Pierre Schill (2018), Réveiller l’archive d’une guerre coloniale : photographies et écrits de Gaston Chérau, correspondant de guerre lors du conflit italo-turc pour la Libye (1911-1912) Grâne, Creaphis éditions, 2018, 480 p.
1L’ouvrage paru aux éditions CREAPHIS en 2018 se compose de deux parties distinctes sur 478 pages en format broché, couverture cartonnée et illustrée.
2Dans cet ouvrage, l’auteur revient sur une série d’archives photographiques dont la découverte a été complètement fortuite. Il se lance ainsi dans une enquête pour décrypter ces photographies. Dans sa quête, l’auteur retrace dans son avant-propos ses différentes rencontres qui ont influencé le choix de présentation du contenu de son livre. De la découverte de la boite qui enfermait les photographies depuis des décennies à la réflexion historique autour de cette archive en passant par les écrits du correspondant de guerre Gaston Chérau et les productions artistiques des artistes rencontrés, l’auteur nous propose un voyage au cœur d’une guerre coloniale peu connue et peu documentée.
3L’auteur revient aussi sur le rôle du député Paul Vigné d’Octon, source des photographies retrouvées et qui s’est emparé de ces photographies en 1914 pour dénoncer la guerre de colonisation française au Maroc et le conflit qui se jouait encore en Libye entre l’Italie et l’Empire Ottoman.
4La première partie de l’ouvrage est consacrée à la thématique historique du livre. Cette partie commence par la présentation des correspondances de guerre du journaliste écrivain Gaston Chérau, avec un reportage photos et des articles publiés dans le journal Le Matin et dans d’autres journaux de l’époque. Une section est également consacrée à sa correspondance privée, notamment celle entretenue avec son épouse durant sa mission de reporter.
5Dans un récit publié en 1926, Chérau fait part de ses états d’âme et de ses ressentis par rapport aux affres et aux horreurs de la guerre dont il a été témoin. Il soulève à cette occasion la problématique de l’inconfort de la position du journaliste embarqué et incorporé aux militaires sur les terrains de guerre, qui se retrouve sous un double contrôle, celui de sa rédaction et celui des militaires.
6Cette problématique nous rappelle celle soulevée par la position des journalistes « embedded » lors de la guerre du Golfe en 1992, où les récits journalistiques des correspondants de guerre ont été relativement influencés par la configuration dans laquelle ils évoluaient.
7Dans cette partie également, sont présentées les 229 photographies en noir et blanc qui retracent différentes étapes de la guerre, elles représentent des scènes souvent violentes, de corps gisant au sol et de charniers creusés par les soldats où sont entassés des dizaines de corps. Nous pouvons aussi voir sur certaines d’entre elles des scènes d’exécution par pendaison, qui témoignent des atrocités de cette guerre. Certaines photographies présentent des scènes de vie quotidienne, des civils dans les villages et des militaires dans les tranchées et sur les champs de bataille, ainsi que des photographies prises dans des hôpitaux et dispensaires.
8La deuxième partie du livre est consacrée à l’interaction entre l’histoire et l’art, c’est là le point original de l’œuvre proposé par l’auteur. Cette dernière réside dans la recherche d’une démarche d’interprétation et d’expression artistique en lien avec l’œuvre historique. Dans cette partie, sont retracés les rencontres qui ont nourri ces productions et le cheminement de l’œuvre historique vers l’œuvre artistique.
9Cette partie s’ouvre sur la contribution d’Emanuel Eggermont, danseur chorégraphe rencontré par Schill lors d’une représentation qui mêlait la photographie à la performance artistique. De cette rencontre naîtra un projet multi-artistique dans lequel viennent s’ajouter les écrivains Jérôme Ferrari et Olivier Rohe auxquels se joint la plasticienne Agnès Geoffray. Chacun de ces artistes a livré selon sa sensibilité une interprétation singulière de l’archive photographique de la guerre libyenne, dont un aperçu des œuvres et des performances est présenté dans les dernières pages de l'ouvrage. L’une de ces contributions a donné lieu à une exposition « À fendre le cœur le plus dur », produite par le fonds régional d’art contemporain Alsace en collaboration avec le centre photographique d’Ile de France. « À fendre le cœur le plus dur » est également le titre de l’essai proposé par Ferrari et Rohe (Inculte, 2015 et Actes Sud coll « Babel », 2017), une réflexion autour des photos de Chérau et de la manière de montrer et de regarder les images de violence extrême. Composé de 109 pages il est illustré par une sélection de photographies issues du reportage de Chérau publié dans l’ouvrage de Schill.
10Un autre ouvrage sous forme de fiction a également été publié par Jérôme Ferrari qui a pour titre : « À son image », paru aux éditions Actes Sud (2018, et coll « Babel », 2020 en format poche). Cette publication nous invite à nous plonger au cœur d’un thriller palpitant, où la photographie est présente et constitue l’articulation principale autour de laquelle les interactions des personnages et leur quête de la vérité se jouent.
11L’apport le plus important de ce livre réside dans la présentation d’une archive photographique rare et précieuse pour la mémoire collective, attestant de faits historiques peu connus et peu documentés. À travers la présentation du travail du reporter de guerre Gaston Chérau et de ses correspondances, nous pouvons constater la prise en compte par l’auteur de la dimension intime et personnelle dans le travail de la documentation historique. L’auteur nous présente également un format original peu commun dans des ouvrages à vocation historique, celui de l’ouverture de la réflexion autour des archives historiques à des disciplines artistiques qui se basent sur l’utilisation d’un outil historique et académique en leur offrant la possibilité de l’interpréter dans une dimension différente.
12L’originalité de la démarche de l’auteur, mêlant faits historiques et interprétations artistiques autour d’une archive photographique, pourrait constituer par contre un frein vers l’accès du grand public à sa publication, faisant de cet ouvrage un livre à destination d’un public averti et sensible aux formes d’arts qui se sont emparés de cette thématique historique.
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