Les femmes dans les médias, questions de discours, de genre, de représentations - entre visibilités et invisibilités. Introduction
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1Ce numéro 11/2019 de la revue French Journal for Media Research intitulé Les femmes dans les médias, questions de discours, de genre, de représentations - entre visibilités et invisibilités appréhende différentes problématiques relatives à la présence des femmes dans les médias. Les articles de ce numéro ont mérite de présenter des contextes nationaux différents et questionnent des formes variées de visibilité et/ou d’invisibilité des femmes dans les médias (presse écrite, audiovisuel, fictions et médias numériques). La place des femmes y est questionnée tantôt du point de vue paritaire avec les hommes et tantôt du point de vue des discours médiatiques et des représentations féminines. Quelle est la place du discours féminin médiatisé ? Quel est le champ médiatique représenté par les femmes ? Quelles sont les prises de pouvoirs endossées par les femmes dans la sphère médiatique ?
2Ces questions soulevées par les contributions de ce numéro représentent des axes de réflexion majeurs quant au positionnement des femmes dans le champ médiatique selon différents contextes politiques, culturels, sociaux et géographiques. L’ensemble des articles soumet à l’étude l’influence des femmes sur les prises de décisions. Les inégalités de représentation entre les femmes et les hommes dans les médias questionnent intrinsèquement celles issues du milieu professionnel souvent décriées en termes de salaires, de positions hiérarchiques... Cette prise de conscience générale s’est traduite dans certains pays, par des plans stratégiques et politiques en faveur de la promotion de l’égalité femmes-hommes dans les structures sociales, dans le monde professionnel et quelquefois dans les médias.
3Le genre féminin est souvent sous-représenté et/ou mal représenté dans les médias. Ce constat est accentué dans la plupart des pays africains comme l’indique à juste titre Marcel Bagare dans son article intitulé « Socio-anthropologie du rôle et de la place des femmes dans trois quotidiens au Burkina Faso ». En citant le Rapport annuel de l’UNESCO (2017), l’auteur explique que sur un échantillon de 200 journalistes recensés dans la zone subsaharienne, seuls 30% sont des femmes. Ce constat du continent africain questionne indéniablement le rôle et la place de la femme dans les différentes sphères personnelles et professionnelles au prisme du contexte social, culturel et historique. La réflexion de Marcel Bagare repose sur l’analyse de trois quotidiens de la presse écrite au Burkina Faso. Il questionne les orientations politiques nationales en faveur des inégalités femmes/hommes dans l’emploi et le rôle des femmes dans les prises de décisions quant aux choix des contenus de ces trois journaux. L’article de
4Catherine Cassara, Lara Lengel et Victoria Ann Newsom, s’inscrit dans le même axe de réflexion. Intitulé « Transcender l'essentiel et les stratégies discursives d'in/visibilité: politique d'intégration du genre et des femmes palestiniennes dans les médias », l’article a abordé les défis de l'invisibilité des femmes palestiniennes dans les médias d'une façon générale tout en s'intéressant au statut particulier des femmes journalistes et à l'absence d’opportunités d'accès à des rôles de leadership. L'étude, étalée sur quatre phases de 1967 à 2018, s'est basée sur les théories de Foucault et de Newsom, relatives respectivement, au confinement professionnel et aux restrictions du processus d’empowerment des femmes. Les auteures ont observé un contraste flagrant entre l'évolution des stratégies de l'équité de genre dans un contexte global et le contexte local marqué par les contraintes du colonialisme, les stratégies politiques discriminatoires et les activités de recherche peu intéressées par les questions de genre. Même lorsqu’elles s’inscrivent dans des logiques volontaristes de l’équité sur la base du genre social, les stratégies politiques combinées aux stratégies médiatiques présentent un terrain d’exploration intéressant.
5A travers son article intitulé Féminisme d’État et discours médiatiques sur les femmes : entre modélisation et absence de l’altérité, Racha Mezrioui émet l’hypothèse d’un parallèle entre un féminisme d’État en Tunisie et la construction médiatique de l’image des femmes à travers l’analyse de fictions télévisées et d’un blog national. Dans le contexte actuel tunisien, dont les contours politiques sont en perpétuelle redéfinition, cet article présente une réflexion autour de la question du féminisme et des représentations des images des femmes projetées dans les médias nationaux. Sur un autre plan, certains chercheurs et certaines chercheures avancent que ces images sont partiellement construites à partir des représentations des femmes- acteur(e)s à l’intérieur du champ médiatique.
6Tel est le résultat auquel Nabila Bouchaala, auteure de l’article « Femmes journalistes en Algérie, quelle appropriation de la fonction symbolique des médias ? » a abouti. Elle part du constat que les femmes sont de plus en plus nombreuses à traiter des questions politiques pour proposer trois axes de réflexion : la trajectoire professionnelle des femmes journalistes, leur structuration et la représentation qu'elles se font des différentes rubriques, et plus particulièrement la rubrique politique. Au moyen d'une enquête qualitative par guide d'entretien semi-directif, Nabila Bouchaala a pu interroger le vécu professionnel et personnel de treize femmes journalistes exerçant dans dix journaux publics et privés algériens. Elle a pu observer que les modes de fonctionnement du champ journalistique, essentiellement la structure des relations au sein des rédactions, définissent le rapport de genre. Ceci étant, l'attitude de « la femme journaliste » et le degré de son engagement dans les luttes professionnelles peuvent être déterminants dans ce type de représentations.
7Au-delà du vécu professionnel des femmes journalistes, l’engagement peut être questionné à partir du contenu médiatique, spécifiquement dans le traitement de certains thèmes reconnus par différentes études comme étant des terrains où s’exerce une forte discrimination sur la base du genre. C’est le cas de la violence. Sarah Sepulchre traite la délicate question de « la médiatisation paradoxale des violences à l’égard des femmes dans la presse quotidienne belge francophone » selon une analyse de contenu de la couverture médiatique nationale. Le paradoxe souligné par l’auteure relève du contraste entre la quantité des articles publiés autour de ce sujet et le manque de profondeur dans l’analyse et la réflexion qui devraient inviter une expertise davantage féminine. Selon les résultats de l’auteure, les violences à l’égard des femmes sont très souvent traitées en tant que faits divers et la couverture médiatique repose largement sur une « invisibilisation des femmes » avec des procédés journalistiques de dé-personnification des victimes.
8Les espaces présentant des potentialités de traitement en profondeur des questions relatives au genre tendent à se réduire dans la presse écrite, renforçant les formes d’invisibilité des femmes. L’article de Marilou Tanguay intitulé « Analyser le quotidien Le Devoir au prisme du genre. La page féminine, un lieu de militance féministe (1965-1975) » s’intéresse à la presse généraliste quotidienne québécoise. L’auteure examine particulièrement les pages consacrées principalement aux femmes. Son article traite des stratégies de visibilité des discours féminins à partir des espaces journalistiques dédiés aux femmes et pourtant abolis en 1971. Elle affirme que la page féminine du journal québécois Le devoir représentait un « lieu de conscientisation de la diversité des expériences des femmes » et se positionnait en outil de contenu de contre-discours des représentations stéréotypées des femmes dans les médias. En comparant cette page au contenu généraliste du journal Le devoir, l’auteure affirme que cette section destinée aux femmes permettait un contenu journalistique à destination des femmes plus diversifié et moins stéréotypé.
9Les nouvelles technologies et essentiellement les médias sociaux peuvent-ils présenter une alternative diffusionniste de l’expression féminine ? Comment attirer l’audience des nouveaux médias ?
10Dans la contribution d’Anne-Sophie Gobeil intitulée « La gestion des médias sociaux comme espace de reproduction des rapports genrés », l'auteure adopte une démarche ethnographie pour questionner le rôle du genre dans la construction et le ciblage de l'audience dans la gestion du site web et des articles publiés sur Facebook du Journal du Québec. En fonction des audiences que l'on cherche à atteindre, les rédactions choisissent de diffuser des contenus considérés comme "féminins" ou "masculins". L'auteure s'interroge " dans quelles circonstances rejoint-on une audience plus « féminine » ou « masculine » ? Avec quels types de contenu et pour quelles raisons ?". Cette contribution se distingue par une approche doublement originale. D'un côté, elle se saisit des pratiques de l'information et des réseaux socio-numériques (RSN) du point de vue des professionnels et non de celui des usages et de la participation souvent étudiés. De l'autre côté, elle questionne ces pratiques professionnelles au prisme du genre suscitant ainsi un nouveau regard sur les pratiques numériques des professionnels de l'information.
11Le troisième cas d’étude de la presse québécoise dans ce numéro spécial relatif aux femmes et médias, est axé sur les rapports entre les médias et les femmes politiques à l’échelle locale.
12L'article de Caterine Bourassa-Dansereau et Marianne Théberge-Guyon traite de « la place des candidates aux élections municipales dans les médias écrits du Québec : représentativités et représentations médiatiques différenciées selon le genre ». Les auteures constatent que la presse écrite communautaire et privée est l'un des principaux obstacles aux aspirations des femmes à assumer des fonctions politiques. Les auteures se sont basées sur les résultats quantitatifs d'une étude relative aux représentations médiatiques des femmes candidates lors des élections municipales de septembre 2017 pour attester que "la couverture du monde municipal est plus genrée que celle des autres sphères politiques".
13Les formes de visibilité et d’invisibilité des femmes dans les contenus médiatiques hors du champ journalistique présentent de nouvelles perspectives de lecture et d’analyse basées sur l’approche du genre social. Deux terrains de recherche nous sont proposés, en l’occurrence les dessins animés et les fictions télévisuelles.
14Dans l’article intitulé « Les hors-la-loi ne sont pas des femmes : Ma Dalton et Calamity Jane dans les séries animées adaptées de Lucky Luke des années 1980 à 2010 », Mélanie Lallet questionne la façon dont les dessins animés français ont mis en scène le féminin (et le masculin) depuis l’animation des débuts à l’époque de l’ORTF, jusqu’à aujourd’hui. L'auteure procède à l’analyse des représentations des figures féminines dans les séries animées Lucky Luke et explore particulièrement les masculinités populaires incarnées par Calamity Jane et Ma Dalton dans les séries animées adaptées de la bande dessinée Lucky Luke (1984, France 3), Les Nouvelles Aventures de Lucky Luke (2001, France 3) et Les Daltons (2010-2013, France 3, Canal+ et TéléTOON+). La trajectoire des figures féminines incarnées par les personnages de Calamity Jane et Ma Dalton illustre la tension inhérente aux industries culturelles entre un conformisme provisoire et la nécessité d’un renouvellement permanent des représentations proposées. Les reprises successives finissent par revaloriser les anciens personnages féminins. Toutefois "leurs performances de genre contre-stéréotypiques demeurent ambivalentes : teintées d’humour, elles sont tantôt connotées positivement, tantôt négativement."
15L’article de LaetitiaBiscarrat intitulé « le traitement médiatique du travail du sexe dans la série française Pigalle la nuit », pointe le déplacement de la question du travail du sexe de la sphère informationnelle à la sphère fictionnelle et s'intéresse à la nature du traitement qui lui est accordé. Elle étudie les représentations genrées découlant de Fleur et Emma : deux personnages féminins de la série télévisée Pigalle la nuit. L'auteure se base sur une analyse sémio-narrative de huit épisodes de la série. En pointant l'aspect genré des productions culturelles, l'auteure montre le poids de la masculinité dans les mécanismes de monstration et de visibilité. Elle pose la question de la libre disposition du corps et les revendications féministes exprimées par l'un des personnages, tout en montrant l'ambivalence dans les discours et les représentations véhiculées.
16Les différentes contributions présentées dans ce numéro reflètent des regards croisés sur une question exploitée sous différents aspects, dans une perspective pluridisciplinaire et dans l’objectif d’apporter des éclairages méthodologiques et pratiques sur le thème médias et genre.
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