- Accueil >
- Browse this journal/Dans cette revue >
- 9/2018 Ethics, Media and Public Life >
- 9/2018 Ethics, Media and Public Life >
Le moralisme dans le débat public : Évaluation morale et argumentation
Le cas d’un débat québécois sur la liberté d’expression
Résumé
C’est en raison d’une carence argumentative de leur justification que les évaluations morales présentes dans les débats publics deviennent moralistes, c’est-à-dire prennent la forme de jugements arbitraires. Ce moralisme des évaluations morales est monologique et contredit en cela le caractère dialectique du débat public. Il apparaît ainsi impliquer un rejet du principe du pluralisme moral.
Abstract
It’s by an argumentative lack of justification that the moral evaluations present in public debates become moralist : that they take the form of arbitrary judgments. This moralism of moral evaluations is monological and contradicts the dialectical character of public debate. It thus appears to imply a rejection of the principle of moral pluralism.
Table des matières
Texte intégral
Il n’y a pas de phénomènes moraux, rien qu’une interprétation morale des phénomènes.
Friedrich Nietzsche
Introduction
1La moralité a envahi le débat public (Métayer, 2011; Ogien, 2004). Des considérations éthiques sont formulées dans la discussion d’un très grand nombre d’enjeux sociaux. L’une des principales formes que prend cette référence à l’éthique est l’évaluation morale : quand une action est estimée suivant différentes catégories relatives au bien ou du mal. La prégnance de l’éthique dans le débat public en modifie la conformation et le développement. Elle entraine principalement trois effets. Un effet d’extension : un accroissement de volume des débats moraux; un effet de réduction : une restriction régulative des types d’interventions admises dans les débats; un effet de moralisme : une détérioration du discours éthique en un discours sermonneur donneur de leçons (Gauthier, 2017a). C’est de cette dégradation moraliste telle qu’elle se donne à voir dans les évaluations morales émises dans le débat public dont je me propose ici de rendre compte.
2 J’avancerai d’abord que l’une des causes qui rendent moralistes les évaluations morales est une déficience argumentative. Plus précisément, je proposerai de considérer qu’un moralisme découle du défaut à établir le lien justificatif de l’évaluation morale vue comme la composante d’un argument. Cette carence argumentative permet d’identifier les évaluations moralistes. En un second temps, je montrerai en quoi, justement parce qu’il relève de cette insuffisance argumentative, le moralisme produit par des évaluations morales est monologique et contredit en cela le caractère dialectique du débat public. Je procéderai à cette démonstration à partir de l’idée suivant laquelle une évaluation morale engage de manière inhérente à une prescription morale. Carencée sur le plan argumentatif, une évaluation moraliste implique une prescription morale qui la fait se poser comme ne souffrant d’aucune discussion et se refuser ainsi à tout dialogue et à tout affrontement. J’illustrerai l’ensemble de mon propos à l’aide d’un exemple : le débat tenu au Québec sur la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo après l’attentat de janvier 2015. En conclusion, j’esquisserai à grands traits les rapports qui peuvent être tissés entre le moralisme généré par la carence argumentative des évaluations morales et le pluralisme moral.
Le moralisme : une carence argumentative
3La notion de moralisme est floue. Dans ses emplois philosophiques classiques, le concept désigne une doctrine qui assigne une finalité morale à toutes les actions humaines ou qui affirme la prééminence des valeurs morales sur tous les autres types de valeurs. Une compréhension plus critique, sans doute aujourd’hui la plus répandue, conçoit le moralisme comme un rigorisme moral : une attitude ou un usage de la morale qui, faisant fi de la liberté des sujets et de la particularité de leur réalité, impose un ordre ou un cadre moral unique et implacable, un ensemble codifié de normes désincarnées et globales ou de principes et de valeurs idéalisés. Défini de cette façon, le moralisme est une dépravation ou un détournement de l’éthique. Plusieurs sens dépréciatifs ou descriptions dévalorisantes sont donnés du moralisme entendu comme cette dérive de la morale. Taylor (2012) l’entend génériquement « as a vice » comme une distorsion de la pensée, de la réflexion et du jugement moraux à l’égard des événements et des personnes, par exemple une exigence morale trop stricte. Dans la même veine, mais de manière plus illustrative, Jauss (2008) qualifie de moraliste un défaut d’une position morale apparenté à la rudesse, la suffisance, le pharisaïsme, le ton sentencieux ou l’intolérance. Dans Coady (2006), différents chercheurs proposent un élargissement du concept de moralisme en y intégrant les sens de jugement gratuit, de condamnation morale, de caricature des personnes, d’inflexibilité et d’autoritarisme.1 Toutes ces déterminations sont évocatrices du moralisme, mais elles ne permettent pas d’en identifier les occurrences. Comment fait-on pour repérer une distorsion du jugement moral, de la suffisance ou un ton sentencieux, un jugement gratuit ou de l’autoritarisme? Plus généralement, comment est-il possible de déterminer qu’il y a rigorisme moral? Afin d’établir quand et en quoi le recours à l’éthique se dégrade en moralisme dans le débat public, il faut disposer d’une signification minimalement opératoire.
4Le rigorisme moral et ses acceptions péjoratives afférentes peuvent être condensés dans la définition technique donnée par Valéry Laurand (2005) selon qui le moralisme est
« une compréhension abusive de la morale qui recouvre plusieurs attitudes (non exclusives) dont le trait commun est qu’elles confondent exigence d’une réflexion morale et parénèse moralisatrice, et donnent lieu à des jugements arbitraires2, parce que fondés sur des principes qui n’admettent aucune contradiction et qui n’accordent aucune légitimé à la critique. » (689).
5L’évaluation morale est l’un des types de jugements susceptibles d’être arbitraires dans lesquels se manifeste la représentation impropre de la morale pointée par Laurand. Les jugements moralistes peuvent être suscités par différentes causes. Pour ce qui est des évaluations morales qui sont formulées dans le débat public, je propose de considérer qu’une des raisons pour lesquelles elles deviennent moralistes est qu’elles souffrent d’une déficience démonstrative. Une évaluation morale peut être dite moraliste quand son fondement n’est pas étayé. Dans la mesure où cette déficience démonstrative peut être repérée, il devient possible de localiser les évaluations moralistes et, partant, d’établir quand et en quoi, pour ce qui les concerne, la référence à l’éthique dans un débat public bascule dans le moralisme. En quelque sorte, la déficience démonstrative est un indicateur de l’évaluation moraliste.
6La déficience démonstrative peut être révélée par l’analyse de la structure argumentative dans laquelle prend place l’évaluation morale. Un argument est une combinaison de deux éléments : une proposition et une justification (Gauthier, 2010 et 2005). La proposition est le point de vue formulé sur la question en débat; la justification, le soutien de la proposition. Quand une proposition est avancée sans justification, il y a non pas argument, mais opinion. Parmi d’autres types possibles, la proposition peut consister en une évaluation. Elle est une évaluation morale si elle énonce une appréciation, positive ou négative, relative au Bien, à la bonne conduite ou à la vie bonne. Comme toute proposition et tout autre type d’évaluation, une évaluation morale donne lieu à un argument ou à une opinion selon qu’elle est appuyée ou non sur une justification.
7Une évaluation morale est moraliste quand elle souffre d’une carence argumentative : soit quand elle reste sans justification et qu’elle forme une opinion; soit quand, constitutive d’un argument, elle n’est pas fondée de manière satisfaisante par ce qui est invoqué comme sa justification, quand donc l’argument dont elle est la proposition comporte un défaut inférentiel. Dans les deux cas, il y a moralisme du fait que formulée sans reposer sur des raisons ou motifs suffisants l’évaluation morale est assimilable à un jugement arbitraire, ainsi que le spécifie la définition de Laurand. Elle est une appréciation gratuite, posée sans légitimation.
8Le moralisme d’opinion est évident : quand elle n’a tout simplement pas de justification, la vacuité de l’évaluation morale se donne clairement à voir. Le moralisme produit par défectuosité inférentielle est moins apparent : une évaluation morale est bel et bien prétendument appuyée sur une justification, et est donc formellement constitutive d’un argument, mais cette justification n’est pas probante. En dépit de ce qui est allégué, elle ne fonde pas véritablement l’évaluation morale. Sa fonction justificatrice est inopérante; pour le dire autrement, l’évaluation morale ne peut pas être inférée de la justification parce qu’il n’y a pas de rapport fondateur entre les deux éléments de l’argument.
9L’attentat contre Charlie Hebdo a été l’occasion d’un débat public au cours duquel des évaluations morales ont été énoncées à propos de la publication des caricatures de Mahomet par l’hebdomadaire satirique. Jocelyn Maclure3 affirme qu’elle était éthiquement regrettable :
« La publication des caricatures me semblait défendable d’un point de vue juridique, mais déplorable d’un point de vue éthique. Ce n’est pas parce qu’on a le droit de publier quelque chose qu’on devrait le faire. En l’occurrence, publier des caricatures qu’un grand nombre de musulmans allaient juger injurieuses dans un contexte marqué par l’islamophobie post-11 septembre 2001, cela manquait fortement de sagesse et d’empathie. »
10Daniel Weinstock4 émet l’évaluation morale contraire en soutenant que même si elle était choquante et offensante la publication des caricatures était éthiquement justifiée dans la mesure où elle procédait d’une intention de communication :
« … if there is real communicative intent that does not fall foul of legal strictures against hate speech, incitement to violence, libel and slander, and the like, my view is that we should stand up not just for the legal, but also for the moral right to make the points [the cartoonists] want to make even as we devote ourselves to showing up those positions as mistaken. (…) [So] we find ourselves in the messy situation of having to uphold not just the legal, but also the moral right of satirists to express thoughts and display images that they can reasonably foresee will offend, while at the same time understanding those of our fellow citizens who have felt that the cartoons exacerbate their feeling of marginalization. »5
11C’est en considération de la question de la liberté d’expression dans sa généralité que Maclure et Weinstock énoncent leur appréciation sur la moralité de la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo. Maclure le fait voir clairement en posant la distinction générique entre une considération éthique et une considération juridique (« Ce n’est pas parce qu’on a le droit de publier quelque chose qu’on devrait le faire. »). C’est encore plus clair pour Weinstock qui situe explicitement son intervention dans la perspective de la liberté d’expression, comme le titre de son texte l’indique en toutes lettres (The (messy) ethics of freedom of speech.) Leurs interventions font ainsi tout naturellement déboucher le débat sur la problématique théorique plus large de la régulation éthique de la liberté d’expression. Dès lors qu’ils émettent une évaluation morale sur la publication des caricatures, Maclure et Weinstock se trouvent à admettre que la liberté d’expression peut faire l’objet d’un encadrement éthique6.
12Les évaluations morales de Maclure et de Weinstock prennent part à des arguments. Elles sont des propositions appuyées sur une justification : le blâme de Maclure sur un manque de sagesse et d’empathie; l’absolution de Weinstock sur une intention de communication. Ces arguments souffrent toutefois de la carence argumentative rendant moralistes les évaluations morales. L’inférence entre leur justification et leur proposition n’est pas assurée. Maclure n’indique pas en quoi la sagesse et l’empathie fondent le blâme moral qu’il adresse à l’hebdomadaire satirique ni Weinstock en quoi une intention de communication l'absout moralement. Ils avancent bien des arguments, mais ceux-ci ne sont en quelque sorte que proclamés. Maclure et Weinstock les exposent sans prendre la peine de discuter de leur validité, comme s’il allait de soi qu’en considération des valeurs de sagesse et d’empathie la publication des caricatures de Mahomet était moralement répréhensible et qu’elle était défendable en présence d’une intention de communication. Mais le passage entre les justifications et les évaluations morales ne s’impose pas. Qu’est-ce qui autorise le transfert des unes aux autres? À moins de considérer qu’elles consistent en des jugements analytiques, la relation entre la sagesse et l’empathie et le blâme moral de Maclure et celle entre l’intention de communication et l’excuse morale de Weinstock ne sont pas du tout évidentes. Parce que leurs arguments font l’impasse sur ces relations, leurs évaluations morales tombent dans le moralisme.
13Le propos n’est pas, ici, de mettre en cause pour elles-mêmes la sagesse et l’empathie et l’intention de communication. Il n’est pas non plus de disconvenir de leur pertinence en regard de la moralité de l’exercice de la liberté d’expression. L’analyse n’a pas pour objet de nier qu’une régulation éthique de la liberté d’expression (si on en admet la possibilité et l’intérêt) puisse être concernée par ces valeurs. Elle laisse ouverte les possibilités qu’un manque de sagesse et d’empathie puisse justifier une restriction de la liberté d’expression et que la présence d’une intention de communication puisse justifier sa pratique sans entrave. La carence des arguments de Maclure et Weinstock ne se situe pas au niveau de l’éthique de la liberté d’expression considérée d’un point de vue général ou abstrait. Elle a trait au point de passage entre le manque de sagesse et d’empathie et l’intention de communication et les évaluations morales qu’ils émettent sur le cas concret de la publication des caricatures de Mahomet. Maclure ne spécifie pas pourquoi un blâme moral peut être adressé à Charlie Hebdo en regard d’un manque de sagesse et d’empathie et Weinstock ne précise pas pour quelle raison une intention de communication l’excuse moralement7. Autrement dit, tous deux manquent à établir en quoi leur évaluation morale de la publication des caricatures est fondée par la justification qu’ils invoquent. Si l’on veut, Maclure et Weinstock ne démontrent pas la portée sur la situation particulière de Charlie Hebdo des principes généraux liant le manque de sagesse et d’empathie et l’intention de communication à la liberté d’expression. Tels qu’ils les mobilisent, leur application à la publication des caricatures n’est pas assurée. Les deux philosophes se contentent d’alléguer sans l’étayer un lien fondationnel de la sagesse et de l’empathie et de l’intention de communication à leur évaluation morale.
14Une façon de le faire voir est de rendre compte de la réaction possible de leur lecteur. En proposant leur argument, Maclure et Weinstock cherchent à le convaincre de la justesse de leur point de vue. Mais en se dispensant d’offrir quelque démonstration à l’appui de leur évaluation morale, ils ne lui fournissent aucun moyen de les départager. Pourquoi adhérerait-il à la position de l’un plutôt qu’à celle de l’autre? Il est réduit à rester avec sa prédilection initiale personnelle pour la sagesse et l’empathie ou pour l’intention de communication parce que ne lui sont pas fournies des raisons de choisir de manière plus fondée l’une des deux justifications.
15L’irrésolution dans laquelle est placé le lecteur de Maclure et Weisntock pour cause de carence argumentative de leurs évaluations morales et cette carence argumentative elle-même apparaissent clairement dans une deuxième intervention de Maclure8. Il y réitère sa désapprobation éthique de la publication des caricatures en en référant aux conditions du vivre-ensemble dans une société pluraliste :
« Ma critique de la publication des caricatures s’appuie sur une certaine conception du vivre-ensemble et des dispositions et attitudes que nous devrions manifester dans nos rapports avec nos concitoyens. Nous vivons dans des sociétés hautement diversifiées, non seulement sur le plan des cultures, mais aussi des conceptions du monde et des visions de ce qui constitue une vie pourvue de sens. Des athées militants jusqu’aux conservateurs religieux, des citoyens dont les schèmes de croyances et de valeurs sont très contrastés doivent apprendre à vivre ensemble et à au moins se tolérer mutuellement. C’est dans ce contexte que je considère qu’il est souhaitable que l’on fasse preuve d’empathie et de sollicitude par rapport à la situation et aux engagements de nos concitoyens, et que l’on fasse parfois9 preuve de retenue lorsque nos actes de langage blesseront ou offenseront certains d’entre eux. Il faut, à tout le moins, que ce que l’on a à dire justifie d’exprimer des choses qui seront vues comme personnellement blessantes par d’autres. Il faut s’assurer, en quelque sorte, que le jeu en vaille la chandelle. »
16Tel qu’il précise de la sorte sa position, c’est toujours relativement à la liberté d’expression considérée d’un point de vue général et abstrait que Maclure fait valoir l’importance de la sagesse et de l’empathie. C’est un principe général qu’il énonce quand il préconise que c’est en fonction de ces valeurs suivant le souci du vivre-ensemble dans une société pluraliste que devrait s’exercer la liberté d’expression, mais sans donner d’indication quant à sa mise en œuvre. Maclure reconnaît d’ailleurs qu’il s’agit là d’une norme dont la concrétisation ou l’actualisation n’est pas automatique : « Quand faut-il faire preuve de retenue au bénéfice de la coopération sociale et de la fraternité? Quant faut-il au contraire être irrévérencieux et insolent? Nous ne pouvons l’établir dans l’abstrait. » Il est ainsi amené à relativiser son évaluation morale : « Je persiste à penser que le Jyllands-Posten et Charlie n’ont pas contribué positivement au vivre-ensemble en 2005-2006, et d’autres personnes raisonnables soutiennent que l’injure et la moquerie étaient nécessaires. Cela fait partie du débat démocratique. » En tout état de cause, Maclure ne précise pas les raisons pour lesquelles c’est la retenue qui devrait prévaloir dans le cas de la publication des caricatures. Il n’applique pas non plus à sa propre position la condition de justification qu’il pose aux tenants de la décision opposée. Son lecteur n’est pas à même de comprendre pourquoi la sagesse et l’empathie, dont il peut saisir par ailleurs la pertinence relativement à une régulation éthique de la liberté d’expression, fonde un blâme moral de la publication des caricatures par Charlie Hebdo ni, non plus, pourquoi il devrait endosser ce blâme plutôt que la disculpation morale prononcée par Weinstock en vertu d’une intention de communication.
17La carence argumentative à l’origine du moralisme des évaluations morales de Maclure et Weinstock ne leur est pas exclusive. On peut en observer la présence dans de nombreux débats moraux (Gauthier, 2017b, 2013a et 2013b). Elle constitue une infraction à une condition induite des théories de la justification et édictée expressément par des théories de l’argumentation : que soit explicitée ce qui dans une justification alléguée fait fonction de justification. Anne Meylan (2015) rend compte de « la structure métaphysique de la justification » commune à toutes les théories de la justification en la définissant comme une propriété consistant en une relation de justification et comprenant un élément justificateur : « Chaque fois qu’une entité est justifiée, elle est justifiée en vertu d’une certaine relation [de justification] … que cette entité entretient avec un autre élément que nous baptiserons ‘élément justificateur’. » (22) Pour le dire simplement, une justification, pour être telle, doit comprendre des traits ou attributs ou encore des aptitudes ou dispositions par lesquels elle justifie. Meylan précise cette idée dans la définition « dépendante de la perspective » qu’elle propose de la justification : « Tout ce qu’un individu considère comme une raison d’agir n’est pas forcément une raison d’agir. Il faut encore que cet individu soit justifié à considérer comme une raison d’agir ce qu’il considère comme une raison. » (14) Autrement dit, une justification doit être elle-même justifiée : elle doit être fondée à agir comme justification. Tel que Maclure et Weinstock exposent leur évaluation morale sur la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, ils ne fournissent aucune précision sur la relation de justification ou l’élément justificateur du manque de sagesse et d’empathie et de l’intention de communication, ni ne fournissent de raison de considérer que ce sont des raisons de blâmer ou d’excuser moralement Charlie Hebdo. Ils ne disent rien de la façon dont les justifications qu’ils avancent exercent une fonction de justification de leur évaluation morale.
18Dans son modèle de l’argument, Stephen Toulmin (1958) stipule que le passage de données de départ à une conclusion doit être assuré par des garanties (warrants) reposant elles-mêmes sur un fondement (backing) et pouvant éventuellement faire l’objet de restrictions. Ce faisant, il pose comme condition à l’expression d’un argument que non seulement les raisons invoquées en soutien à une proposition soient formulées à ce titre, mais également que soit établie l’inférence entre les raisons et la proposition. Cette condition n’est pas satisfaite par les arguments de Maclure et Weinstock : il n’y est pas précisé quelque élément d’attestation et ou de certification en vertu duquel le manque de sagesse et d’empathie fonde le blâme moral de la publication des caricatures et l’intention de communication l’absout moralement.
19Comment expliquer ce défaut à expliciter la fonction justificatrice des justifications de leurs évaluations morales et d’un grand nombre d’autres évaluations morales formuées dans des débats publics? La raison principale apparaît être qu’en autorisant très largement la prise de position, le débat public est enclin à se montrer moins exigeant quant à son fondement. Chacun est admis à y faire valoir son point de vue, mais même quand il l’exprime sous la forme d’un argument ne se sent pas tenu d’en attester entièrement le bien-fondé. Les différentes positions restent ainsi cloisonnées et leur juxtaposition les empêche de se confronter les unes aux autres. Paradoxalement, c’est son ouverture même qui rend ardu un véritable échange dans le débat public. Dans le cas des débats moraux, cette propension structurelle est peut-être accentuée par une difficulté à appliquer des valeurs et principes généraux à des situations concrètes. Comment, pour reprendre ce seul exemple, faire la démonstration que la sagesse et l’empathie doivent être prises en compte dans telle situation donnée?
Moralisme et monologisme moral
20Quand il frappe une évaluation morale, le manquement à en clarifier le fondement justificatif a pour effet de l’enfermer dans un monologisme et, de ce fait, de l’inscrire en marge de la nature dialectique du débat public. Il en résulte ainsi parce qu’une évaluation morale implique toujours formellement une prescription morale : énoncer une appréciation de nature éthique, c’est toujours également édicter ce qui doit être fait. Quand une évaluation morale est carencée sur le plan argumentatif, la prescription à laquelle elle engage s’isole et du coup tend à bloquer tout échange avec des évaluations morales divergentes.
21Tels qu’ils sont exprimés, le blâme de Maclure et l’excuse de Weinstock ne sont pas cantonnés à une appréciation morale de la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo. Ils recèlent une prescription quant à l’exercice de la liberté d’expression dans tous les cas apparentés. Cet engagement est à double détente. En un premier temps, les évaluations morales singulières de Maclure et Weinstock impliquent l’universalité des estimations qu’elles expriment; en une seconde impulsion, cette universalité confère un caractère prescriptif à leurs évaluations.
22 Leurs évaluations morales engagent d’abord à l’universalité de leur teneur. En décrétant que Charlie Hebdo est moralement fautif d’avoir publié les caricatures de Mahomet pour cause d’un manque de sagesse et d’empathie, Maclure est engagé à adresser le même reproche moral à toute manifestation de la liberté d’expression de même nature (injurieuse) dans un contexte similaire (de peur d’un groupe religieux) qui contreviendrait à ces deux valeurs éthiques. De même, en statuant que Charlie Hebdo n’a pas éthiquement fauté en publiant les caricatures de Mahomet en raison d’une intention de communication, Weinstock est engagé à admettre que toutes les fois que cette condition est remplie prévaut une autorisation morale autant que légale (même quand le propos choque et offense les membres d’une minorité religieuse). Il serait contradictoire de condamner moralement Charlie Hebdo pour avoir publié les caricatures au motif d’un manque de sagesse et d’empathie et de nier que la même évaluation doive être formulée à l’égard d’une action similaire; il serait contradictoire d’estimer que Charlie Hebdo était justifié d’un point de vue éthique de publier les caricatures du fait d’une intention de communication et de ne pas innocenter moralement une initiative analogue.
23C’est cette extension à tous les cas semblables qui constitue l’engagement à l’universalité de l’évaluation morale. Il découle du caractère général de la justification sur laquelle elle est prétendue reposer. Le manque de sagesse et d’empathie et l’intention de communication ne sont pas idiosyncratiques. Ainsi qu’ils s’y réfèrent, Maclure et Weinstock leur octroient une portée générale. S’ils les font jouer nommément à propos de la publication des caricatures, le manque de sagesse et d’empathie et l’intention de communication ne se limitent pas à cet exemple singulier, mais fonctionnent comme des critères ou comme des règles ayant vocation à s’appliquer à tous les cas similaires. C’est d’ailleurs en cela qu’en se prononçant sur la question de la moralité de la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, Maclure et Weintock du même coup mettent en avant un point de vue moral plus général sur l’éthique de la liberté d’expression.
24L’universalité de l’évaluation morale lui confère une dimension prescriptive. Son extension à l’ensemble de la classe des cas semblables à celui à propos duquel elle est formulée en raison de l’applicabilité générale de la justification qui la fonde la constitue en principe régulateur. Celui qui énonce une évaluation morale est engagé à émettre la prescription correspondante. Évaluer moralement une action au moyen d’un argument revient à décréter la position à prendre relativement à cette action parce que l’évaluation procède de la reconnaissance d’une justification valant pour toutes les situations pareilles. L’engagement d’une évaluation morale à une prescription morale découle de son engagement premier à l’universalité.
25Les évaluations morales de Maclure et Weinstock sur la publication des caricatures recèlent ainsi une directive ou une consigne morale édictant la conduite ou l’attitude à adopter : Maclure en fonction de la sagesse et de l’empathie, Weinstock en fonction de l’intention de communication. Le blâme de Maclure signifie aussi que Charlie Hebdo n’aurait pas dû, du point de vue éthique, publier les caricatures et l’excuse de Weinstock que Charlie Hebdo était éthiquement autorisé à publier les caricatures.10
26En engageant à la prescription correspondante, les évaluations morales de Maclure et Weinstock sont monologiques et s’extraient de la contrainte dialectique du débat : elles se posent logiquement comme les seules admissibles ou valides et, de la sorte, se referment sur elles-mêmes et se refusent à la confrontation avec d’autres évaluations. C’est ainsi que les positions de Maclure et Weinstock se déploient en parallèle sans interconnexion l’une avec l’autre. Maclure est totalement aveugle à l’intention de communication. Quant à Weinstock (dont le texte est le dernier publié), s’il évoque pour s’en démarquer le caractère offensant de la publication des caricatures mis en exergue par Maclure, il est totalement silencieux sur la sagesse et l’empathie. Maclure et Weinstock ne tiennent aucun compte de l’argument de l’autre; ils restent campés sur leurs vues des choses respectives à propos desquelles ils n’échangent en rien.
27Il eut fallu, pour que ce ne soit pas le cas, que leurs évaluations morales ne soient pas affectées de carence argumentative. Dans la mesure où elle est correctement justifiée, une évaluation morale échappe à l’isolement et à l’exclusivisme qui en découle du fait de son engagement à une prescription correspondante. Si, en effet, le lien justificatif de la justification à l’évaluation qu’elle légitime est spécifiquement établi, l’émission de celle-ci ne se referme pas sur elle-même et s’ouvre au contraire à une comparaison aux évaluations distinctes. En mettant à plat les éléments qui permettent de les inférer de justifications différentes, les tenants d’évaluations morales concurrentes les font sortir de leur état de soliloque et les mettent en situation d’interagir dialectiquement.
28Pour que cette possibilité s’actualise, il ne suffit pas que les évaluations morales participent à des arguments11. Le seul fait que soit invoquée une justification à leur appui ne les met pas en relation. Il faut encore que les arguments ne soient pas seulement affichés, mais, comme Meylan et Toumin en commandent chacun à leur façon l’exigence, que soit fondée la fonction justificatrice de la justification. C’est au prix de cette explicitation de leur lien inférentiel à leur justification respective que des évaluations morales contraires ne se posent pas chacune comme la seule acceptable et débouchent sur une confrontation effective au lieu de seulement s’entrechoquer dans une exclusion mutuelle.
29Si Maclure avait spécifié en quoi le manque de sagesse et d’empathie fonde son blâme moral de la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo et Weinstock en quoi l’intention de communication fonde l’absolution morale qu’il lui accorde, se serait institué entre les deux évaluations un espace de reconnaissance et de discussion en dépit du fait qu’elles engagent à des prescriptions. Le débat n’aurait plus été seulement un affrontement entre deux positions contraires appuyées sur des considérations différentes et antinomiques. Il serait devenu un échange au sein duquel, parce que seraient discutés leurs tenants et aboutissants, les évaluations morales opposées n’auraient pas été coupées l’une de l’autre, mais auraient été au contraire mises en relation. Faute de satisfaire cette exigence, les évaluations de Maclure et Weinstock sur la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo restent monologiques tout autant que moralistes.
30Simplement admettre la possibilité d’évaluations morales opposées ne permet pas d’éviter ce monologisme. Maclure reconnaît que des points de vue moraux différents du sien peuvent être exprimés à propos de la publication des caricature de Mahomet par Charlie Hebdo : « Je persiste à penser que le Jyllands-Posten et Charlie n’ont pas contribué positivement au vivre-ensemble en 2005-2006, et d’autres personnes raisonnables soutiennent que l’injure et la moquerie étaient nécessaires. Cela fait partie du débat démocratique. » (op. cit.)12. Mais cet acquiescement n’implique pas de lui-même un échange avec les évaluations divergentes. Il ne suffit pas de concéder que son évaluation morale n’est pas la seule possible pour être en discussion avec des évaluations morales rivales. Même accompagnée de l’admission d’évaluations concurrentes, une évaluation morale souffrant de carence argumentative ne sort pas d’elle-même et n’entre pas véritablement en relation avec les évaluations distinctes. Leur carence argumentative non seulement assimilent les évaluations moralistes à des jugements arbitraires, mais, en les rendant monologiques et en leur interdisant un rapport dialectique, les frappe des difformités caractéristiques du moralisme signalées dans la définition de Laurand : elles « n’admettent aucune contradiction et […] n’accordent aucune légitimé à la critique. »
31Par ailleurs, l’idée que la carence argumentative d’une évaluation morale a pour conséquence de la rendre monologique est en conformité avec la conception interactionniste de l’argumentation. Elle donne également à voir que l’argumentation ne relève pas d’une norme exogène du débat, mais en est plutôt une condition de possibilité. Tout autant par son objectif que par sa fonction, l’argumentation implique une relation dialogique et dialectique. L’argumentation vise à persuader du bien-fondé d’une position contre d’autres positions. Ne serait-ce que tacitement, l’entreprise argumentative suppose la reconnaissance de ces positions rivales et l’échange avec elles. Si elle est de quelque façon défectueuse, son rapport au dialogue est perturbé et il n’y a plus débat véritable. Il apparaît en cela a contrario que l’argumentation est nécessaire au débat. Défendre un point de vue sous les seules formes de l’opinion ou de l’argument marqué d’une déficience démonstrative n’est pas véritablement débattre. Il faut, pour qu’il y ait débat, plus que l’expression de positions divergentes; il est nécessaire que les propositions d’arguments soient fondées de manière satisfaisante dans des justifications de sorte que ces positions puissent être confrontées les unes aux autres13. L’argumentation est partie intégrante de la nature dialectique du débat public.
32Parce qu’elles souffrent de carence argumentative, les évaluations morales moralistes ne donnent lieu qu’à un semblant de débat. Leur défaut est tel qu’est brisée toute tension au dialogue, ce qui a pour effet d’étouffer un débat véritable.
Conclusion : moralisme et pluralisme moral
33La carence argumentative caractérisant le moralisme d’évaluations morales ne leur est pas propre. Elle peut affecter des évaluations de toutes natures. C’est dire que les évaluations moralistes ne sont qu’une manifestation parmi d’autres du monologisme et de ses répercussions sur le débat public. La principale est qu’elle rend le débat asymétrique (voir Gauthier, 2016b). Parce que les positions défendues restent étrangères les unes aux autres, le débat se déploie sur des terrains différents.
34Par ailleurs, le monologisme des évaluations moralistes et leur marginalisation par rapport au caractère dialectique du débat public amène à examiner deux questions relatives au pluralisme moral entendu très généralement comme la reconnaissance d’une pluralité des conceptions du Bien, de la vie bonne ou de la bonne conduite toutes présumément valables, potentiellement antinomiques et non hiérarchisables. C’est à cette idée, dont la paternité est attribuée à Isaiah Berlin (1959), que Maclure se réfère quand il invoque le vivre-ensemble pour préciser sa critique morale de la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo. Il découle du pluralisme moral qu’il puisse y avoir des désaccords à propos du genre de personne qu’il convient d’être ou du genre de vie qu’il convient de mener et que ces désaccords ne peuvent pas être tranchés rationnellement. Appliqué au débat public, le pluralisme moral stipule (entre autres choses) que différentes évaluations morales sont possibles et admissibles ainsi qu’éventuellement conflictuelles.
35Une première question posée par les évaluations moralistes provoquées par carence argumentative est celle de savoir si le moralisme n’implique pas un déni du pluralisme moral. Bien sûr, en tant que tel, le moralisme ne dément pas la possibilité d’une pluralité d’estimations morales différentes et potentiellement divergentes. Mais si on va jusqu’à considérer qu’une évaluation moraliste est dogmatique parce qu’en raison de son monologisme elle se présente comme la seule admissible et inattaquable et qu’elle disqualifie toutes les autres évaluations possibles, on ne voit pas logiquement comment son émission pourrait être conciliable avec la reconnaissance de représentations distinctes du Bien. C’est cet antagonisme que Laurand pointe quand il identifie l’évaluation moraliste à un jugement arbitraire résultant de principes ne supportant pas la contradiction et n’admettant pas la critique. En tout état de cause, la prise en compte des évaluations morales affligées de carence argumentative ouvre la question de la compatibilité entre moralisme et pluralisme moral.
36La deuxième question relative au pluralisme moral qui peut être abordée en regard des évaluations moralistes appréhendées par une carence argumentative procède de la perspective inverse. C’est celle de déterminer si le pluralisme moral ne délégitime pas la possibilité même de l’émission d’une évaluation morale. Si, en effet, on reconnaît que différentes évaluations sont également admissibles, comment penser qu’on puisse n’en retenir qu’une seule et la promouvoir? Doit-on considérer, comme certains le font au sujet de la tolérance en relevant le paradoxe qu’il peut y avoir à autoriser moralement une action qu’on juge moralement répréhensible14, qu’il est antinomique d’adhérer au pluralisme moral tout en se permettant de proférer une évaluation morale? Doit-on, au contraire, maintenir la possibilité d’émettre des évaluations morales tout en reconnaissant le pluralisme moral ainsi que d’autres soutiennent qu’il est cohérent de refuser l’idée d’une morale unique tout en se donnant le droit de formuler des critiques à partir de sa propre morale15? Retenir cette seconde option pourrait être vu comme un renforcement de l’exigence démonstrative corrélative de la carence argumentative affectant des évaluations morales : afin d’éviter qu’elles deviennent moralistes, on requerrait que soit explicité le lien justificatif de leur justification. De ce point de vue, le pluralisme moral peut être vu comme un antidote au moralisme : l’admission d’une pluralité des conceptions du Bien devient un motif de ne pas s’accommoder de la carence argumentative des évaluations moralistes.
Bibliographie
Berlin, I. (1959). The Crooked Timber of Humanity. Londres : Fontana Press.
Coady, C.A.J. (2006) (ed.). What’s Wrong with Moralism? Malden, Mass. : Blackwell.
Gauthier, Gilles (2017a). L’exigence éthique dans le débat public contemporain. Communication présentée au colloque Communication publique et métamorphoses de l’espace social, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université Mohammed V, Rabat, Maroc, 11-12 mai.
Gauthier, G. (2017b). Le débat public suite à l’attentat contre Charlie Hebdo. Y a-t-il une éthique de la liberté d’expression?. Éthique publique, 19(2), https://journals.openedition.org/ethiquepublique/3080.
Gauthier, Gilles (2017c). La prime rhétorique à l’éthique dans le débat public. Argumentum, 15(1), 73-92.
Gauthier, Gilles (2016a). L’attentat contre Charlie Hebdo vu du Québec : une discussion sur la liberté d’expression et la critique de la religion. Hommes et migrations, 1315, 33-41.
Gauthier, Gilles (2016b). Dissymétrie et amplitude dans le débat public contemporain. Argumentum, 14(1).
Gauthier, Gilles (2015). Le lieu du désaccord dans le débat public. Communication présentée au colloque La valeur du désaccord, Université Catholique de l’Ouest à Angers, 5-6 mai 2015.
Gauthier, Gilles (2013a). L’argumentation morale dans le débat public : Une confrontation asymétrique. Éthica, 18(1), 119-135.
Gauthier, Gilles (2013b). La justification morale dans le débat public. Un exemple : l’affaire Juppé. Communication, 31(2), http://communication.revues.org/4493.
Gauthier, Gilles (2010). Le problème du repérage des arguments. Le cas de l’éditorial journalistique. Communication, vol. 28, no. 1, p. 71-100.
Gauthier, Gilles (2005). Argumentation et opinion dans la prise de position éditoriale. Dans Marcel Burger et Guylaine Martel (dir.), Argumentation et communication dans les médias, Québec, Éditions Nota bene, p. 131-155.
Hare, R. M. (1981). Moral Thinking. Oxford : Oxford University Press.
Hare, R. M. (1963). Freedom and Reson. Oxford : Oxford University Press.
Hare, R. M. (1952). The Language of Morals. Oxford : Oxford University Press.
Jauss, S. A. (2008). Review : What’s Wrong with Moralism? Metaphilosophy 39(2), 251-256.
Laurand, V. (2005). Moralisme. Grand dictionnaire de la philosophie, Paris : Larousse, 689-690.
Mendus, S. (2004). Tolérance. Tolérance et pluralisme morale. Dans M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (p. 1969–1974). Paris : PUF.
Métayer, M. (2011). Guide d’argumentation éthique.Québec : Presses de l’Université Laval.
Meylan, A. (2015). Qu’est-ce que la justification? Paris : Vrin
Ogien, R. (2004). La panique morale. Paris : Grasset.
Taylor, C. (2012). Moralism. A Study of a Vice. Montréal & Kingston : McGill-Queen’s University Press.
Tosi, J. et B. Warmke (2016). Moral Grandstanding. Philosophy and Publics Affairs, 44(3), 197-217.
Toulmin, S. (1958). The Uses of Argument. Cambridge : Cambridge University Press.
Wong, D. (2004). Relativisme moral. Dans M. Canto-Sperber (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (p. 1661–1668). Paris : PUF.
Notes
1 Sans le définir comme du moralisme, Tosi et Warmeke (2016) traitent du moral grandstanding comme un moyen de se faire valoir en projetant de soi une image de respectabilité morale. Il est fort probable qu’il s’agit là d’une attitude fréquemment afférente au moralisme qui se manifeste dans le débat public, y compris et peut-être tout particulièrement par l’émission d’évaluations morales.
2 C’est moi qui souligne.
3 « Le droit de Charlie Hebdo de critiquer, le droit de critiquer Charlie Hebdo », L’Actualité, 12 janvier 2015.
4 « The (messy) ethics of freedom of speech », In Due Course, 26 janvier 2015.
5 Pour une analyse plus complète du débat, voir Gauthier (2016a).
6 Pour d’autres, comme Pierre Trudel (« La rectitude mène à la page vide », Le Journal de Québec, 7 janvier 2015 et « Les médias ont le droit de s’autocensurer », Le Journal de Québec, 10 janvier 2015), le droit est la seule régulation admissible de la liberté d’expression (voir Gauthier, 2017b).
7 Cela déborderait le cadre précis de la présente analyse, mais on pourrait également soutenir, plus radicalement encore, que Maclure n’établit pas véritablement qu’en publiant les caricatures de Mahomet Charlie Hebdo fait preuve d’un manque de sagesse et d’empathie et Weinstock que leur publication procède d’une intention de communication. Maclure pose le manque de sagesse et d’empathie comme une évidence découlant du fait « qu’un grand nombre de musulmans [ont jugé] injurieuses [les caricatures] dans un contexte marqué par l’islamophobie post-11 septembre 2001 ». Quant à Weinstock, il admet que c’est une appréciation purement superficielle qui l’amène à reconnaître une intention de communication.
8 « Doit-on exercer notre liberté d’expression pour la conserver? », L’actualité, 15 janvier 2015.
9 C’est moi qui souligne.
10 L’idée qu’une évaluation morale engage de manière inhérente à une prescription morale en raison de son engagement premier à l’universalité s’inscrit dans le sillage de la théorie métaéthique prescriptiviste de Richard Hare (1952, 1963 et 1981). Elle s’en distingue cependant par la perspective adoptée et également par son objet. La préoccupation de Hare est de comprendre le sens des termes et énoncés moraux ainsi que la logique du discours moral. Son prescriptivisme universel pose que les énoncés moraux n’expriment pas des propositions, mais des impératifs moraux universels. Telle qu’elle est ici relevée, la portée prescriptive des évaluations morales se situe sur un plan apparenté, mais tout de même différent. Elle n’a pas trait en tant que telle à la sémantique des évaluations morales, mais à leur usage en regard du moralisme. Elle ne donne pas lieu, non plus, à une thèse métaéthique (qui ouvrirait à une discussion sur le réalisme, l’objectivisme ou l’internalisme moral), mais ne sert qu’à faire voir comment fonctionne le recours à la moralité dans le débat public.
11 C’est cependant là une condition nécessaire. L’expression d’une opinion morale, c’est-à-dire d’une proposition dénuée de justification, est immédiatement moraliste et monologique.
12 Jean-Pierre Proulx (« Pour une éthique de la liberté d’expression », Le Devoir, 16 janvier 2015) concède lui aussi ce point. Défendant une position très semblable à celle de Maclure, Proulx soutient, en s’en référant à la valeur de prudence, que « … le recours aux moyens forts de la liberté d’expression [la moquerie, la satire, l’ironie, la caricature, voire la provocation] doit être proportionné à l’importance des enjeux … [et] qu’il vaut mieux s’abstenir s’il apparaît que les conséquences de la prise de parole soient plus dommageables que l’abstention. » Proulx, cependant, reconnaît que « Le jugement prudentiel … est … fort difficile à poser ». Il explique également la décision de médias de ne pas publier les caricatures de Mahomet comme un « choix prudentiel différent » de celui de Charlie Hebdo. Tout en privilégiant la non publication, Proulx admet ainsi et même légitime le choix moral contraire.
13 Une autre façon d’exprimer cette idée est de souligner que c’est au niveau des justifications que loge véritablement le désaccord dans un débat public et que le désaccord propositionnel est purement formel en ce qu’il ne fait que marquer une divergence de vue sans en spécifier les tenants et aboutissants (voir Gauthier 2015).
14 « … si l’on interprète la tolérance comme relative à ce qu’on désapprouve moralement, et si on admet aussi que la tolérance est un idéal moral, on se trouve alors confronté à un paradoxe considérable : comment expliquer qu’il peut être moralement juste de permettre des choses qui sont considérées comme moralement mauvaises? Dire qu’une chose est moralement un mal c’est, à première vue, dire qu’elle ne devrait pas être permise; mais tenir la tolérance pour une vertu c’est soutenir qu’il est louable, d’un point de vue moral, de s’abstenir de s’immiscer dans des choses qui sont mauvaises. » Mendus (2004), 1969.
15 « Une forme simpliste du relativisme normatif se fonde sur le raisonnement selon lequel puisqu’il n’existe pas une morale valide unique, il n’est pas fondé de juger les autres … Un tel raisonnement est souvent critique pour son incohérence. (…) Il est … erroné de supposer que n’importe quelle doctrine normative pourrait être déduite directement du relativisme méta-éthique. Il n’y a aucune contradiction logique dans le fait de soutenir qu’il n’y a pas une morale valide unique, tout en se fondant sur sa propre morale pour juger les autres … » Wong, 2004, 1666.
Pour citer ce document
Ce(tte) uvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution 4.0 International.