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« Parler société » au Cameroun en polémiquant : l'exemple du forum « 237 médias »
Résumé
Les usages d’internet par les journalistes camerounais sont plurivoques. La présente recherche restitue la manière dont ils polémiquent sur les questions nationales et internationales. Nous avançons l’idée que ces registres polémiques participent à des stratégies de légitimation et de délégitimation des uns et des autres. En plus de l’analyse de ces polémiques, cette recherche met en lumière le champ journalistique camerounais en grande partie sous domination de la corruption, des replis ethno-politiques, de l’amateurisme, de la précarité. Pour ce faire, nous nous sommes appuyé sur une observation passive du forum « 237 médias », une liste de discussion créée en 2009. Notre observation a débuté en 2011.
Abstract
The uses of the Internet by Cameroonian journalists are plurivocal. This paper describes and analyzes how they polemic on national and global issues. We defend the idea that these polemical registers are parts of their legitimation and delegitimization strategies in the field of cameroonian journalism largely under the domination of corruption, ethno-political withdrawal, amateurism, precariousness. To do so, we made a passive observation of « 237 media », a discussion list created in 2009. Our observation began in 2011.
Table des matières
Texte intégral
Introduction
1Comment les journalistes camerounais polémiquent-ils sur des sujets sociétaux comme la politique intérieure, le football, l’homosexualité, le statut de journaliste, etc. ? Quels sont les formes et registres de ces polémiques ? Que nous révèlent-ils sur le champ journalistique camerounais ? Cette recherche esquisse des réponses à ces interrogations. Elle s’appuie à cette fin sur le forum internet « 237 médias ». 237, en référence à l’indicatif téléphonique du Cameroun. Créée le 1er mars 2009 sur Yahoo groupes avant de migrer sur Google groups le 13 avril 2013, cette plateforme virtuelle comptait en février 2017, 698 inscrits. Toujours à cette date, plus de 70.000 messages y étaient échangés. De par sa durée, de par le flux relativement élevé de messages postés en dépit de la concurrence des réseaux sociaux numériques, nous avons pensé que ce forum pouvait faire l’objet d’une curiosité intellectuelle permettant d’accéder à la manière dont les journalistes camerounais objectivent ce champ socioprofessionnel en construction ainsi qu’aux perceptions qu’ils se font de la société camerounaise. Nous voulons démontrer que « 237 médias » est une interface qui permet une intelligence des modalités de légitimation et de délégitimation des journalistes camerounais entre eux ; que ce forum permet de saisir comment ils (re)définissent leurs identités professionnelles. Nous voulons enfin montrer que la violence des polémiques dans ce forum, est révélatrice de la violence plus globale qui travaille la société camerounaise sous la coupe d’un régime autoritaire de 35 ans. Pour y parvenir, nous avons, dans le cadre des recherches que nous menons au sein du Laboratoire d’analyse des communications et des récits médiatiques (LACREM) du Département de communication de l’université de Douala, mené une enquête par questionnaire auprès de 280 journalistes entre mai 2016 et février 2017. Afin de vérifier s’ils étaient aussi réactifs par mail que sur le forum, le questionnaire leur a aussi été envoyé par ce biais. Au total, 220 nous ont été retournés (78 en version papier et 142 en version électronique), soit 198 hommes et 22 femmes. Nous voulions savoir entre autres, ce qu’ils pensaient des échanges sur le forum et ce qu’il représentait pour eux. Nous avons croisé leurs réponses avec les messages du forum auquel nous avons directement accès puisque nous avons été inscrit sur cette plateforme depuis sa création. Notre démarche a été quali-quantitative et contextualisée. Le contexte comme « ensemble des circonstances qui accompagnent un événement, il devient un élément incontournable des recherches de type qualitatif qui insistent sur le fait que les sujets ne sont pas réduits à des variables mais sont considérés comme un tout » (Muchielli, 2005 : 37). Miles et Huberman (2003) ont isolé un certain nombre de caractéristiques récurrentes en recherche qualitative. Elle se conduit par un contact prolongé et/ou intenseavec un terrain ou une situation de vie. Ces situations sont, par définition, banales ou normales et reflètent la vie des individus, de groupes, de sociétés et d’organisations au quotidien.Le rôle du chercheur optant pour une démarche de ce type est d’atteindre une compréhension intégrée du contexte de l’étude, c’est- à-dire sa logique, ses arrangements, ses règles implicites et explicites. Le chercheur doit essayer de capter de l’intérieur des informations quant aux perceptions d’acteurs locaux, à l’aide d’un processus d’attention approfondie, de compréhension empathique et de préconceptions mises en suspens ou entre parenthèses sur les sujets abordés. C’est ce que nous avons essayé de faire dans cette recherche. Les messages qui sont repris ont été laissés dans leurs formulations d’origine. A la demande de plusieurs auteurs, ils ont été anonymés.
Les thèmes polémiques
2A partir des premiers messages que nous avons commencé à recevoir, nous nous sommes rendu compte qu’ils étaient chargés d'affect en fonction des thèmes abordés. Nous avons aussi relevé qu’en retour, ces messages généraient émotions et sensations qu’on pouvait inscrire dans différents registres. On retrouve ces émotions et sensations sur certaines questions comme la politique intérieure (plus de 10000 messages), le tribalisme (plus de 2000 messages), la problématique des gays et lesbiennes (plus de 1000 messages), le respect de l’éthique et de la déontologie (près de 3000 messages), le football (plus de 3000 messages), les rapports avec les Etats-Unis et la France, etc. (plus de 3500 messages). Nous avons enfin noté que les polémiques et controverses ne restaient en général que quelques jours en tête de l’agenda des discussions. On passait à un autre sujet jusqu’à une nouvelle polémique.
Les polémiques sur le statut de journaliste
3« L’enjeu de la polémique, aussi symbolique soit-il, est le meurtre de l’adversaire [...] tout discours polémique véhicule une sorte de poison rhétorique, dont la visée stratégique est de réduire l’antagoniste : le réduire, justement, au silence » écrit Shoshana Felman (1979 :187). Quand les journalistes camerounais s’empoignent sur « 237 médias », intimidations, menaces de procès ou de mort ne sont jamais loin. Depuis sa création en 2009, près de 104 polémiques ont menacé de se terminer devant les tribunaux. A ce jour, aucune action en justice dans ce cadre n’a été portée à notre connaissance. Que ce soit pour de simples menaces ou des menaces de mort, chacun dit vouloir agir ainsi pour laver son honneur, celui de sa famille, de ses enfants, de son épouse, etc. Indic, espion, « pédé », étant les principales « injures » qui provoquent de telles réactions. Toujours à ce jour, les 43 menaces de morts ne sont jamais allées au-delà de leur circulation sur 237 médias.
De : (…)
À : "237m...@googlegroups.com« <237m...@googlegroups.com>
Envoyé le : Mercredi 5 juin 2013 17h00
Objet : Re: [237medias] A (…): menaces de morts sur 237medias
Chers Tous,
Je suis heureux que des gens s'émeuvent des »menaces de mort sans s'émouvoir de ce qui est à l'origine. Je suis père d'une famille et époux. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un lâche. Je dis donc OFFICIELLEMENT ici que quiconque jouera encore avec ma vie, mon nom, va le payer CHER. Parce qu'aucune vie n'est au dessus d'une autre.
En dehors de (…) qui a souvent essayé en public et en privé de ramener les uns et les autres à la raison, des interventions comme celles de (…) sont essentiellement et sournoisement provocatrices. Que pensez vous? Que je vais laisser des gens continuer à se jouer de ma réputation? Je vais TUER s'il le faut pour que cela serve d'exemple.
4L’auteur de ce message mène un combat pour que cesse une confusion résultant d’une homonymie avec un individu condamné au Cameroun pour pratique homosexuelle et qui est devenu pour les ONG internationales luttant pour la dépénalisation de cette cause, la figure emblématique de leur plaidoyer. Il a obtenu de Human Rigth Watch et autres, qu’elles fassent une mise au point indiquant qu’il s’agissait de deux personnes différentes. En dépit de cette démarche qu’il a largement médiatisée il est constamment traité de « pédé » sur 237. Des « attaques délibérées » qu’il a décidé de « punir ». Quand ils ne se menacent pas de mort, les journalistes camerounais se dénigrent mutuellement aussitôt qu’apparaît le moindre désaccord entre eux.
[237medias:] UN DÉRÉGLÉ MENTAL DANS LA PRESSE
(…)
1 mai 2013 10h41
(…): UN DÉRÉGLÉ MENTAL DANS LA PRESSE
Bjr, voici donc un débris de notre système scolaire qui accidentellement s'est retrouvé dans un monde où la critique permet aux journalistes de s’améliorer. Voici donc un personnage ubuesque, que j'ai pris sous mon toit pendant huit mois pour l'encadrer, parce que sans abris et sous les projecteurs de la justice (TPI Monatélé), voici donc ce correspondant du très respectable www.camer.be qui a détourné 100 mille francs Cfa des frais publicitaires alloués a son employeur (publication d'un bandeau X-netphone sur le site www.camer.be), voici donc un voleur de sacs de cacao de son père dans le Mbam et Kim qui veut trouver refuge dans la presse.
Sachez que (…), ce garçon qui a changé trois fois son acte de naissance manque d'humilité. Après avoir tout tenté sans rien réussir, il s’accroche au pasteur (…) comme aide exorciste. Aigri, il va pondre des inepties sur des personnes pour se donner une image dans les médias. Hélas! Très vite, (…) le qualifiera « d’être dangereux ». Ses véritables origines? Personne ne sait avec exactitude. Les membres de son gang de voleur de cacao l'appellent affectueusement « Ben Laden ». Un pseudonyme qui lui va comme un gant de velours. A preuve: Arme blanche a la main, il a agressé le dynamique directeur de publication que je suis, pour lui remettre le fruit de mes efforts.
Je vous réserve dans l’édition de lundi prochain, un cocktail fumant de révélations accompagnées des photos de ses virées nocturnes et des documents de justice qui l'accablent. Attention, âmes sensibles, s'abstenir.
(…)
5Ce à quoi le concerné répond par :
De : (…)
À :"237medias@googlegroups.com« 237medias@googlegroups.com
Envoyé le : 1 mai 2013 15h19
Objet : Re: [237medias] le journalisme poubelle!!!!!!!
Tu es un imbécile et kan je m'attèle a ne plus te côtoyer ce n'est pas sur un forum ke tu peu t'attaker a moi fais gaffe illustre imbécile à la blessure puante
6Plus loin, c’est un journaliste qui se veut en même temps lobbyiste qui appelle le public de « 237 médias » à suivre un de ses passages à la télévision. Un autre s’interroge sur l’utilité de cette démarche. Le journaliste lobbyiste lui assène :
From: (…) Sender: 237m...@googlegroups.com
Date: Fri, 14 Jun 2013 12:31:56 +0100 (BST)
To: 237m...@googlegroups.com<237medias@googlegroups.com>
ReplyTo: 237m...@googlegroups.com
Subject: [237medias] Cartes sur table STV:
J'attends que l'illettré-débrouillard soit aussi invité sur un plateau de débat intellectuel. J'ameuterai. Je déplacerai même CNN pour montrer ses prouesses.
En dehors de 237médias, de Facebook et des débits de boissons où personne ne fait attention à la syntaxe et aux conjugaisons, je ne vois pas où certains imposteurs peuvent avoir à dire.
Je vous prie à l'avenir d'adresser vos hérésies de Soa à vos semblables et d'éviter ma route!
7Celui qui a osé s’interroger sur l’opportunité de faire la publicité pour un passage à la télévision lui répond :
De : (…)
Envoyé le : Vendredi 14 juin 2013 13h43
Objet : [237medias:4626] Auto glorification de (…)
Ah ah ah ah
Oh oh oh oh
(…) est touché! La tu le démontres! Et je m en excuse petit frère. Un détail. Lorsque j'écris de mon Blackberry Bolt je ne m attarde pas sur les coquilles que je trouve acceptable pour l'utilisation d'un outil comme le mien. C'est la même chose lorsque j'écris un texto. Puisque tu reçois sur un desktop je comprends que tu aies ce ressenti. Toutes mes excuses.
Cela dit, si tu veux organiser un concours de grammaire ou de conjugaison je déclinerai ton offre parce que tu es trop fort: l'académicien bravo. Deux choses tout de même: - je ne fréquente pas les débits de boisson. Ceux qui les fréquentent ne sont pas moins importants ni intelligents - l'illettré aujourd'hui c'est celui qui ne sait pas utiliser internet.
Je me contente de mon « petit » niveau de BEPC pour dire à un docteur comme toi que l'imposture est proche de la fin. Le vrai amateur c'est toi. Pour ce que je sais, et que j'ai lu dans quelques «bouquins», les vrais lobbyistes ne le chantent pas sur les toits de Stv ou 237 forum. Ils agissent et leurs résultats parlent pour eux. Voilà. Au fait as tu même déjà essaye de réconcilier un couple qui se dispute?
Lobbyiste vaaaaaa
8Une autre fois, c’est un Directeur de publication qui s’écharpe avec son ancien Rédacteur-en-chef
De : (…) À : 237medias@yahoogroupes.fr Envoyé le : Jeu 7 avril 2011, 14h 13min 03s Objet : [237 Médias] Re : [237 Médias] Comment j'ai découvert que (…) était un espion [2 pièces jointes]
(…) Le Dp de Germinal a décidé de me servir une littérature indigeste qui a pour objectif de voiler davantage ses turpitudes. Je savais bien que le diable était dans les détails. (…) Je sais, la hideur de vos plaies fait mal. Je savais que vous étiez un petit homme, dans tous les sens du terme, votre réaction aujourd’hui me conforte dans mon sentiment. Le ridicule ne tue vraiment plus. Pour une fois ayez honte dans votre vie. Je sais que vous êtes balloté entre l’être et l’existence. C’est pour cela que je ne vous ferais pas l’honneur de parler de journalisme avec vous. Vous êtes au journalisme ce que Bernard Madoff est à l’économie. (…). Rassurez-vous (…), je ne nourris aucune haine particulière contre votre personne. Ce serait vous donner une importance que vous n’avez pas. Je sais que c’est votre fonds de commerce. Vous êtes atteint du complexe de Gribouille.
9Si le journaliste est aussi virulent contre son ancien employeur, c’est que ce dernier a, dans la matinée, posté un message au titre évocateur et peu amène envers son ex-collaborateur. « Comment j'ai découvert que (…) était un espion ». La passe d’armes entre les deux durera au moins 48 heures, chacun comptant ses soutiens.
10Répondant à ceux qui l’accusent de se cacher derrière un pseudonyme pour donner des leçons de journalisme, un « forumiste » répond :
De: (…)
Objet: [237 Médias] Au temps béni des voyous en journalisme
À: 237medias@yahoogroupes.fr Date: Vendredi 3 juin 2011, 9h32
(…) Il y a un groupe de voyous au passé scabreux et aux cheveux gominés, aux poches pleines d'argent sale qui s'organise pour prendre le journalisme en otage. Contrairement à ce que dit (…), ces manœuvres sont très productives. Elles sont à l'origine de la situation de marasme des médias et plus grave contribuent à freiner l'éclosion démocratique et le progrès social dans notre pays.
11En février 2011, le présentateur vedette d’une chaîne de télévision privée, est recruté au Service de communication de la Commission nationale anti-corruption (CONAC), une institution gouvernementale. A travers le forum il reçoit des félicitations de quelques confrères.
De : (…) À : 237medias@yahoogroupes.fr Envoyé le : Lun 14 février 2011, 15h 40min 38s Objet : [237 Médias] Encore un journaliste qui sort de la « galère ».
(…) Chacun de nous aspire à un mieux-être. Le service doit cesser d’être un sacerdoce chez les journalistes ! Souvenez-vous des ascensions sociales de (…) et quelques autres, et tous, disons franchement à notre confrère (…) : hip ! Hip ! Hourrah ! En tout cas c’est tout le mal que moi, perso, je peux lui souhaiter dans ses nouvelles fonctions.
12Cette journaliste qui prend la défense du « transfuge » est tancée. Sa qualité de journaliste est même remise en cause.
De : (…) À : 237medias@yahoogroupes.fr Cc : (…) Envoyé le : Mer 16 février 2011, 10h 35min 58s Objet : [237 Médias] (…)
Madame (…), Votre métier c'est »l'écriture« ? Le mien, c'est le journalisme. Je comprends que, professionnellement, nous n'ayons rien en commun. Vous parlez des choses que vous connaissez à peine, ce qui est interdit dans la déontologie du métier que je pratique. Je ne répondrai donc pas au fond de votre post. (…) Si vous aviez une vingtaine d'années, je vous aurai prise sous mon aile pour vous apprendre le métier que j'exerce. Mais je me souvenais bien que dans les années 90, déjà, avec (…) vous fréquentiez déjà le monde de la presse... J'étais au Combattant avec (…) de regrettée mémoire et (…). Donc, je me souvenais bien de tes anciennes épopées. Je me suis dit qu'il se faisait trop tard. Il est très souvent difficile de redresser un arbre qui a vieilli.
13On passe du « vous au « tu ». Une familiarité qui n’atténue pas la hargne de la charge. Le contradicteur de la journaliste a été depuis nommé au Conseil national de la communication (CNC) par un décret du Président de la république. Au cours d’un entretien avec l’auteur de ce travail, il a estimé qu’accepter de siéger dans une institution entièrement inféodée au pouvoir alors qu’on s’est toujours présenté dans le forum comme un défenseur de l’indépendance de la presse, n’était qu’un « problème de philosophie ». Insultes et autres avanies pour se dénier la qualité de journaliste prospèrent ainsi sur « 237 » médias, avec plus d’échos que les appels à la raison, à la civilité ainsi que les médiations que tentent quelques membres.
Les polémiques politiques
14Dans l’espace/temps qu’est « 237 médias » les prises de parole antagoniques sont de véritables rapports de force qui visent à soumettre l’autre à un point de vue, une idée, un argument. Le Président de la république et son épouse, son parti politique, donnent lieu à des polémiques récurrentes qui peuvent à elles seules, faire l’objet d’un travail à part. Nous nous attardons ici sur quelques échanges entre leurs soutiens et leurs opposants.
De : (…)
À : »237m...@yahoogroups.com«
Envoyé le : Mer 2 février 2011, 12h 45min 29s
Objet : BIYA VA PATIR!
Si le président du Cameroun avait des conseillers aussi intelligents qu’ils sont diplômés, ils lui auraient dit ceci : ‘Monsieur le président, êtes-vous sourd ? Voulez vous vraiment être candidat à l’élection prochaine ? N’entendez-vous pas cette voix qui vous interpelle de Tunis au Caire ? Qui vous conseille d’aller en retraite ?’ Ils lui auraient posé ces questions simples, au lieu de le féliciter pour l’organisation, après combien d’années ?, d’un comice agropastoral dans sa région d’origine! Car ils l’auraient mis en garde contre cette idée vieille de trente ans – un comice agropastoral en 2011, qui l’aurait cru ! – qui pourrissait dans les archives de la dictature camerounaise, idée dont s’était servi pendant tant d’années Ahmadou Ahidjo pour s’auto-féliciter, avant d’abruptement démissionner du pouvoir, d’être condamné à mort par son poulain Paul Biya, et de mourir en exil comme on sait.
De : (…)
Envoyé le : Mer 2 fév 2011 à 15h 20 min 15s
Objet : Re: [237medias:2361] @Non à (…)
La bêtise tout simplement monsieur (…) en tout cas je continuerais à soutenir Paul Biya, pourtant j'ai un nom Douala ma fille a un nom Bassa hum je voulais aller doter une bangangté et il y a une bakossi du Sud ouest qui me fait les yeux doux et l'essentiel de mon boulot se passe au Nord ou j'ai grandi. Ce qui signifie tout simplement que Biya a sauvegardé l’unité de ce pays. N’en déplaise à des soi disant écrivains tribalistes comme toi.
Vive Paul Biya ! Vive l’unité nationale !
15(…)
16L’auteur du premier message est un romancier et essayiste camerounais. Il s’est toujours clairement affiché comme un opposant au régime. Profitant de ce que l’opinion croit être à l’époque les « printemps arabes », il veut être dans l’air du temps et tente à nouveau de briser la logique de démobilisation collective de la société civile camerounaise (Pommerolle, 2010). Il est très actif sur de nombreux forums y compris dans « 237 médias ». Son appel suscite en 48 heures, 173 réactions toute aussi tranchées. Ses soutiens se comptant principalement parmi les journalistes de la presse privée, et ses pourfendeurs dans la communauté des journalistes des médias d’Etat soutenant par conviction ou contrainte le régime et celui qui l’incarne. Dans cet échange ainsi que dans toutes les réactions qui ont suivi, on retrouve l’idée que la polémique est un rapport à l’autre fondé sur la disqualification : « Le discours polémique est un discours disqualifiant, c’est-à-dire qu’il attaque une cible [...] et qu’il met au service de cette visée pragmatique dominante – discréditer l’adversaire, et le discours qu’il est censé tenir – tout l’arsenal de ses procédés rhétoriques et argumentatifs » (Kerbrat-Orecchioni, 1980 : 12). Le consensus n’est donc pas le fondement de toute discussion. Un discours polémique peut être monogéré, c’est-à-dire qu’il s’attaque à une cible, sans dialogue direct avec elle, du moins, sans qu’elle n’ait la possibilité de répondre instantanément. Il peut aussi être interactif, ou porté sur une thématique, un corpus. Dans ce cas, il désigne l’ensemble des interventions antagonistes sur le sujet en question.
17Quand il n’y a pas de charte de « bonne discussion » ni de modérateur dans un forum, les positions antagonistes se polarisent jusque dans l’injure, l’atteinte à la dignité humaine, au respect de la vie privée, etc. En ce sens, toute polémique est d’abord conflit. Elle est fondée sur le conflit, plus que sur la violence verbale comme le pense Garand, « toute parole polémique est issue du conflictuel » (Garand, 1998 : 216). Pour lui, « le texte polémique sert [...] au traitement langagier du conflictuel brut : il en est la socialisation, la lecture, l’interprétation performative » (Idem : 222). De fait, la polarisation des positions, la confrontation sont des déterminants essentiels de la polémique. Elle peut se dérouler de manière « civilisée ». La violence verbale n’est, quant à elle, qu’un attribut fréquent, mais non obligé, de l’échange polémique.
Les polémiques sportives
18Discuter de sport dans « 237 médias », c’est parler de football. Il occupe plus du tiers des échanges. Sa prééminence sur les autres sports n’a d’égale que la virulence des polémiques qu’il déclenche. La gestion et le contrôle de la fédération camerounaise de football ainsi que l’équipe nationale sont les sujets favoris des polémistes. Au-delà du fait qu’il est une passion qui dévore les Camerounais, ce sport préoccupe davantage les journalistes parce qu’il charrie beaucoup d’intérêts financiers. Chacun essaie donc de choisir le camp qui est susceptible de lui rapporter gros. Il peut changer de camp au gré de l’épaisseur de l’enveloppe.
(…) Diasporanews.eu
Directeur de publication
24 juin 2013 0:11
Envoyé à 237m...@googlegroups.com
Je vous fais suivre ce message de (…), candidate à la présidence de la Fédération camerounaise de football.
»Bonjour a tous
Juste pour vous dire que je suis convoquée devant la commission éthique mardi a 10 heures, parce que j aurai révélé des faits de corruption. Certaines indiscrétions à la fecafoot m'ont révélé que cette commission s'apprête à radier tous les membres concernés et moi avec. Alors, je tiens a vous informer que tous les 25 membres du comité exécutif de la fecafoot ont reçu chacun 5 millions de mes mains et devant témoins.
J’ai aussi une liste de journalistes qui ont émargé pour défendre ma candidature. A commencer par (…) a qui j'ai remis 5 millions de francs le 18 juin a 1 heure du matin. L'officier de police (…), en charge de ma sécurité, était présent. (…) a reçu 13 millions pour payer les hôtels et la restauration des journalistes qui devaient venir à Yaoundé réaliser des émissions favorables à ma candidature. Etaient témoins (…) et le policier (…).
(…) a reçu 5 millions devant (...) Pourrai-je les citer tous ? Je ne parle pas de ceux qui ont reçu chacun 100 000 fcfa. Alors j'accepte que j'ai corrompu et qu'on me radie et m’envoie en prison ainsi que les membres de la Fecafoot et tous les journalistes qui ont pris mon argent.
Que celui qui nie me porte plainte pour diffamation. Merci
(…)
19Cette sortie de l’unique femme candidate à la présidence de la fédération camerounaise qu’elle fait parvenir à « 237 médias » par le biais de son chargé de communication provoque un véritable séisme. Plus de 288 réactions. Même celles émanant de contributeurs réputés modérés étaient néanmoins porteuses d’insultes.
From : (…)
Sender: 237m...@googlegroups.com
Date: Mon, 24 Jun 2013 09:23:50
To: 237m...@googlegroups.com<237medias@googlegroups.com>
Reply-To: 237m...@googlegroups.com
Je m'excuse d'intervenir si tard dans cette affaire. Je ne partage pas la démarche de cette femme, mais maintenant qu’elle a cité des noms et des médias qui ont émargé, on attend toujours leurs démentis. Mais au-delà, la vraie question c’est d’où lui vient cet argent ? Si mes informations sont bonnes, elle n’est qu’une petite employée dans une boîte de la place. Il paraît qu’elle s’apprête aussi à publier la liste de tous ceux qui ont couché avec elle. C’est une vraie pétasse. Ceux qui sur ce forum nous ont parlé des tatouages qu’elle a à certains endroits de son corps doivent commencer à trembler, surtout les mariés.
20Après son pavé dans la mare, la candidate à la présidence de la Fédération camerounaise de football est passée par la case prison. Sur sa page Facebook elle a déclaré être menacée de mort. Derrière les polémiques autour de la gestion de la fédération ou de l’équipe nationale se cache donc des affaires de gros sous, en tout cas à l’échelle du Cameroun. L’appât du gain explique aussi les batailles qui se livrent au sein des rédactions pour le contrôle de la rubrique sport (football). Au début de la libéralisation de la vie publique en 1990, il faisait bon d’appartenir au service politique dans une rédaction. C’était l’assurance de rencontrer tout ce que le Cameroun comptait d’élites politico-affairistes.
21Les journalistes affectés au service sport étaient considérés comme les moins doués et les moins productifs. Depuis, les épopées de l’équipe nationale sont passées par là, et le football est devenu une économie qui attire moult convoitises dont les médias se font les relais quand ils ne les attisent pas. Dans un contexte d’autocensure en politique et sur d’autres sujets sociaux, le football est un des rares où ils peuvent encore parler sans filets. Pour ne pas être tenus à l’écart de ce grand gâteau, ils nouent des alliances avec ceux qui ont les couteaux du partage. Les médias qui ne sont pas conviés au festin attaquent très violemment l’équipe dirigeante et leurs confrères présents au banquet. Ceux qui « mangent » disqualifient par toute sorte de procédés ceux qui frappent à la porte. Les polémiques n’en sont que plus vives (Ohl, 2000). Chez Oléron (1995 : 21), « l’argumentation polémique vise un adversaire qu’il s’agit d’abaisser, de diminuer, à la limite d’éjecter en dehors de la compétition ». Les polémiques de « 237 médias » rentrent dans cette catégorie.
22On retrouve ici une préoccupation déjà contenue chez Foucault (1994) à savoir que le « polémiqueur » s’arroge une légitimité qu’il dénie à son contradicteur. Or, c’est quand l’autre se sent délégitimé que toute possibilité de dialogue se referme. Le polémiste tente d’abolir l’autre en tant qu’interlocuteur dans une démarche où il ne cherche pas à trouver la vérité, mais à faire triompher une cause parfois entendue d’avance. Une des raisons qui poussent des dizaines de journalistes membres du forum à rester passifs. Dans la population enquêtée, 80% des journalistes interrogés trouvent que les débats sont très violents ; que cette violence ne n’encourage pas à intervenir, et ne donne pas une bonne image de leur profession.
23La polémique est un mode particulier d’exercice de la raison argumentative. Dascal (1998) fait comprendre que les controverses manifestent un mode particulier de rationalité et de normativité qui ne peut être réduit aux règles d’une logique idéalisée. Elle est loin d’être une menace du lien social. Garand ajoute que polémiques et controverses « créent de la valeur », « elles permettent à des objets (et à des sujets) d’exister. Leur fonction est éminemment sociale. Le seul fait de polémiquer avec quelqu’un est un signal de reconnaissance » (op. cit.: 251). Les polémiques de « 237 médias » se cristallisent dans l’insulte et n’accouchent généralement pas d’arguments pour rapprocher les points de vue, à défaut de mettre fin au dissensus. Ce sont des polémiques de type pamphlétaire. D’après Angenot, le « dialogue de sourds » ou la multiplicité des polémiques inabouties révèlent non seulement la « divergence des logiques discursives » (2008 : 85), mais aussi des familles d’esprits qui ne partagent pas leur manière « de raisonner sur le monde » (Idem : 305). Les individus n’argumentent pas parce qu’ils sont des êtres doués de raison, mais parce qu’ils entretiennent toujours l’espoir faible ou nul de persuader l’autre par la raison.
Les registres des polémiques
24Dans « 237 médias », tous les arguments ne sont pas toujours de raison. A partir de la politique, du football, de la guéguerre sur le statut de « vrai journaliste », trois des sujets les plus passionnés de cette liste de discussion, cette partie analyse les genres polémiques usités par ses membres, ainsi que les fonctions que cette modalité argumentative remplit dans ce forum. Nous essayons aussi de comprendre le sens et la signification de cette tactique rhétorique dans leurs différentes stratégies de (dé)légitimation dans l’espace professionnel du journalisme camerounais.
25D’après Angenot, une polémique « suppose un contre-discours antagoniste [...] lequel vise dès lors une double stratégie : démonstration de la thèse et réfutation-disqualification d’une thèse adverse » (1982 : 34). Plantin pense que les actants du débat polémique confrontent non seulement un proposant et un opposant (fonctions que peuvent remplir différents acteurs), mais aussi un tiers, face auquel et souvent pour lequel, se joue la confrontation des discours (Plantin, 2003). Les médias sont les lieux et les relais par excellence de ces confrontations. Ils servent aussi à les amplifier dans la sphère publique (Charaudeau, 2005).
26Pour Amossy (2008), le discours polémique constitue une modalité argumentative de plein droit. Ses effets et enjeux n’étant jamais sans conséquences, il est à prendre en compte comme posture valide et valable dans la théorie de l’argumentation rhétorique. Sa permanence, ses implications, indiquent que le consensus n’est pas la finalité recherchée dans toute discussion. La polémique est une figure rhétorique qui prend la forme d’une forte polarisation où deux positions s’affirment de façon dichotomique, en s’excluant l’une l’autre. La dichotomisation radicalise le débat, le rendant difficile – parfois impossible – à résoudre (Dascal, 2008). La polémique ne signifie donc pas fin de toute coexistence, mais plutôt une variante de celle-ci.
« 237 médias », un espace/temps cacophémique
27Sur internet, la quête de reconnaissance dans les listes de discussion est comme fondamentalement agonique. Ils peuvent prendre la forme d’interventions discursives polylogiques, c’est-à-dire d’après Marcoccia (2003), d’échanges écrits et asynchrones entre plusieurs participants. Les exemples que nous avons cités confirment que la violence verbale fait partie intégrante de la conversation numérique, et est un facteur du bon fonctionnement de l’échange dans le cyber-agora. La nature cacophémique des messages qui irriguent le forum dérive de plusieurs causes. Les injures et outrages jadis adressés aux élites ont atteint leur seuil de saturation et les journalistes les retournent contre eux-mêmes dans un environnement où le débat contradictoire fondé sur l’échange d’arguments peine à s’enraciner comme forme civilisée de la conversation. La cacophémie qui structure les polémiques sur « 237 médias » est du reste la même dans les médias classiques lors des émissions de débats. Les paroles maldisantes, grossières ou infamantes ne sont pas dirigées contre les gouvernants, mais relèvent du pugilat entre débatteurs par l’usage des arguments ad hominem.
Les attaques ad hominem
28La contestation de la parole de l’autre est souvent accompagnée d’un métadiscours sur les règles du débat. Procédé dont use un « polémiqueur » alors que des pressions s’accentuent sur l’administrateur du forum afin qu’il le suspende après qu’il a proféré d’énièmes menaces de mort à l’endroit de certains de ses contradicteurs.
De : (…)
À : "237m...@googlegroups.com« <237m...@googlegroups.com>
Envoyé le : Mercredi 5 juin 2013 17h00
Objet : Re: [237medias:3714] A (…): menaces de morts sur 237medias
Le sujet devient intéressant. Je vais déballer ce que je sais désormais. Vous voulez qu'on casse, on va casser, vous voulez qu'on brûle, on va brûler.
Suspendez moi du Forum. Je vous connais personnellement et individuellement. Si je dois vous le faire payer, je le ferai. TROP c'est TROP. Ce forum sera un espace professionnel, ou nous allons l'utilisez aux fins que vous entendez l'assigner.
(…)
29Ce message fait appel à l’émotion, à la victimisation, etc. Son auteur ne voit pas ce qu’il dit ou fait de plus que les autres membres. Son post agressif récuse tout lien amical avec ceux auxquels il s’adresse et qu’il dénigre, les décrivant comme des participants qui ne savent pas quoi faire du forum. Son message prouve aussi que sur « 237 médias », les interactions polémiques entre internautes représentent un mélange de débat public et de querelle personnelle en raison de la nature des conversations numériques. Qu’il soit stagiaire, jeune reporter, chroniqueur ou spécialisé, le journaliste a une perception de lui-même et de son confrère. Cette perception est construite par la nature de son travail, la place subalterne ou dominante qu’il occupe dans sa rédaction et que son média occupe dans le champ journalistique, la nature de ses sources d’information, sa trajectoire personnelle, etc. La combinaison de ces éléments construit la trame, l’intrigue et le suspens des relations qu’il noue ou dénoue avec les autres membres de sa classe laborieuse. Ils forment un ensemble de stratégies de légitimation et de délégitimation dont un forum de discussion peut en être révélateur.
Le sensationnel
30Le sensationnel a un lien avec les affects. Même la sensation physiologique est augmentée d’un contenu affectif qui a à voir avec l'émotion. Il est lié à une forme d'excitation, qui peut entraîner un plaisir, une jouissance passagère, des réactions négatives de peur ou d'angoisse, de colère. Là où le sentiment s'inscrit dans la durée, la sensation suppose l'immédiateté. C’est le contenu des messages qui permet de saisir leurs dimensions sensationnelles. C’est moins dans l’énoncé que se repère le sensationnel que dans ses modalités d’énonciation. Il n’y sensation que parce qu’il y a réception, relation. La sensation n’est donc mesurable que dans ses effets que du côté de la réception. Le sensationnel et l’émotionnel éveillent ou exhibent nos pulsions à travers des jeux de spectacularisation et de dramatisation. Selon qu’on se situe dans une approche de type mimétique ou cathartique, un message sensationnel avive ou apaise les peurs, les fantasmes, les haines, renforce les connivences, les allégeances, etc. De fait, il n’est pas rare que des personnes qui avouent ne pas être inscrites sur le Forum fassent transférer leur réaction sur des sujets où elles ont été évoquées.
31De même, il est souvent arrivé que des discussions entamées sur d’autres forums et/ou plateformes trouvent un prolongement plus sensationnel sur « 237 médias ». C’est ainsi par exemple que des discussions entamées dans « Cameroon_Politics », une plateforme tout public dédiée aux affaires camerounaises ont déjà atterri 620 fois sur « 237 médias », soit pour faire enfler la polémique, soit pour la relayer en milieu journalistique. Ce fut aussi le cas en juillet 2013 lors de l’assassinat, à son domicile, d’Eric (…), journaliste et activiste militant de la défense des droits des homosexuels. Après avoir été torturé au fer à repasser, il a été battu à mort par son ou ses bourreaux. Son assassinat survenait quelques mois après l’incendie de son ONG qui dispensait des soins aux homosexuels atteints de sida. C’est un texte de l’hebdomadaire Jeune Afrique et intitulé « Cameroun : que le calvaire d’Eric (…) ne soit pas vain » et signé d’un journaliste camerounais qui y travaille qui sert de détonateur dans « Cameroon_Politics » où certains messages s’indignent de l’absence de mobilisation des acteurs du champ médiatique pour dénoncer ce crime odieux. Le texte qui est transféré dans « 237 médias » donne lieu à 551 échanges.
32Le Directeur de publication d’un hebdomadaire écrit :
(…)
Envoyé au groupe : 237 Medias
20 juil. 2013 09:23
Eric (…), homosexuel reconnu a été sauvagement assassiné. Notre silence dans nos journaux, sur nos sites internet, sur 237médias...signifie-t-il que nous cautionnons cet acte odieux, sauvage, digne des barbares et anthropophages de la nuit des temps? La position des anti-homosexuel (les) ou des homophobes proclamés, qui ont souvent envoyé des SMS pour menacer les défenseurs des droits des homosexuels, serait très instructive. Que Monsieur (…) tente, sur BBC-Afrique ce matin, de banaliser cet assassinat ignoble en affirmant que les homosexuels sont assassinés partout dans le monde est INADMISSIBLE. (…) Pour ma part, je m'indigne et condamne avec la dernière énergie, cet acte affreux et n'admettrait jamais qu'un homme, qu'une femme et que des êtres humains soient assassinés pour leur orientation sexuelle.
(…)
33Une voix bien connue du journalisme sportif camerounais lui répond :
De : (…)
À : »237m...@googlegroups.com« <237m...@googlegroups.com>
Envoyé le : Mardi 23 juillet 2013 17h04
Objet : Re: [237medias:7552] Encore ces histoires de fécafoot?
Bonsoir (…),
Je ne sais pas à qui ton post est précisément adressé.
Quant à moi, je joue le match qui m’intéresse. Comme on fait son lit, on se couche…
(…)
34Toujours à la suite de cette interpellation, un autre ajoute :
35(…)
Envoyé au groupe : 237 Medias
23 juil. 2013 21:04
On n'impose pas le débat on le suggère. Contrairement à la cabale médiatique de RFI et sa suite sur cette affaire, moi je souscrit à la logique de (…). Combien de personne sont tuées sans que cela ne fasse la une de RFI??? Alors ramène cette mort à sa juste proportion. Les journalistes camerounais sont d'abord ceux d'un espace Juridique formel. Quelqu'un qui fait l'apologie d'un crime ne peut pas se vanter et être glorifié comme c'est le cas avec cette affaire. Peu importe nos opinions, l'homosexualité est encore réprimée par nos lois. Désolé pour son décès mais je ne souscrits pas à l'ouverture d'un débat qui n'existe pas au Cameroun celui de homophobie. Désolé tu comprends le peut d'intérêt mon cher.
36 Voyant que les avis restent toujours très tranchés, un autre intervenant tente le registre de la culpabilisation :
Mort d’Éric (…) : Tous coupables
La mort du jeune activiste pour la cause de l’homosexualité Éric (…) torturé et assassiné froidement dans sa chambre appelle plusieurs constats qui sont autant de problématiques dans un pays où les pouvoirs publics se sont réfugiés derrière le juridisme pour éviter un débat de société sur la question de l’homosexualité au Cameroun. Aujourd’hui la mort lâche d’un être humain quelle que soit son orientation sexuelle qui devrait être source d’indignation pour tous ceux qui ont la vie en haute estime est devenue le centre d’un débat. Prenons d’abord un instant pour dire que quelles que soient les raisons, la mort de ce jeune homme journaliste de surcroit est un concentré des drames des incertitudes dans lesquelles baigne le Cameroun en ce moment : Incertitude sur la sécurité humaine ; incertitude morale. Comment interprété un tel fait? Peut-on simplement tourner la tête et dire, il l’a bien cherché? Les combats qui ont été menés depuis des années s’annulent lorsqu’un citoyen est assassiné (on ne sait pas encore si c’était pour ses convictions/pratiques ou non). C’est aussi l’occasion de rappeler qu’un des arguments d’autorité des défenseurs de l’hétéronormativité c’est le caractère sacré de la vie. Dans ce contexte s’opposer à la pratique de l’homosexualité est alors s’opposer à thanatologie sexuelle et par là même célébrer la vie, toute vie. On ne peut donc pas se réjouir de la perte d’une vie.
37 Le leader du principal syndicat des journalistes tranche net :
De : (…)
À : »237m...@googlegroups.com« <237m...@googlegroups.com>
Envoyé le : Mercredi 24 juillet 2013 21h18
Objet : [237medias:7641] N-y a-t-il pas un complot homosexuel au Cameroun?
Je suis indigné à la lecture de ce texte. Nous sommes encerclés, et je le découvre. Mais il y a tout de même une victoire historique du bien sur le mal. Que Dieu protège nos épouses et nos enfants.
L'homosexualité est une maladie mentale. Que l'Oms et les homos qui sont sur ce forum nous apportent la preuve du contraire.
La justice doit suffisamment explorer l'hypothèse d'un crime homosexuel contre un homosexuel à Yaoundé pour obtenir la légitimation du crime. Il y a des jeunes de mon village qui montent en ce moment une association pour la défense des droits des hétérosexuels.
38 Comme pour envenimer davantage encore les échanges, un autre propose même aux journalistes un devoir sur l’homosexualité, non sans avoir au préalable donner son avis sur le sujet.
(…)
Envoyé au groupe : 237 Medias
Devoir d'homosexualité pour les journalistes
25 juil. 2013 19:36
Quelle est la véritable nature de ce curieux « débat sur l'homosexualité » qui s'invite de plus en plus sur la place publique camerounaise? Le code pénal camerounais interdit cette pratique que mon enseignant de philosophie à Ngoa-Ekelle appelait une « monstruosité ». « l'Homosexualité est une monstruosité », nous le rappelait sans cesse (…). Tout jeune, je ne mesurais pas la profondeur de ce mot lourd de charge axiologique. Il me semble qu'au Cameroun la question n'est pas : pour ou contre l'homosexualité? A partir du moment où la loi l'interdit, il est plutôt question de traquer tous les contrevenants partout où ils se trouvent afin de les condamner sévèrement. Je tiens à préciser qu'on ne doit pas tuer quelqu'un parce qu'il défend l'homosexualité. C'est un peu comme tous les délits de droit commun. Nous n'avons pas le droit de tuer un « soutireur » au marché Mokolo ou Sandaga. Nous devons saisir la police, voire la justice. Mais, de grâce que les Homos nous épargnent cette pression qui finira par créer des extrémistes dans les deux camps. L'autre jour, j'était surpris d'entendre notre ministre de la Com' dire que « les homosexuels ne sont pas en danger au Cameroun ». Je ne sais pas s'il parlait à son nom propre ou en tant que porte parole du gouvernement. Je préfère penser que c'était à son propre chef. Sinon, ce serait pour le moins incompréhensible. La loi camerounaise est contre l'homosexualité. Et les pouvoirs publics doivent pouvoir le dire haut et fort. Alors, si les homos ne sont pas en danger chez nous, ils n'y sont pas les bienvenus.
39 Vient donc ensuite le devoir lui-même :
Devoir à faire à la maison pour ceux qui pensent que le combat contre l'homosexualité est une affaire de plaisantins
Exercice: Un passant étranger s'invite chez vous et demande à passer la nuit pour poursuivre son voyage le lendemain. En tant que Camerounais, avec un SMIG à 28 000 F CFA, mais avec la force de vos biceps, vous occupez un quatre pièces: trois chambres un salon. Les chambres sont réparties ainsi qu'il suit: la première pour vous et madame. La seconde pour vos enfants garçons et la troisième pour les filles. Dans quelle chambre allez-vous loger votre Etranger? Dans la chambre des filles ou dans celle des garçons? Supposez que votre Etranger soit un violeur.
Puisqu'entre deux maux il faut choisir le moindre; préférez-vous qu'il viole votre garçon ou votre fille?
NB: l'hospitalité humaine ne vous autorise pas un refus d'accueil. Aussi est-il interdit de faire dormir votre hôte au salon; car, comme son nom l'indique, c'est un salon et non une chambre à coucher.
40Ce « devoir » souligne que dans une approche pragmatique, le sensationnel se reconnaît dans la tonalité des énoncés. Il est ainsi considéré comme un effet de réception marqué. Il y a sensationnel quand l’effet recherché, la surenchère priment sur le récit, quand l’énonciation l’emporte sur l’énoncé. Certaines thématiques se prêtent plus facilement au sensationnel que d’autres. Ce n'est donc pas toujours le contenu, mais le choix de l’effet de réception marqué qui détermine le caractère sensationnaliste de la réception d’un message par le destinataire. Le sensationnel et l’émotionnel dans les messages nous ramènent aux thèses de l'école de Francfort sur l’aliénation des masses, détournées ainsi des grands enjeux politiques et économiques. La spectacularisation et la marchandisation croissante de toutes les formes de récits participent aussi de la consolidation de cet éthos du sensationnalisme dont la valeur marchande ne cesse de grimper dans toutes les sociétés, et principalement dans des systèmes politiques autoritaires où les modèles de référence politiques et idéologiques n’existent pas ou sont aphones, et où les citoyens ordinaires se replient dans les valeurs refuges.
41Média de masse, internet contribue grandement à la cristallisation de la sous-culture de l’émotionnel et du sensationnel comme élément structurant des échanges, qu’ils soient des récits autobiographiques, fictionnels, informationnels. Les codes et les supports conditionnent aussi un certain type de messages. Les analystes insistent sur la spécificité d’usage des canaux de diffusion, et les différences que cela entraîne dans le traitement de l’information. L’information n'est pas la même en système digital ou analogique, les effets recherchés aussi. L’amplification des émotions est constitutive du récit sur internet, à l’âge où tout se joue et se tient sur le « j’aime », « j’aime pas » ainsi qu’au nombre de suiveurs, de vues, de hits, etc.
42Tout est dans l’urgence. Les listes de discussions, les forums qui étaient censés être des voies de contournement permettant d’approfondir certains sujets n’échappent pas eux aussi à la tendance comme nous le voyons avec « 237 médias ». S’ils réhabilitent la circulation de l’écrit en temps réel, ils n’en demeurent pas moins des entraves aux échanges intersubjectifs.
« 237 médias », une agora génératrice de nouveaux rapports professionnels
43Les rapports que journaux et journalistes camerounais entretiennent avec internet et les autres univers numériques ont déjà fait l’objet de quelques travaux (Ngounou, 2010), (Jumbo, 2009), (Ouendji, 2008), (Atenga, 2004), (Alega Mbele, 2001), (Njoky Youmba, 2000), (Lewatt, 1999), (Ntsouala, 1999), etc. Ils s’insèrent dans le champ des usages et appropriations que ces outils induisent dans les transformations des pratiques professionnelles. Ils se recoupent sur le fait que internet sert à accéder à la production des autres médias, aux archives, à la presse spécialisée. Il permet de consulter sa messagerie, rechercher de nouvelles sources, des données, transmettre des articles, des photos, etc.
44De par ses caractéristiques et son fonctionnement, « 237 médias » peut être qualifié de forum de discussion. Les travaux développés dans le cadre de la Communication médiatisée par ordinateur (CMO) entendent par forum de discussion, un dispositif polylogal et asynchrone. Dispositif construit sur les relais, ordinateurs, smartphones, tablettes et internet, avec à chaque extrémité, des émetteurs/récepteurs, des observateurs, et, si possible, un, ou des modérateurs (Atifi et al., 2011). Le post de la page d’accueil indique que « 237 médias » est
45« un support à l'intention des femmes, des hommes et organisations de médias du Cameroun, qu'ils soient publics ou privés. Il s'agit ici de partager : les informations et alertes utiles entre professionnels, les joies et les peines du métier entre professionnels et avec les jeunes étudiants inscrits sur ce réseau, les voies et moyens envisagés pour améliorer les conditions de travail des professionnels, les idéaux de la profession toute autre chose souhaitée par un nombre significatif de membres du réseau ».
46Ce forum se veut donc un dispositif qui raccorde des individus et des terminaux hétérogènes à des services et des contenus diversifiés. A défaut de modérateur, certains forums ont des chartes de bonne conduite. Ce qui n’est pas le cas de « 237 médias ». Qui, en plus de toutes les caractéristiques évoquées, peut aussi être considéré comme une liste de discussion privée puisque les messages diffusés n’émanent que des membres pour n'être lus en premier lieu que par les autres membres.
47Pour (Atifi et al., 2011) les forums de discussion permettent à plusieurs personnes d’échanger à l’aide du courriel : les abonnés à une liste reçoivent directement dans leur boîte de messagerie les messages qui les intéressent et ils peuvent répondre à l’aide du même moyen. Un forum de discussion est par conséquent un dispositif qui instaure une situation de communication problématique et permet de mettre en œuvre des expérimentations. Les forums sont donc intéressants non pas parce qu’ils permettent certaines activités mais au contraire, parce qu’ils les rendent difficiles à réaliser, en raison de leurs spécificité. A sa suite on peut ajouter que les forums de discussion sont des objets de recherche féconds parce qu’ils proposent des corpus facilement accessibles et un espace dans lequel l’observateur ne laisse pas de traces (Marcoccia, 2003). Ils sont d’un intérêt phénoménologique en ce sens qu’ils permettent d’observer et décrire de nouvelles pratiques communicationnelles, informationnelles, conversationnelles qu’ils font émerger, favorisent ou accompagnent au plan social, politique, professionnel, etc.
Un forum pragma dialectique
48Les discussions en ligne participent à la fois de la conception de l’espace public habermassien et de la démocratie délibérative. Si « 237 médias » épouse ces contours, le modèle de discussions qui s’y développe est de type pragma-dialectique (Eemeren, Grootendorst, 2004). Comprendre une discussion pragma-dialectique, c’est analyser les motivations du discours, son intégration en situation d’interaction, les effets qu’il produit sur l’action sociale, l’évaluation systématique des arguments avancés par les différents locuteurs. La pragma-dialectique est à la fois méthode et outil d’évaluation des dynamiques de l’argumentation et des discussions. Elle accorde de l’importance non seulement à la confrontation, mais aussi à l’interactivité et à l’organisation des échanges. C’est ce qui fait dire à Elisabeth Benkam, 18 ans de métier que la confrontation dans « 237 médias » est « utile en ce qu’elle permet l’apprentissage du débat contradictoire »1. Un point de vue partagé par 57% des 220 journalistes enquêtés dans le cadre ce travail. Gony Waday, 14 ans d’expérience ne dit pas autre chose quand il affirme que le forum permet « de porter sur la place publique des journalistes des questions qu’aucun cadre n’offre ; de mettre en exergue la corruption dans les médias, les mauvaises pratiques professionnelles, etc. Au fil du temps, mais très très lentement, la rude confrontation peut servir à améliorer les pratiques et donc la qualité de l’information »2.
49Son propos met en relief le potentiel émancipateur et démocratique d’internet qui renouvelle les pratiques de discussions et d’échange entre confrères. Derrière son clavier, on peut se permettre de leur dire des choses qu’on n'aurait pas eu le courage de dire en face. Le forum s’inscrit dans la sphère dite de la communication globale, sans contraintes. « Même s’il y a beaucoup d’invectives et de règlements de comptes, chacun tire quand même son épingle du jeu. D’où le succès du forum »3, déclare Tchatchouang Jean-Marie, Directeur de publication de l’Hebdomadaire Paroles. Internet est perçu comme un nouveau territoire professionnel d’expression de la liberté et de soi (Vedel, 2003). Reinghold (1993) a dans cette perspective, fait d’internet une agora où s’inventent de nouvelles formes de prise de parole sur soi et sur autrui qui sont constitutives de la démocratie directe. « Quand ça ne touche pas à la vie privée, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’un collègue utilise le forum pour reprendre vertement un autre sur son travail ou ses manquements professionnels »4, explique à son tour Kamtchang Joël, journaliste au quotidien Mutations.
50Si internet reconfigure ainsi les conditions des rapports sociaux y compris entre confrères, cela tient, d’après Dahlgren (2005) à trois raisons principales : la première, structurelle, est liée à l’écologie politique du journalisme comme métier ainsi qu’aux institutions médiatiques où il se produit. Il est ainsi porteur d’enjeux touchant à la liberté de communication des professionnels eux-mêmes. La seconde renvoie aux représentationset imaginaires du métier et de la qualité des contenus qu’il sert au public (impartialité, complétude, vérifiabilité, etc.). Internet permet de discuter de ces questions au-delà du cadre souvent inhibant de la salle de rédaction. Enfin, la troisième raison est interactionnelle, c’est-à-dire associée à la réception et à l’usage de ce média, des contenus qu’on peut y faire circuler. De façon plus significative les différentes formes d’interactions discursives entre individus, groupes qu’il rend possible. Avec des situations empiriques différentes, Linaa Jensen (2003), Dumoulin (2002), Wilhelm (2000), montrent qu’internet rend facile certains types d’actions : affirmer une opinion, réclamer une information, injurier quelqu’un, etc., autant de variables qui permettent de mesurer le caractère délibératif des discussions dans un forum. Dans celui qui nous occupe, toutes ces variables s’observent, même si nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux polémiques.
Un forum aux modalités de discussion non prescrites
51Décrivant les modalités de discussion dans le cyberespace, Dumoulin (2002 : 157) arrive à la conclusion que « l’idéal démocratique athénien ne se retrouve pas dans le contenu des forums », en tout cas ceux qu’il a étudiés. S’il érige le modèle athénien comme paradigme atemporel de la délibération, au mépris des ambiguïtés historiques, il veut tout simplement montrer que nombre de plateformes internet de discussion ne disposent pas de modalités prescrites pour le déroulement d’un débat. « 237 médias » entre dans cette catégorie. Là aussi, plus de 60% des enquêtés s’en accommodent estimant qu’une telle approche permet à tout le monde d’exprimer sa pensée. C’est dire que ses membres ont intégré la confrontation violente comme modalité non prescrite, mais opérante et déterminante dans leurs échanges. Keane (2000) et Mouffe (2000), chacun à sa manière, pensent que l’espace public traditionnel et la démocratie délibérative suscitent des formes d’exclusions en termes de modes d’expressions publiques non rationnels et de relations de pouvoir, de domination. Internet garantit le caractère pluriel et la diversité des opinions et des discussions, mais permet aussi de contourner les prescriptions et la civilité de l’espace public habermassien.
52Quand il n’existe pas des modalités prescrites des discussions en ligne, les interactions sont plus spontanées, plus complexes. C’est pourquoi nous avons qualifié ce forum de pragma-dialectique au sens où il est une théorie de l’argumentation, un phénomène de communication, un registre de discours caractérisé par l’utilisation du langage pour la confrontation, la polémique, mais aussi la résolution d’une dispute. Internet est propice à cela en tant qu’espace public qui s’inscrit dans une théorie générale des nouvelles formes de prise de parole en société par des individus ou des groupes en quête d’identité et de sens. Ces prises de paroles peuvent se fonder sur une argumentation dynamique, antagonique, consensuelle, compétitive, collaborative.
Un dispositif d'élargissement de l'espace public médiatique
53Du point de vue idéologique les forums de discussion sont la réalisation d’un idéal politique : celui de la défense de la démocratie, de la liberté d’expression, du partage des connaissances, du respect des différences, etc. (Atifi et al., 2011). En ce sens, ils participent de l’élargissement de l’espace public médiatique. « 237 médias » apparaît comme un dispositif stratégique soit pour atteindre rapidement et à peu de frais une large partie des journalistes et communicants camerounais, soit comme une tribune libre où l’on vient s’épancher, prendre position, ferrailler avec les autres sur des sujets divers. Il contribue à l’émergence de modes nouveaux de prise de parole publique, favorise l’émancipation et la valorisation des singularités de manière plus ouverte, plus directe, plus participative. Il désenclave l’espace public traditionnel verrouillé par des connivences de toute nature entre figures dominantes de la profession et pouvoirs (ethno-régionaux, politique, économique, etc.). Il ouvre la porte à de nouveaux énonciateurs qui tentent de contester l’autorité de ceux qui bénéficiaient jusqu’alors du monopole d’accès à cet espace public. Il favorise ce que Cardon (2008) nomme la libération des subjectivités. De nos années d’observation « 237 médias » peut se saisir comme un dispositif au sens de Peraya (1999 ; 153) à savoir,
« ensemble de moyens mis au service d’une stratégie, d’une action finalisée, planifiée visant à l’obtention d’un résultat […]. Une instance, un lieu social d’interaction et de coopération possédant ses intentions, son fonctionnement matériel et symbolique, enfin, ses modes d’interaction propres ».
54C’est un dispositif qui conduit à la production de liens sociaux qui résultent à la fois de « l’expression de la subjectivité » et de « l’incorporation dans la collectivité » (Jouet, 1993 : 110). Dans « 237 médias », le journaliste est à la fois usager d’internet et usager d’un dispositif socioprofessionnel stratégique portant des significations individuelles ou collectives qui relèvent de la « technicisation » des modalités d’affirmation de soi et des modalités de prise de parole. Ce n’est qu’un forum. Il ne détermine pas à lui seul le comportement des journalistes et communicateurs camerounais depuis 2009. Mais par l’élargissement de la sphère publique à laquelle il contribue sous la pression de nouveaux locuteurs, de groupes professionnels et autres acteurs tirant bénéfice de son existence, il formate et détermine socialement l’action des centaines de ces membres, au-delà des disparités de fréquence et de significations que revêtent les pratiques des uns et des autres.
Conclusion
55Ce travail a pris le forum « 237 médias » comme un espace/temps où les journalistes camerounais viennent fabriquer des modes de légitimation et de délégitimation des uns et des autres. C’est un forum qui repose sur la polémique et la cacophémie comme modalités discursives et argumentatives. Cette violence qui va de l’injure à l’obscène, de l’outrance à la vindicte s’origine dans la violence plus globale qui travaille l’autoritarisme camerounais en décomposition. Nos années d’observation nous permettent aussi d’affirmer que ces polémiques et cacophémies contribuent à la fragmentation, à l’hétérogénéité et au désordre du champ journalistique camerounais déjà bien enserré par d’autres formes de dominations. La violence constitutive des échanges sur « 237 médias » se perçoit dans la manière dont ses membres se saisissent de certaines questions d’intérêt général, et à la manière dont ils mettent l’actualité et le monde en nouvelle. Une mise en récit du monde étant une médiation qui permet au destinataire d’en saisir les buts, les causes, les hasards, l’intrigue et de se (re)figuer à son tour le monde. En somme, « 237 médias » permet de comprendre comment les journalistes camerounais parlent d’eux-mêmes, se parlent entre eux, parlent du monde. En d’autres termes, comment ils se (re)figurent dans leur métier et quelles (re)figurations du monde en émergent. Le choix d’appartenir à ce forum, et le désir de continuer à en faire partie malgré la brutalité des confrontations verbales, démontre son importance pour nombre de journalistes camerounais. Il participe des mutations des identités professionnelles et de la sphère démocratique que l’espace/temps internet impose aujourd’hui à toutes les activités humaines. L’espace public médiatique traditionnel impose des formes de distanciation et de civilité qui fabriquent de l’exclusion. L’exclusion entraîne la violence. Ce qui peut expliquer celle dont sont empreints les échanges sur « 237 médias ». Il n’est pas un espace public homogène et policé. La diversité de ses usagers et membres en fait un dispositif stratégique, une tribune où ils viennent légitimer leur expression publique, pour parfois s’en servir dans l’espace public oligarchique. Entre les utilisateurs passifs (observateurs) comme l’auteur de ce travail, et les utilisateurs qui génèrent des contenus, les stratégies des acteurs de « 237 médias » s’inscrivent dans la complexité des dispositifs communicationnels médiés, médiatés ou médiatisés. Ils sont chargés de symboliques et d’imaginaires pas toujours aisément traçables. Difficulté que relève d’ailleurs Jeanneret (2005) quand il se demande si la technique est porteuse du symbolique de la société d’information et de communication, ou vecteur non-dit de pratiques sociales, ou si les deux mouvements sont plus complémentaires qu’exclusifs ? Le forum des journalistes et communicateurs camerounais assure ainsi une fonction de médiation de nature technologique, professionnelle, sociale, cognitive à travers la circulation de contenus lestés de diverses significations à l’intention des membres et au-delà. Puisqu’un des débats récurrents dans le forum est le fait que certains membres font circuler ailleurs des fils de discussions de « 237 médias ». Plusieurs messages laissent d’ailleurs entendre que des personnalités (Ministres, DG de société, etc.) se seraient fait inscrire par des pseudos pour suivre elles-mêmes quotidiennement les échanges.
56Internet est propice à cela en tant qu’espace public qui est le prolongement d’une théorie générale des nouvelles formes de prise de parole en société par des individus ou des groupes en quête d’identité et de sens. Ces prises de paroles peuvent se fonder sur une argumentation dynamique, antagonique, consensuelle, compétitive, collaborative (Van Eemeren et al., 1999). En somme, étudier comment les journalistes se parlent dans un forum de discussion est riche d’enseignements pour comprendre ce qui se joue dans « une société qui ne sait plus communiquer avec elle-même, dont la cohésion est contestée, dont les valeurs se délitent, que des symboles trop usés ne parviennent plus à unifier » comme l’écrit Lucien Sfez (1991 : 4).
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Notes
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