aimeraient rencontrer le présentateur Eko ; ils voudraient être comme lui, c’est-à-dire « connus » et « célèbres ».
-
Seul un tiers des enfants affirme vouloir participer à l’émission (ou à une émission pareille). Tandis que certains déclarent être trop timides pour ça, d’autres rejettent simplement l’idée sans se justifier.
-
Les enfants déclarent s’intéresser uniquement aux dessins animés.
-
Ils éprouvent tous (ou presque) des difficultés à demander le prix à un vendeur dans un magasin, préférant s’appuyer sur leurs parents pour ce genre d’interactions sociales.
49D’emblée, l’on remarque une contradiction entre ces réponses et celles des parents qui ne connaissaient même pas l’émission avant notre enquête. L’idée que les parents se font des habitudes de leurs enfants et de leur consommation des écrans nous semble fondamentalement erronée. Si les enfants préféreraient ne pas participer à l’émission, eux aussi, c’est pour des raisons différentes. Il semblerait que même les enfants ne perçoivent aucune valeur ajoutée à cette émission, qui est simplement drôle et donc divertissante. Un point positif, toutefois : ils la regardent parce qu’elle met en scène des enfants. Nous pourrions donc estimer que le principe d’identification est applicable dans ce cas.
Conclusion
50Notre étude sur les questions de l’influence et de la réception de l’émission l’Ecole des fans nous a poussés à suivre les traces des théoriciens et chercheurs qui nous ont précédés, afin de tenter de cerner notre problématique et d’y apporter quelques éléments de réponse. Nous avons donc vu comment les préoccupations actuelles dataient en réalité du siècle passé, héritage confus dont nous ne nous débarrasserons peut-être jamais. Les inquiétudes concernant les questions d’influence, de violence et d’imprégnation restent d’actualité, avec cette distinction qu’aujourd’hui nous cherchons plus des solutions proactives : introduire l’étude des médias aux niveaux secondaire et collégial, par exemple. Le développement social et cognitif des enfants pourraient bientôt en devenir tributaire.
51Pour ce qui est du contexte marocain, l’analyse de l’émission qui nous intéresse et l’enquête que nous avons effectuée nous ont permis d’apporter quelques éléments de réponse aux questions qui traversent le paysage des émissions télévisées destinées aux enfants. Nous pouvons conclure que l’Ecole des fans n’a pas été reçue favorablement par le public adulte. En parallèle, l’admiration éprouvée par les enfants à l’égard du présentateur semble confirmer la vacuité et la futilité de l’émission qu’ils décrivent simplement comme drôle. Notre idée était d’explorer l’éventualité d’une utilisation des émissions télévisées pour soutenir et favoriser le développement de l’enfant, aux niveaux social et cognitif mais aussi sur le plan de leur scolarité.
52Cette éventualité nous semble fort possible, étant donnée l’appétence des enfants pour les écrans et les émissions télévisées. Cependant, une telle éventualité devrait faire l’objet de recherche approfondie par des psychologues spécialisés dans l’enfance, des pédagogues et des sociologues, afin d’en assurer l’efficacité et le succès.
Bibliography
L’intégralité des épisodes (1 à 12) de l’émission « L’Ecole des fans » consultés dans le cadre de cette analyse se trouve sur le site youtube.com
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Notes
1 http://www.regie3.ma/ecole-fans.php, consulté le 9 juillet 2021.
2 Citation emblématique et souvent reprise de Marshall McLuhan, tirée de son œuvre Pour comprendre les médias.
3 ROSS Linn, Mass Media : quelques problèmes de recherche. In Recherches sociographiques, 12(1), 7–15, 1971, https://doi.org/10.7202/055512ar , p. 5.
4 MOUSSEAU Jacques, « Les enfants et la télévision : nouvelles conclusions », in Communication & Langages, 30, 1976.
5 ROSS Linn, op. cit.
6 Idem.
7 BATON-HERVE Elisabeth, « Les enfants téléspectateurs. Prégnance des représentations médiatiques et amnésie de la recherche », in Réseaux. Communication - Technologie – Société, 92-93, 1999.
8 BALLEYS Claire, et al. « Familles contemporaines et pratiques numériques : quels ajustements pour quelles normes ? » Enfances, Familles, Générations, numéro 31, 2018. https://doi.org/10.7202/1061774ar
9 MOUSSEAU Jacques, « Les enfants et la télévision : nouvelles conclusions », in Communication & Langages, 30, 1976.
10 MOUSSEAU Jacques, « Les enfants et la télévision : nouvelles conclusions », in Communication & Langages, 30, 1976.
11 LURCAT Liliane, « Impact de la violence télévisuelle », in Enfance, 43-1-2, 1990.
12 TISSERON Serge, « LES EFFETS DE LA TÉLÉVISION SUR LES JEUNES ENFANTS :
13 JOUËT Josiane, PASQUIER Dominique. » Les jeunes et la culture de l'écran. Enquête nationale auprès des 6-17 ans. » In: Réseaux, volume 17, n°92-93, 1999. Les jeunes et l'écran. pp. 25-102; doi : https://doi.org/10.3406/reso.1999.2115
14 PASQUIER Dominique. « La place des écrans dans la vie familiale : une enquête sociologique », Le Divan familial, vol. 7, no. 2, 2001, pp. 111-122.
15 ROSS Linn, op. cit.
16 Idem.
17 Dictionnaire Larousse, version en ligne.
18 BLOCH Henriette, « Sociabilité et développement cognitif : leur relation écologique chez Wallon », in Enfance, volume 46, numéro 1, 1993.
19 ARNAUD-MATECH Louis. « Marie-José Chombart de Lauwe, Claude Bellan, Enfants de l'image, 1979. » In: Raison présente, n°61, 1er trimestre 1982. Média et société.
20 MOUSSEAU Jacques, « Les enfants et la télévision : nouvelles conclusions », in Communication & Langages, 30, 1976.
21 Ibidem.
22 Ibid.
23 ASLANIDOU Sofia, KOURTI Evangelia et KONSTADINIDOU-SEMOGLO Ourania, « Lecture pluridisciplinaire d'un texte télévisuel », Communication [En ligne], Vol. 24/1 | 2005.
24 Ibidem.
25 Ibidem.
26 Disponible en ligne à l’adresse http://www.snrt.ma/pdf/Rapport_d_activites_2019_version_WEB.pdf
27 Téléchargeable en ligne à l’adresse https://www.hcp.ma/downloads/Indicateurs-sociaux_t11880.html
28 https://www.yabiladi.com/articles/details/102084/droits-l-enfant-polemique-creee-l-ecole.html, consulté le 9 juillet 2021.
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