French Journal For Media Research

Vindicien V. Kajabika

Réseaux sociaux numériques et nouvelles dynamiques de médias : quand la fiction vogue entre nouveauté et recyclage
Cas de la fanfiction. Analyse du genre médiatique : de la production à la diffusion numérique

Résumé

De nos jours, d’importantes et étonnantes évolutions sont enregistrées dans l’univers médiatique depuis l’avènement des médias en ligne. Parmi celles-ci, l’émergence et le développement de la fanfiction dont la nature, le fonctionnement et la socio-économie présentent une particularité non-négligeable ne pouvant laisser aucun analyste médiatique indifférent. C’est donc pour comprendre ses origines, son fonctionnement et le ou les modèle(s) socio-économique (s) en vigueur dans la production et la diffusion de la fanfiction, dans l’ultime but d’en appréhender les innovations ainsi que l’impact, que cet article puise dans sa genèse et son déploiement en vue de tenter de saisir sa quintessence et son apport dans la société aussi bien des médias que des hommes, en général.

Abstract

Since the advent of online media, developments recorded in the media universe didn’t cease to amaze. The number of these developments, the development of fan-fiction whose nature, functioning and socio-economics have a characteristic cannot leave no indifferent media analyst. Therefore, to understand its origins, its operation and the socio-economic model in force in the production and dissemination of fan-fiction, in the ultimate goal to understand the changes and consequences, this article draws from its genesis and its deployment in an attempt to capture its essence and its impact on society as well the media, in particular, and human society in general.

Texte intégral

Introduction

1Les TIC, à partir desquelles on peut dorénavant affirmer que la production et la diffusion des fanfictions ont été rendu possibles et favorisées, sont un acronyme, principalement utilisé dans le monde universitaire, pour désigner le domaine de la télématique, c’est-à-dire les techniques de l’informatique, de l’audiovisuel, des multimédias, d’Internet et des télécommunications qui permettent aux utilisateurs de communiquer, d’accéder aux sources d’information, de stocker, de manipuler et de transmettre l’information sous toutes ses formes, qu’elles soient textuelles, musicales, soniques, imagées, vidéographiques ou en interface graphique notamment.

2Aujourd’hui, plus qu’hier, ces technologies de l’information et de la communication ouvrent des problématiques résultant de l’intégration de ces techniques au sein des systèmes institutionnels, reprenant notamment les produits, les pratiques et les procédés possiblement générés par cette intégration. A tel point que si on se réfère à l’impressionnante quantité d’innovations et/ou de nouveautés parmi les apports favorisés par les TIC au sein de la société contemporaine, la fabrication, l’appropriation et la diffusion de l’information par les consommateurs anonymes et amateurs, des publics considérés encore hier comme passifs et inactifs, au travers principalement et notamment des médias en ligne, en occuperait une place prépondérante. Ce, alors que selon le fonctionnement des médias traditionnels, et plus particulièrement et notamment des livres, du cinéma et  de la télévision,  média audiovisuel central des foyers de ces cinquante dernières années (Wolton, 1982), la fabrication ou la production et la diffusion de l’information -audiovisuelle- étaient jadis -et est encore aujourd’hui pour la majorité de cas- d’ailleurs réservées ou confisquées par une catégorie (socio-professionnelle) spécifique d’acteurs, du reste légitimés, au service d’une ligne éditoriale fixée par la puissance financière et politico-économique qui détient le droit permanent de diffusion médiatique.

3Parmi ces innovations et pratiques nouvelles nées des TIC, on notera sans aucun doute notamment les web-séries, les webséries1 et les fanfictions. Leur multiplication et la diversification enrichissent et renouvellent le paysage audiovisuel mondial. En restant focalisé sur les fanfictions, il y a lieu de se demander dans quelle mesure elles apportent une dynamisation du paysage audiovisuel médiatique de la société. A l’aune de sa production et sa diffusion, on pourrait, par ailleurs, se demander en quoi consiste sa socialisation de la fiction, tout en « fictionnalisant » la société ? Cette question constitue le fil conducteur de cet article.  Je formule l’hypothèse suivante, pour répondre à cette question : « La conception, la production et la diffusion de la fanfiction conduirait à la socialisation de la fiction. Cette socialisation requérait de l’ancrage et de la popularisation qui occasionnerait la virtualisation de la société, et plus particulièrement celle des fans. »   

4Pour commencer, il me semble prioritaire de définir ce qu’est une fanfiction, afin d’éclairer la lanterne sur le développement suivant dont l’essentiel tournera respectivement autour des questions de sa production et sa diffusion ainsi que de nouveaux acteurs médiatiques arrivés dans le paysage par la force du développement des TIC, en général et de ce genre, en particulier. Je procèderai par une analyse documentaire associée à une observation participante couplée à une méthode comparative afin d’évaluer les avancées ou évolutions occasionnées par ce média en comparaison avec la télévision classique. Sans négliger les autres types de fanfiction, je m’appuierai essentiellement sur les fanfictions en ligne. Je ne viserai aucun produit spécialement.  

5Quid d’une fanfiction : tentative définitionnelle

6On appelle fanfiction, ou fanfic (parfois écrite fan-fiction), tout récit que certains fans écrivent pour prolonger, amender ou même totalement transformer un produit médiatique qu'ils affectionnent, qu'il s'agisse d'un roman, d'un manga, d'une série télévisée, d'un film, d'un jeu vidéo ou encore d'une célébrité (François, 2010 ; Martin, 2007, p. 186-189 ; Chawki, 2009, p. 183).  

7Comme genre de recyclage, une fan-fiction peut donner lieu à trois types, à savoir :

  • Un canon : C’est un type qui résulte d’un développement des thèmes classiques du scénario d’origine ;

  • Une suite : Elle est un produit obtenu par continuation de l’histoire déjà racontée ;

  • Un prologue : Il est un genre consiste à dévoiler l'origine ou encore « combler les béances du scénario » (Bruster, Weimann, 2009).

8Écrire une fanfiction permet au lecteur ou à l’internaute de mettre en scène ce qu'il aurait souhaité trouver dans l'œuvre d'origine. Les fanfictions sont souvent centrées sur les personnages : elles explorent en profondeur leur psychologie, mettent en scène les relations qu'ils entretiennent entre eux, ajoutent ou approfondissent des romances, mettent en valeur des personnages secondaires, introduisent de nouveaux personnages dans la trame. Elles peuvent aussi s'approprier l'univers inventé par un (ou des) auteur(s) en le développant ou en l'utilisant pour y faire jouer uniquement des personnages inédits ou eux-mêmes (Martin, 2007, p.186-189). C’est ce qu’on qualifie de self insert.

9La fanfiction : un vent de liberté à travers un genre médiatique en ligne ?

10A partir de cette observation sous-tendant la description essentielle de la fanfiction, il y a lieu de se demander quelles sont les éléments qui accompagnent et caractérisent la production et la diffusion des fanfictions et qui permettent de les différencier des médias classiques en général, et la télévision en particulier ? De prime abord, il apparaît, à l’aune de leur fonctionnement, que les fanfictions sont accompagnées et régies par une grande liberté de publication, l’anonymat possible, l’écriture à plusieurs et l’absence de recherche du lucre notamment. Cette précision est capitale. Je voudrais analyser chacun de ces différents types évoqués ici dans le but de baliser au maximum la zone dans laquelle se déploie cette notion. Il s’agit de :

La liberté de publication 

11La première chose méritant, à mon avis, d’être relevée lorsqu’on évoque la question de la production et de la diffusion des fanfictions est l’exercice réel de la liberté, dans tous les sens du terme. Il s’agit de libertés d’expression, d’action, de pensée mais aussi un exercice libre et libéré des partages de convictions, des traditions. Les consommateurs médiatiques, placés dans la catégorie des publics, se partagent le droit et la liberté de vivre en symbiose et en harmonie. Ce climat est différent de celui en vigueur dans la presse appartenant ou contrôlée par des puissances financières et politiques, acteurs souvent à l’origine de certaines contraintes, obligations et exigences apparaissant autrement comme des règles vitales régissant le fonctionnement de ces médias.

12Dans un environnement où la régulation la plus remarquable est basée sur le respect de l’autre et de la différence, les individus (physiques et/ou morales) partagent en toute mutualisation, toute solidarité et harmonie notamment leur façon de vivre, d’agir et de faire sans aucune prétention de supériorité, pour une hiérarchie ou subjugation quelconques de qui ou quoi que ce soit. Ici, dans la production et la diffusion de la fanfiction, la norme est le respect de l’autre, l’égalité de tous, l’amour de la collectivité, l’humilité et le partage désintéressé. Tout le reste est richesse à partager sans imposer, à inspirer sans subjuguer, à construire et à enrichir sans extorquer…

13Dans ce climat où la liberté de publication est donnée à tout le monde qui se sent capable de publier quelque chose, contrairement à l’environnement des médias classiques plus oppressant et normé, imposant et colonisant, la société d’acteurs de la fanfiction n’est pas séparatiste ou ségrégationniste. Tout le monde y a les mêmes droits, privilèges et devoirs. Il est plutôt comme un village où tout se partage et se discute pour se mettre d’accord au moyen d’un consensus, à partir du moment qu’il n’y existe ni un pouvoir imposant, ni un leadership prétentieux. La collégialité semble le mode de gestion des affaires et de partage de compétences. Ceux qui ont quelque chose à donner ou à partager aujourd’hui ne sont pas forcément ceux qui joueront ce rôle demain : à tour de rôles, les individus se relayent dans la gestion des responsabilités dès lors qu’ils ont des compétences ponctuelles à partager et, en même temps, l’humilité de savoir que les autres individus peuvent avoir quelque chose à leur donner pour enrichir leur idée ou proposition de départ. La communication y est horizontale ; et la société se mue en permanence en une structure sans forme fixe définitive qui change selon la mouvance de ses sociétaires, les individus qui décident de se lancer dans la réécriture du récit du produit initial au gré de leurs sentiments, convictions, intérêts, préférences ; lesquels intérêts et préférences qui ne sont pas censés être en contradiction avec les intérêts de la collectivité (Chawki, 2009 ; Martin, 2007).

L’anonymat possible 

14A contrario de ce à quoi on assiste dans le paysage audiovisuel classique, les médias en ligne et l’univers de la fanfiction sont dominés quasi-exclusivement par des acteurs non professionnels qui exerce leur activité communicationnelle sans nécessairement poursuivre un idéal financier spécifique. Fort de cet état des choses, les acteurs de la production et de la diffusion des fanfictions ne se trouvent pas d’intérêt particulier à se médiatiser pour un symbole fort intéressant de la marchandisation ou de la marque de leur produit, dès lors qu’il n’y subsiste aucun affairisme notoire au sein de cette activité de production et de diffusion fan-fictionnelles. C’est cela qui explique notamment l’anonymat caractéristique des acteurs de ce monde et qui pourrait se généraliser dans tout l’univers des fanfictions, car tout celui qui se sent inspiré peut écrire ou modifier un récit ou un personnage selon sa propre vision, sans que cela nuise à la prospérité de cette activité communicationnelle ou aux droits d’auteurs notamment. Apparu comme tel, cet environnement d’acteurs se distingue radicalement de celui des médias classiques au sein desquels la starisation et la célébrité, en général, sont les astuces d’une grande marchandisation économique des produits culturels (Moeglin, 2005 ; Bouquillion, Combès, 2007 ; Kajabika, 2011).

L’écriture disruptive 

15Comme analysé précédemment, on peut facilement se rendre compte que l’activité de l’écriture, production ou diffusion des fanfictions ne connaît pas de concurrence déloyale. Y est à l’œuvre une collaboration conviviale de tous les acteurs des fanfictions qui, au lieu de combattre, se soutiennent, se complètent, se rassurent et se tiennent la main dans la main pour se rafraîchir et s’inspirer mutuellement. C’est dans cette optique que l’écriture des récits s’écrit souvent à plusieurs afin d’enrichir des scénarios pouvant intéresser les spectateurs, le public dans la mesure qu’ils s’inspirent de l’habitus, dans l’entendement de Pierre Bourdieu (1979). Ce mode de création et de récréation, au sein de la communauté apparente est aussi considéré par de nombreux auteurs comme un moyen d’apprentissage de l’écriture, de l’autodidactie efficace et de développement de l’imaginaire individuel et collectif.

16La liberté de publication, l'anonymat possible (Black, 2007), l'écriture à plusieurs ou disruptive (Black, 2008) et l'absence de recherche de profit permettent de traiter de thèmes qui empêcheraient l'histoire de correspondre à un créneau commercial défini ou qui seraient impropres pour une œuvre destinée à un grand nombre ou à un jeune public. Ce mode de création, souvent au sein d'une communauté apprenante, est aussi considéré par de nombreux auteurs comme un moyen d'apprendre à écrire (Blasingame, 2010), de développer l'imaginaire individuel et collectif (Boucherit, 2012).

17La fanfiction et son rapport à la culture populaire

18D’après Henry Jenkins, directeur de l’Institut de technologie de Massachussetts, la fanfiction, considérée par certains comme une revanche de l’écrit sur l’audiovisuel, est un mode d'expression issu de la culture populaire. Elle apparaît, d’après E. Burns et C. Webber (2009), telle qu’une manière pour la culture de réparer les dégâts commis dans un système où les mythes contemporains sont la propriété des entreprises au lieu d'être celle des gens (Davies, 2005). 

19Je vais prendre l’exemple du Japon. Les fanfictions y sont très répandues (surtout pour les animations, connues sous la forme de dōjinshi). Elles y existent pour les jeux vidéo où les personnages sont souvent considérés comme très charismatiques. La pratique de l'écriture ou de la lecture de fanfiction y est souvent fortement communautaire. L'aspect d'apprentissage et d'entraide y est particulièrement présent, voire prédominant. La communauté y joue aussi un rôle éminemment et notamment pédagogique de groupe d'écriture en ligne (Gabas, Aliette, 2014 ; Grazzi, 2012).

20En effet, ces lieux de rencontre, et par conséquent de socialisation, autour d'une passion commune, sont propices à une forte solidarité et encouragent l'investissement personnel en faveur des autres fans (Jamison, 2013). Ils sont considérés à raison comme des espaces d’affinité dans lesquels se tissent des rapports de valorisation mutuelle, personnelle et collective, en surfant pour les uns et les autres vers une communauté de biens, des valeurs communes, de coopération et mutualisation. Bref, ces lieux sont des espaces de la valorisation du destin commun, du rêve et de l’illusion de bien-être, donnant à penser que toutes les réalités heureuses et malheureuses pourraient désormais se traduire en une illusion de rêves magnifiques, un véritable conte de fées écrit par et pour toute la société en mouvement, en liberté d’action et de réaction conviviale (Hale, 2005).

21En mutualisant les énergies, les imaginations, les innovations ainsi que la communication, entre autres, par cette sorte de magie de partage solidaire et équitable, dans un partenariat gagnants-gagnants, la société fan-fictionnelle promeut un nouveau mode de vie permettant de valoriser les compétences de tous, peu important l’âge, le sexe, l’origine, la catégorie sociale, la catégorie professionnelle, le revenu, la localisation, etc. (Hale, 2005).

22Cette extension de forme et d’intérêts communs dans un milieu d’expression de la fanfiction explique l’immatérialité fictive de la société pourtant réelle, à force d’épouser des formes aussi bien distinctes et qu’instantanément changeantes ; formes mutantes dictées par une fluctuation dynamique et favorable d’intérêts de la communauté d’humains régie par l’exercice de la fanfiction interactive.

23Les formes d'interaction entre les fans sont multiples. Il y a lieu de remarquer, entre autres, que les profils des auteurs sont souvent une forme de dialogue à l'intention des lecteurs (Lee, 2004). De même, ils mettent souvent des notes en marge de leurs chapitres pour demander à ceux qui les lisent ce qu'ils ont pensé de l'histoire ou pour les engager à donner leur avis sur la suite à donner à l’intrigue, au scénario ou aux rebondissements.

24C’est comme si le besoin de l‘autre est déterminant dans l’évolution de l’intrigue que met en place un auteur de fanfiction. La critique, toujours constructive dans ce cas, est la clé de voute de la réussite de cette nouvelle façon de vivre des fans et auteurs autoproclamés des fanfictions.

25Les sites de publication prennent en compte cette volonté de contact en permettant aux lecteurs de poster un commentaire, un feed-back ou une revue, en vue d'encourager l'auteur ou de lui faire part des critiques ou suggestions sur son texte (Lee, 2004). Il est d'usage que ce dernier y réponde pour remercier les lecteurs de leur soutien ou réagir à leurs remarques.

26La forme en feuilleton des histoires est également idéale pour maintenir des relations sur plusieurs mois entre celui qui écrit l'histoire et ceux qui en attendent les mises à jour. L'influence des lecteurs peut agir avant même la publication : afin d'éviter de laisser des fautes d'orthographe ou des incohérences de scénario, il n'est pas rare que le texte soit relu par une autre personne fréquentant le site appelé un bêta-lecteur, avant d'être publié. Ce travail collaboratif permet d'améliorer la qualité et la richesse des fans-fictions (Lewis, 2004, p. 3-4).

27Il est également crédible de noter qu'à l'inverse du monde des grands médias traditionnels dont notamment Wikipédia, Google et autres dont la communauté est majoritairement masculine, aux dires de Y. K. Liu, X. P. Zhang, Y. N. Yan. et T.Y. Huang (2001, la communauté de la fanfiction est, en majorité, très féminine, estimée entre 75 et 80 % de femmes (Martin, 2007, p. 186). Cet aspect date de l'origine de la fanfiction, qui s'est tout d'abord développée au sein des communautés très masculines de science-fiction. Cependant elles s'en sont séparées car les auteurs amateurs de science-fiction n'étaient pas intéressés par ce que les auteures de fanfiction Star Trek désiraient écrire (Tosenberger, 2008, p.185-207).

28Des moyens de diffusion et du recyclage dans les fanfictions

29À l'origine, les fanfictions étaient publiées dans des fanzines, appellation des magazines écrits par des fans sur le modèle de ceux qui contenaient de la science-fiction originale (Rust, 2003, p. 1-6).). Ils étaient vendus lors des conventions de science-fiction ou envoyés par la poste. Ensuite, les listes de diffusion sur internet ont permis d'envoyer les fanfictions à des lecteurs inscrits. Aujourd'hui, pour diffuser leurs écrits, les fanfics2utilisent surtout Internet, et plus précisément, des sites de publication en ligne permettant à tout inscrit de publier lui-même ses écrits, en l’occurrence, sur un site spécifiquement dédié à une série.

30Certains préfèrent co-écrire leurs textes en s'inspirant des mondes inventés par eux ou créés par d'autres, et les partager en licence ouverte, par exemple, sur le site Wattpad, créé en février 2006. Ce site a pris son essor avec l'arrivée de l'iPhone et du Kindle en 2007 pour atteindre plus de 30 millions d'utilisateurs en mi-2014. Il a aussi intégré plus de 17 000 e-books en provenance du Projet Gutenberg et produit de nombreux textes librement accessibles sur téléphone mobile, d’abord sur iPhone (mars 2009), puis sur BlackBerry (avril 2009), Androïd (juin 2009) et iPad (avril 2010).

31En outre, Wattpad est devenue la plate-forme multimédia-réseau social d'écrivains/ré-utilisateurs/lecteurs/traducteurs pourvoyant le plus sous licence Creative Commons 4.0 qui est la dernière version de Creative Commons, également adaptée aux bases de données (Thomas, 2007, p. 37). Elle offre aux créateurs et « ré-mixeurs » du monde entier (avec plus de 50 langues disponibles en 2014, d’après B. Thomas (2010, p. 142-154), des histoires pouvant être lues ou écrites à partir de téléphones, tablettes ou ordinateurs.

32Les histoires publiées sous cette licence sont téléchargeables, consultables et réutilisables par n'importe qui dans le monde entier. En mi-juillet 2014, 300.000 histoires étaient déjà partagées sous licence CC (Creative Common), avec la possibilité pour les Wattpadders3 qui le souhaitent de rester anonyme. Ceci permet aux auteurs qui offrent leurs histoires, en les considérant comme un bien commun avec la permission de partager leur écriture, de les ouvrir à de nouveaux publics et lectorats et à de nouvelles possibilités créatives, de se faire connaître et de travailler en réseaux collaboratifs. Si des lecteurs ou ré-utilisateurs souhaitent rémunérer les auteurs publiant en licences ouvertes Creative Commons, ils le peuvent, mais sans obligation.

33Certains auteurs préfèrent les plates-formes de blog ou créent des sites personnels, éventuellement pour y ajouter d'autres créations de fan comme des fanart4. Les sites peuvent être exclusivement destinés à publier des fanfictions, mais on trouve aussi des forums de fans dont la publication d'histoires n'est qu'un à-côté. Les sites de publication sont spécialisés dans un fandom5 particulier ou acceptent tous les Fandoms.  Les fanfictions sont le plus souvent publiées par chapitres, sur le modèle des feuilletons d'autrefois ou les séries dont elles sont souvent issues.

34Les fanfictions : une diversité et/ou un foisonnement des sources d'inspiration ?

35Les sources d'inspiration des auteurs de fanfiction sont nombreuses et les supports des œuvres exploitées sont très divers. Fanfiction.net est l'un des sites de publication de fanfictions les plus fréquentés : plus de 2,6 millions de membres écrivant en 40 langues (Thomas, 2011, p. 1-24 ; Tosenberger, 2008, p. 200-206). Son analyse permet donc de se faire une idée assez précise de la popularité d'un fandom, même si certains y sont minorés, préférant s'épanouir sur des forums spécialisés. Pas moins de 8 200 Fandoms différents sont catégorisés sur Fanfiction.net.

36Leur évaluation fait apparaître une grande disparité de succès d'un fandom à l'autre. S'il y a énormément d'œuvres qui inspirent les auteurs de fanfictions, les trois plus exploitées, Harry Potter, Naruto et Twilight représentent à elles seules 1,3 million de fanfictions sur les 6,5 millions que totalise le site, soit près du quart des textes postés (20 %).

37On peut noter qu'au fil du temps, les œuvres exploitées sur ce site se multiplient et que les trois gros Fandoms sont passés en 4 ans de 25 à 20 % du total des histoires, bien que restant très vivants et continuant à s'enrichir. Si on regarde l'évolution par section, certains Fandoms se sont fait dépasser par d'autres plus récents, mais les quatre premiers (Harry Potter, Naruto, Twilight, Inuyasha) étaient déjà en haut de l'affiche en 2011. Dans le top 10, deux fandoms sont sortis (Yu-Gi-Oh et Le Seigneur des anneaux) et deux sont arrivés Hetalia-Axis Powers et Pokémon).

38La fanfiction et sa connivence avec le monde littéraire et cinématographique

39Le roman jeunesse Harry Potter sort complètement du lot avec ses 710 000 histoires, ce qui correspond à la moitié (49,8 %) de la section des livres (1,45 million d'histoires). Un certain nombre de facteurs peuvent expliquer ce succès. Pour commencer, la notoriété de la série romanesque a coïncidé avec le développement d'Internet, préfigurant le Web 2.0 et la fanfiction en ligne au début des années 2000. Ensuite, l'adaptation au cinéma a aussi contribué à faire connaitre l'œuvre à davantage de personnes. Enfin, la parution des sept tomes qui s'est étalée sur dix ans a entretenu l'attente et la possibilité d'imaginer une suite, qui sont les principaux moteurs de l'écriture des fanfictions.

40Il est suivi par Twilight qui, bien que n'ayant démarré qu'en 2006, présente déjà 218.000 histoires (15 % de la catégorie Livres). On trouve ensuite Percy Jackson (61 200), Le Seigneur des anneaux avec 53 300 histoires. Hunger Games, bien que très récent, atteint la cinquième place avec 42 300 histoires. On remarque que tous ces livres ont bénéficié d'une adaptation au cinéma. Des classiques sont également parfois source d'inspiration pour les fanfictions. On retrouve ainsi des histoires inspirées des Misérables de Victor Hugo, ou encore Orgueil et Préjugés de Jane Austen. After d'Anna Todd, fanfiction diffusée sur la plateforme communautaire Wattpad est le livre lu plus d’un milliard de fois sur Internet en 2015. Il est par contre pratiquement absent sur fanfiction.net.

41La fanfiction, l’animation et les séries télévisées

42Bien que la fanfiction se soit historiquement développée autour d'une série télévisée, ce sont les mangas et animations japonaises qui totalisent le plus d'histoires : plus de 1,83 million de récits sont placés dans cette catégorie, dont presque un quart (21 %) sont basés sur le manga Naruto (379.000 histoires). Inuyasha (114 000 histoires), Hetalia-Axis Powers (111 000) et Bleach (80.200) sont aussi très populaires. Les séries viennent ensuite avec 1,5 million d'histoires. On trouve Glee (108 000 histoires), Supernatural (105 000 histoires), Doctor Who (95 000 histoires) dans le trio de tête. Buffy contre les vampires (48 600 histoires), qui était en troisième position, se retrouve maintenant rétrogradée à la cinquième place, dépassée par Sherlock (80. 000 histoires).

43Les autres sources d’inspiration pour les fanfictions

44A l’instar de tous les médias écrits et audiovisuels connus, il existe d’autres sources d’inspiration fan-fictionnelles. Ces sources servent de base pour les -nouveaux- récits de fans. On pourrait notamment relever :

  • Les jeux constitués approximativement de 623.000 histoires regroupent principalement : Pokémon (79 600), Kingdom Hearts (72 300), Final Fantasy VII (39 100) ;

  • Les cartoons composés d’au moins 432 000 histoires comprennent, entre autres : Avatar, le dernier maître de l'air (39 500), Teen Titans (37 900) ;

  • Les films recensent près de 363 000 histoires regroupant notamment : Star Wars (33 600), Avengers (31 100), Pirates es Caraïbes (19 900), High School Musical (18 000) ;

  • Les « Comics » avec ses 82 000 histoires qui regroupent principalement : Homestuck (15 700), X-Men (12 400), Batman (12 700) ;

  • Les spectacles englobant près de 60 000 histoires dont notamment Screenplay (30 600)

  • Rent (7 000).

45À cela, s'ajoutent 206 000 histoires classées dans le divers. Elles s'inspirent des mythologies existantes ou inventées, des feuilletons radiophoniques ou des webséries. Il convient de noter que de nombreux univers fictifs ont recours à plus d'un média et que les différentes versions de ces univers fictifs peuvent facilement se confondre au sein de la fanfiction. Certaines fanfictions peuvent aussi se baser sur des personnages connus comme les artistes de groupes de musique célèbres. Néanmoins, comme elles sont en principe interdites de publication sur le site de fanfiction.net, on ne peut les comptabiliser dans cette catégorie.

46De la légalité et des droits d’auteur pour les fanfictions

47D'un point de vue juridique, copier, diffuser, faire des arrangements d'une œuvre protégée, même à titre gratuit, constitue une violation des droits d'auteur. Il en est de même en cas de production d'un travail dérivé, basé sur une œuvre dont on ne détient pas les droits. Les titres, noms, courtes phrases, idées ne peuvent pas être protégés par le copyright. A contrario, pour être protégeables, les personnages, lieux et situations doivent être particulièrement caractérisés.

48Conformément à la convention de Berne signée par la plupart des États, la durée de la protection est prévue a minima jusqu'à l'expiration de la cinquantième année après la mort de l'auteur. Les pays peuvent aménager ce délai. Dans les pays membres de l’Union européenne, la durée de protection a été harmonisée à 70 ans post mortem pour la plupart des œuvres. Il a été allongé à 70 ans aux États-Unis par le Copyright Term Extension Act. Ensuite, les œuvres tombent dans le domaine public et peuvent être exploitées par ceux qui le désirent. La convention de Berne évoque aussi la notion de droit moral, mais les États-Unis y ont opposé des réserves. Ils n'en accordent que pour les créations d'art visuel.

49Les exceptions aux droits d'auteur concernant la fanfiction

50Dans toutes les législations, les droits d'auteurs rencontrent des exceptions en vue de préserver la liberté d'expression et encourager la création. Ainsi, les œuvres parodiques ou critiques sont légalement autorisées dans la plupart des pays, dont la France. Il est également permis d'écrire pour soi, tant que la publication ne sort pas du cercle privé. En droit américain, c'est la doctrine du Fair Use qui définit les exceptions aux règles du Copyright. Savoir si la pratique de la fanfiction entre ou non dans son champ d'action n'a toujours pas été tranché par les tribunaux des États-Unis car personne n'a encore porté ce genre de cas devant la justice américaine. L'avocate Rebecca Tushnet a étudié des cas s'y rapprochant et en a conclu que la publication des fanfictions devraient bénéficier du Fair Use si la justice devait s’y prononcer, mais d'autres organismes s'intéressant à la création sur Internet y sont moins affirmatifs.

51On voit souvent apparaître des disclaimers (déclarations de non-responsabilité qui sont des messages d’avertissement se trouvant en tête de l’histoire ou des chapitres dans lesquels l’auteur y précise que les personnages et l’univers utilisés ne lui appartiennent pas et qu’il ne tire aucun profit pécuniaire de la publication de son texte. Dans ce message sont également cités le titre de l’œuvre et le nom de son auteur d’origine) au début des fanfictions qui déclarent publiquement que ces dernières sont issues d'une œuvre préexistante. À défaut de constituer une protection juridique, ces déclarations permettent au moins d'éviter que quiconque puisse croire qu'il s'agisse d'une tentative d'appropriation.

52Les fanfictions et le débat sur la conception du droit d'auteur

53Les opposants au droit d'auteur tel qu'il existe aujourd'hui estiment que l'interdiction des travaux dérivés est globalement dommageable. Lawrence Lessig expose dans Culture libre, d'une part, qu'une législation trop stricte sur les travaux dérivés est nuisible à la créativité en général, et donc nuisible à un trop grand nombre pour l'intérêt de quelques-uns et d'autre part, que l'exemple japonais des Dōjinshi montre que ces œuvres ont un effet positif en général sur l'industrie du manga dont ils violent les droits.

54D'autres soulignent que les droits d'auteurs sont souvent détenus par des sociétés de production, et que c'est donc des intérêts purement commerciaux qui sont protégés, au détriment de la créativité. Il est également soutenu dans ce contexte que la fanfiction est par essence une critique littéraire de l’œuvre exploitée et devrait donc bénéficier de la tolérance qui y est habituellement attachée.

55L'arrêt Sun trust v. Houghton Mifflin Co. est invoqué pour appuyer cette revendication. En effet, en 2001, une cour a dû se prononcer sur la commercialisation d'un livre The Wind Done Gone d'Alice Randall. Aucun nom issu d’Autant en emporte le vent n'est expressément repris mais la situation des personnages, leurs surnoms, leurs relations sont suffisamment caractérisées pour qu'il soit évident qu'on se trouve devant la réécriture du célèbre ouvrage, du point de vue d'une esclave métisse. Une cour d'appel fédérale a affirmé que la violation du copyright ne faisait aucun doute, mais que The Wind Done Gone n'est pas un commentaire général sur les Etats sudistes du temps de la Guerre de Sécession mais une critique particulière et une réponse ciblée à la description de l'esclavage et des relations entre les Noirs et les Blancs que l'on trouve dans Autant en emporte le vent. Le fait que Randall ait choisi de présenter ses critiques sous une forme fictionnelle, donnant à sa contestation une forme plus efficace que ne l'aurait été un article universitaire, ne prive pas à lui seul The Wind Done Gone de la protection prévue par le Fair Use6 ».

56L’absence de lucre dans la majorité des œuvres de fanfiction :

57L’une des particularités les plus prégnantes de la fanfiction est sa quasi-absence de visée lucrative. Les auteurs qui écrivent et réécrivent les œuvres n’ont qu’un mobile à l’esprit : le partage. Le partage entre tous les volontaires intéressés par ce genre est motivé par une constante recherche de la représentation quasi-conforme à la réalité sociale de sa communauté, en sollicitant toutes les suggestions susceptibles de permettre l’aboutissement d’un tel idéal. Le peu d’intérêt lucratif persistant pourrait renvoyer très vraisemblablement au fonctionnement d’une économie artisanale solidaire œuvrant pour le bien-être collectif. Cependant quand il existe des droits d’auteurs et des détenteurs, les choses se passent très différemment de l’économie culturelle classique.

58La fanfiction et la position des détenteurs des droits d'auteur

59Dans l’univers de la fanfiction, les droits d’auteurs sont en vigueur dans certains cas. Mais comme annoncé précédemment, leur exercice est moins tranché que dans l’économie de la culture traditionnelle où certains auteurs assouplissent leur revendication pour donner la possibilité à tous les acteurs disponibles de s’approprier de l’œuvre et lui apporter toutes les évolutions à leur convenance. Cela est la majorité de cas. Néanmoins, il existe une minorité -presqu’infime- d’auteurs refusant la fanfiction sur leurs œuvres. Cela complique la solidarité et l’appropriation des œuvres par des tierces personnes.

60La fanfiction et l’hostilité de certaines sociétés détentrices des droits d'auteur

61Les fanfictions reprenant les œuvres des auteurs ci-dessous ne sont pas permises sur le site Fanfiction.net, qui indique respecter le vœu exprimé des auteurs. De nombreuses maisons de production restent hostiles à la fanfiction et envoient des lettres de mise en demeure aux sites de publication. D'autres, cependant, vont apprécier l'effet de publicité que la fanfiction leur fait indirectement. Ils choisissent de ne pas agir contre les fans et même prévoir un espace fanfiction sur leur site officiel. Parmi ces initiatives en faveur des fanfictions, il y a notamment :

62Pour le cas de la franchise Halo, qui est la propriété de Microsoft Game Studios, les fanfictions et les fan-métrages d'animation (majoritairement des Machimimas) sont acceptés. Cependant, deux courts-métrages fan-film particulièrement cités sur les sites communautaires des fans, Halo: Faith et Halo: Operation Chastity, semblent rencontrer des problèmes. En effet, les réalisateurs de Halo: Faith ont annoncé peu de temps avant la sortie du projet sur Internet qui était prévue le 20 octobre 2011) et qui fut reportée  pour des raisons administratives. Après une rencontre prévue par Microsoft, le réalisateur avait annoncé l'annulation du tournage pour atteinte aux droits de propriété intellectuelle sur la licence Halo appartenant à Microsoft. Quant à Operation Chastity, un teaser était prévu pour l'été 2011 mais, de manière inexpliquée, il n'y a plus aucune information au sujet de ce dernier projet depuis mi-juin 2011.

63La fanfiction et le contrôle des droits d'auteur

64Certains auteurs invoquent le fait que les droits d'auteur sont leurs moyens de subsistance. Ils craignent d'en perdre complètement et définitivement le contrôle s'ils ne s'opposent pas à toute violation du copyright, qu'il soit préjudiciable ou non. Il semble cependant que les droits d'auteurs ne se perdent pas sans qu'on y renonce officiellement et totalement. Il est donc possible d'accepter la fanfiction tout en continuant à exploiter son œuvre. Le cas Marion Zimmer Bradley est souvent invoqué pour montrer que l'indulgence envers la fanfiction expose à être attaqué par les fans pour plagiat. En effet, Marion Zimmer Bradley a beaucoup encouragé la fanfiction sur son œuvre avant de l'interdire à la suite d'un désaccord qu'elle a eu avec une auteure. La réalité est plus nuancée car le cas était particulier. Pour d'autres auteurs, la question est plutôt morale. Ils ne souhaitent pas que d'autres auteurs publient des histoires mettant en scène les personnages qu'ils ont inventés. « Rien qu’à penser qu'on puisse utiliser mes personnages dans une fanfiction me contrarie énormément. », martèle avec véhémence un auteur de fanfiction parachuté des médias traditionnels, relayant l’avis d’Anne Rice, une actrice de l’univers fan-fictionnel.

65Le respect de l'œuvre, à l’œuvre dans la fanfiction ?

66Certains soulignent à quel point les fanfictions déforment les personnages qu'ils ont créés ou font valoir le risque de confusion entre le canon et le travail des fans. Ainsi, si Robin Hobb s'oppose à l'utilisation de ses personnages dans le cadre d'une fanfiction, elle accepte cependant qu'ils servent de base à un fanart7 en s’expliquant : « Le fanart ne peut pas être confondu avec mon écriture. L'art, c'est des images (ou des sculptures, etc.). Ce n'est pas des mots sur une page. Personne ne va voir l'image d'un loup et se dire “c'est de Robin Hobb”. »

67Il est important de signaler que tous les auteurs refusant la fanfiction sur leur œuvre ne sont pas forcément opposés à la fanfiction en tant que telle : ils peuvent l'estimer parfaitement légitime quand elle s'applique à une œuvre tombée dans le domaine public ou si l'auteur est d'accord. C'est le cas de P. N. Elrod et Diana Gabaldon.

68Fanfiction : d’autres créateurs d’œuvres littéraires favorables ?

69Un certain nombre d'auteurs indiquent, quant à eux, qu'ils sont favorables aux fanfictions inspirées de leurs histoires. Stéphanie Meyer, par exemple, propose sur son site officiel un lien vers la page de Fanfiction.net qui la concerne. Des auteurs sont même allés jusqu'à publier les fanfictions écrites sur leurs œuvres. En 1977, Marion Zimmer Bradley a lancé un fanzine, qui a été publié durant plus de dix ans, contenant des fanfictions sur le cycle de Ténébreuse avant le triste incident qui l'a amenée à cesser cette collaboration. En 2012, Rajot  Éditeur et Gallimard Jeunesse ont organisé un concours de fanfiction officiel sur la série A comme Association avec son auteur Erik L'Homme. Le travail des dix lauréats peut être consulté sur le site officiel de ladite série. En 2015, c'est La Horde du Contrevent d'Alain Damasio qui a été proposé par Folio SF, comme base pour un concours de fanfiction.

70Même s'ils y sont favorables, les auteurs se sentent parfois obligés de prendre du recul par rapport aux productions des fans, pour ne pas être accusés par la suite d'y avoir trouvé l'inspiration. Ainsi, Terry Pratchett avait demandé que les histoires ne soient pas postées là où il avait l'habitude d'échanger avec ses fans. De même, Lois McMaster Bujold, auteur de La saga Vorkosigian, se déclare fièrement fan-AC friendly author mais indique aussi qu'il est considéré comme prudent de la part des auteurs de ne pas lire les fanfictions les concernant et qu'elle a dû, à son corps défendant, apprendre à l'éviter.

71Fanfiction : les faveurs conditionnées ?

72Certains auteurs émettent cependant des conditions, notamment que la publication soit à titre gratuit ou respecte certaines règles de publication. Ainsi, Mercedes Lackey demande que les histoires soient proposées en Creative Commons. Anne McCaffey, quant à elle, a toute une page pour décrire les règles à suivre pour exploiter son monde. J.K. Rowling, si elle est dans l'ensemble très favorable à la fanfiction, se préoccupe des histoires sur Harry Potter qui ne conviendraient pas aux mineurs et qui seraient sur des sites non protégés.

73Les lecteurs sont-ils mis à contribution dans une fanfiction ?

74L'univers étendu de Star Wars s'est ainsi construit sur une collaboration de George Lucas avec des auteurs fan de sa première série. En 2013, la société Amazon a lancé Kindle Worlds dont le principe était d'obtenir des licences sur des séries. Les fans peuvent auto-publier leurs écrits sur Amazon qui verse des royalties non seulement aux fan-auteurs, mais aussi à l'auteur d'origine. Des règles très précises encadrent cette pratique. Il s’agit principalement et notamment :

  • Les fanfictions ne peuvent être déposées que dans l'emplacement prévu, supposé distinct de l'autopublication habituelle) ;

  • Les histoires doivent être conformes aux règles spécifiques à chaque licence ;

  • Toutes les histoires étant vérifiées avant d'être postées.

  • Par ailleurs, il n'est pas possible de faire des crossovers, même entre deux mondes licenciés.

  • Non seulement ces histoires ne peuvent pas être publiées ailleurs (le droit accordé à Amazon est exclusif), mais toutes les idées contenues dans les textes sont cédées à Amazon. Il est probable que cette dernière règle ait été prévue en partie pour répondre à l'inquiétude des auteurs qui craignent qu'on leur reproche de plagier les fanfictions ; l'incident Marion Zimmer Bradley ayant souvent été évoqué dans les cas de refus de la fanfiction). Cependant, cela permet aussi à Amazon de s'approprier toute réédition, produits dérivés et adaptations futures de la fanfiction qui a été publiée sur son site. À ce jour, une quarantaine de Fandoms ont été licenciés (Oslon, 2002, p. 188-197).

Conclusion

75Qu’est-il, enfin, possible de relever de façon à synthétiser le travail mené au cours de cette communication ? Si l’analyse de la fanfiction a été l’activité centrale de cet exercice, on est parvenu à comprendre non seulement la génèse d’une fanfiction, mais aussi son développement comment et quels sont les différents dynamiques que l’on pourrait lui attribuer au regard de son fonctionnement et sa diversification. Sa typologie, ses acteurs ainsi que la réglementation y afférente ont fait l’objectif d’une grande attention de ma part pour tenter de dégager la spécificité de ce genre médiatique. Sa connexion - ou mieux, son appartenance - aux médias en ligne a notamment expliqué sa particularité et l’originalité de son fonctionnement. Cependant la socio-économie de la fanfiction pourrait justifier combien ce genre médiatique est exceptionnel et impacte aussi sur le statut des acteurs dont le profil est tout à fait inédit ; la fanfiction autorise des redéfinitions permanentes avec un public de fans qui est aussi acteur et créateur médiatique au point de transformer la réalité d’acteurs en une fiction d’opérateurs efficaces qui, chaque jour, œuvrent pour le dépassement médiatique. C’est non seulement à travers ce constat que le génie de ce genre médiatique peut être relevé, mais aussi à travers sa capacité à faire aimer la fiction par le public, en appelant une large appropriation du public-acteur de la production médiatique pour y apporter les améliorations et des innovations souhaitées. Tout porte à penser que la fanfiction obéit à la maxime selon laquelle il est possible de produire de l’innovation avec de vieilles recettes et de vieux ingrédients. En recyclant l’œuvre ou le produit préexistant, la fanfiction s’inscrit dans une certaine continuité que des rectifications libérales et libérées de toute idée lucrative et de recherche de notoriété pour les fans viennent estomper, ce qui donne l’impression qu’effectivement elle est paradoxalement le résultat d’une rupture avec le passé.

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Notes

1  Une websérie est une série sous forme écrite s’apparentant à la fanfiction et au roman. Elle est publiée à même le site sur une page web et elle cultive sa présentation en les enrichissant d’illustrations telles que les montages, photos, mises en scènes personnalisées et libertaires, voire des productions médiatisant des situations parallèles de la vie courante, de l’intimité d’un inconnu du grand public, ou encore une tribune des anonymes dans une cité quelconque, une parodie sociale, les potins les plus frisés du moment…

2  Les fanfics sont des producteurs et diffuseurs de fanfictions.  

3  Usagers de Wattpad

4  Fanatique libre (c’est une expression artistique publiée sur les médias en ligne)

5  Un fandom est un univers (personnages, faits historiques, lieux ou autre chose) d’une œuvre littéraire, cinématographique ou télévisuelle sur lequel s’appuie une fanfiction. Par extension, ce terme désigne aussi la communauté de fans rassemblés autour d’une œuvre spécifique ou d’un développement particulier d’une œuvre sous forme de fanfic (couple, situation, époque, …). Il est formé sur le modèle de Kingdom, en langue anglaise.

6  Aux Etats-Unis d’Amérique, le Fair use (que l’on peut traduire par « usage loyal » ou » usage raisonnable » ou encore « usage acceptable ») est un ensemble de règles de droit, d’origine législative et jurisprudentielle, qui apportent des limitations et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son œuvre (droit d’auteur). Le Fair use essaie de prendre en compte à la fois les intérêts des bénéficiaires des droits d’auteurs et l’intérêt public, pour la distribution de travaux créatifs, en autorisant certains usages qui seraient, autrement, considérés comme illégaux. Des dispositions simples existent déjà dans beaucoup de pays : parmi ceux-ci, quelques-uns ont calqué leur loi sur le Fair use américain. La plupart de pays du Common Law ont une doctrine similaire, appelée le Fait dealing, qui se traduit par « utilisation équitable ». Au Canada, par exemple, on trouve la mention « utilisation équitable » aux articles 29 et les suivants relatifs à la loi sur le droit d’auteur (L.R. 1985, ch. C.-42)

7  Le fanart est la réécriture faite par un auteur de fanfiction sur une œuvre déjà existante. C’est une sorte de néologisme ou contraction langagière faite à partir de deux mots : fan et art.

Pour citer ce document

Vindicien V. Kajabika, «Réseaux sociaux numériques et nouvelles dynamiques de médias : quand la fiction vogue entre nouveauté et recyclage», French Journal For Media Research [en ligne], Médiatiques numériques, Browse this journal/Dans cette revue, mis à jour le : 19/01/2018, URL : https://frenchjournalformediaresearch.com:443/lodel-1.0/main/index.php?id=1571.

Quelques mots à propos de :  Vindicien V. Kajabika

Chercheur au CEISME – CIM (EA 1484), Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle

vuninga@yahoo.fr

 

 

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