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Laurent Fabius aux Affaires Étrangères : un ministre différent ? Stratégies de communication politique d'un homme au pouvoir
Résumé
Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères entre 2012 et 2016 communique-t-il autrement alors qu'on ne lui prête plus d'ambition présidentielle ? L'étude du "triangle de la communication" permet d’étudier une hypothèse, celle d'une continuité à la fois dans la politique de communication d'un homme d'Etat comme des représentations, à partir d’une étude de cas sur la communication de Laurent Fabius depuis 1981.
Abstract
Laurent Fabius was Prime minister from 1984 to 1986. Does he communicate differently now we lend him no more presidential ambition? The study of the « triangle de la communication » (media, opinion, politicians) shows if we can define a specific communications strategy to the Minister.
Table des matières
Texte intégral
Introduction
1Figure d’homme d’Etat incontournable en France et actuel président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius bénéficie de l’image d’un sage de la République. Pour autant son image, très marquée et durablement admise, est également partagée autour des figures du « technocrate » et du « grand bourgeois » qui participeraient davantage à définir une personnalité politique de droite que de gauche. Conscient de ces marqueurs d’altérité au sein de sa famille politique, auxquels s’ajoute « l’affaire du sang contaminé »1, Laurent Fabius s’efforce durant son parcours politique de légitimer son appartenance « socialiste » pour justifier notamment une candidature aux primaires de 2006. Malgré cet échec - Ségolène Royal est la candidate du Parti socialiste choisie par les militant-es- Laurent Fabius devient en 2012 Ministre d’Etat, 2ème dans l’ordre protocolaire, et parvient progressivement à se forger une identité de sage en politique, quasi incontestée aujourd’hui, comme en témoigne la récente COP21. Lors de ce passage au Quai d’Orsay il fait d’ailleurs partie des ministres les plus populaires du gouvernement2. Tout semble se passer comme si, une fois débarrassé de ses oripeaux de présidentiable, l’opinion française mesurée par les instituts de sondages finissait par saluer majoritairement son action.
2Communique-t-il autrement alors qu'on ne lui prête plus d'ambition présidentielle ? C’est par une approche historique, basée sur un travail de recherche en doctorat3, mêlée à l’étude du « triangle de la communication »4, identifié par la sociologie de la communication politique, que nous proposons de déterminer quelle serait la spécificité d’une stratégie de communication au prisme du statut et des ambitions d’une personnalité politique, réelles ou supposées. L'hypothèse à travers cette étude de cas, est celle d'une continuité à la fois dans la politique de communication d'un homme d'Etat comme dans son traitement médiatique et des représentations qui en découlent. Nous étudierons, successivement, les stratégies de communication et les représentations médiatiques de Laurent Fabius en tant que ministre5 avant et après les primaires socialistes pour l’élection présidentielle de 2007 afin de déterminer si des spécificités sont identifiables lorsqu’il est ministre des affaires étrangères pendant la présidence de François Hollande (2012-2016).
Stratégies de communication et image d’un présidentiable : L. Fabius 1981-2006
Un ministre sans « communiquant »
3L’ascension politique de Laurent Fabius est rapide. Nommé premier ministre à 37 ans, il a occupé une place centrale dans la vie politique française et de nombreux commentateurs politiques ont perçu chez lui l’ambition de vouloir devenir président de la République française lorsqu’ils ne lui prêtaient pas ce destin. Chef de gouvernement, à partir de 1984, sensé devoir redonner un souffle au septennat de François Mitterrand, Laurent Fabius est rapidement consacré comme sachant bien communiquer. Pour ne citer que les politologues J.-M. Cotteret et G. Mermet dans leur ouvrage La bataille des images, paru en 1986, Laurent Fabius y est décrit comme ayant l’image d’un homme « si brillant et si charmant, si moderne aussi dans son apparence et sa façon de parler6 ». Laurent Fabius est pour ainsi dire né avec la nouvelle communication politique7. A ce titre ses ressources en la matière sont nombreuses, à commencer par celles que lui procure sa proximité avec le candidat François Mitterrand pour l’élection présidentielle de 1981. Par-delà l’expérience politique et des relations avec les médias que cette proximité lui procure, lorsqu’il dirige son cabinet de 1976 à 1979 avant de devenir porte-parole du Parti socialiste en 1979, c’est dans le cercle proche de François Mitterrand qu’il noue des relations avec des spécialistes des médias et de l’opinion publique. Parmi eux, Françoise Castro, réalisatrice, avec qui il se mariera, ou encore Jo Daniel, « publicitaire-militant8 » passé par Publicis et la SOFRES et Gérard Unger, également issu de l’agence Publicis. Il noue également des relations avec de nombreux journalistes et collabore avec d’anciens étudiants de la prestigieuse école Normale Supérieure. Fort de ses relations, il ne nomme pas pour autant, lorsqu’il occupe une fonction ministérielle, de conseiller en communication. Il se contente de recueillir les opinions de son entourage dont certains, par leurs expériences, détiennent le profil d’un conseiller en communication sans en avoir le titre officiel.
Des stratégies de communication saillantes
4Cette communication, bien que reposant solidement et de façon classique sur la presse écrite, passe notamment par l’audiovisuel. En effet, Laurent Fabius dans les années 1980 se distingue parmi la classe politique française comme étant particulièrement assidue à la télévision.
Source : Inathèque
5Outre ses nombreuses interviews dans les magazines politiques et les journaux télévisés, il communique, en tant que premier ministre de François Mitterrand, une fois par mois à la télévision dans une émission spécialement consacrée à son action, nommée « Parlons France ». Sur la première chaîne de télévision française, il répond, de son bureau à Matignon, aux questions – consensuelles- du journaliste Jean Lanzi. Son discours intègre les paramètres du discours « moderne » tel qu’il est conçu par les publicitaires et autres professionnels de la communication : « simplicité du langage, consensualité à l’image, parler franc.9 » Ce choix de la télévision, comme vecteur privilégié de sa communication, n’est pas suffisant pour conserver une popularité certaine acquise à la moitié des années 1980. Le débat télévisé, auquel il participe en 1985 contre l’un des leaders de la droite française – et futur président de la République française – Jacques Chirac, entamera davantage une popularité en perte de vitesse. Laurent Fabius, donné « favori » du débat pour ses talents dans le petit écran, sera majoritairement jugé mauvais par les commentateurs politiques et les sondages.
6La télévision, en ce qu’elle confère de sensible à une communication, s’articule chez Laurent Fabius avec une volonté d’apparaître, certes dans l’ère du temps mais aussi comme un homme simple par opposition à ses origines bourgeoises. Il doit en effet contrer des stigmates susceptibles d’entacher son image auprès des Français. Cela passe donc par le langage, mais aussi toujours par le biais de l’iconographie par une mise en scène de la vie quotidienne comme en témoignent les photos que nous pouvons trouver dans un de ses livres politiques, ou encore les anecdotes fameuses qui circulent à son encontre, lorsqu’il serait allé chercher des croissants en chaussons où qu’il est arrivé à l’hôtel de Matignon en 2 chevaux avec des couches pour bébé sur la plage arrière du véhicule.
Extraits des photographies de Laurent Fabius dans son ouvrage paru en 1985
Source : Laurent Fabius, Le Cœur du futur, Paris, Calmann-Lévy, 1985
7Ainsi, dans une volonté de modeler son image à sa façon, Laurent Fabius répond aux exigences de son temps en exploitant à ses fins une part de sa vie privée et en multipliant les déplacements dans des lieux symboliquement modernes, tels une usine de fabrication d’avions ou un centre d’informatique dans les années 80. De la même façon, il écrit dans l’un de ses ouvrages en 200310 suivre le télé-crochet Star Academy. Tranchant toujours avec le milieu social dont il est issu, et son engagement politique, il met en avant son ancrage d’élu local lorsqu’il évoque la circonscription ouvrière où il est élu. C’est ainsi en se confondant dans la modernité supposée qui doit être celle d’une figure politique, et en contrant les stigmates de son image, que Laurent Fabius cherche à se bâtir une stature de « présidentiable ».
Une image contrastée : le leader calculateur
8Malgré les louanges dont il a fait l’objet pendant les années 1980, sur sa façon de communiquer notamment, les commentateurs politiques ne démordent pas des stigmates de ses propriétés personnelles et l’affaire du sang contaminé notamment, qui dure près d’une décennie, ne lui permet pas de renouer avec ses côtes de popularité d'antan. La façon dont il se présente dans les médias se retourne parfois contre lui.
9Se dessine progressivement l’image d’un homme carriériste. Lorsqu’il se distingue du président qui l’a nommé chef de gouvernement, lors d’un magazine politique en 1985 en affirmant à propos de F. Mitterrand « lui c’est lui, moi c’est moi11 » les journalistes politiques, tout en louant son aisance à la télévision, pense mettre à jour une stratégie d’image. Le quotidien Le Monde commente ainsi l’attitude de Laurent Fabius à la télévision : il s’agirait, pour Laurent Fabius, de « […] surtout, mettre en valeur le bilan de sa propre action afin, notamment, de corriger l’image d’un premier ministre plus prompt à se protéger qu’à décider »12. Ce type de commentaire accrédite le caractère artificiel d’un homme, et donc de sa communication, qui aurait pleinement conscience d’avoir une image à « retoucher ». Dans le « palmarès » des hommes politiques réalisé par J.-M. Cotteret et G. Mermet13 en 1986 à partir d’une étude lexicologique, seuls 4,8% le trouvent « honnête et sincère ». L’image d’un homme politique préserve un caractère incertain et incontrôlable comme le notent Dominique Wolton et Jean-Louis Missika qui parlent d’un « double statut de l’image » :
« Il y a donc toujours simultanément dans l’image une reproduction de la réalité et une signification intentionnelle, apportée par l’auteur. Mais l’on comprend que la reproduction déborde toujours la signification intentionnelle et offre une pluralité de significations aléatoires qui sont les manifestations de la présence du réel. C’est la conséquence du double statut de l’image : elle exprime plus que l’intention de celui qui la fait. Elle offre au spectateur un moyen d’accéder à la réalité qui échappe à l’intention de l’auteur. C’est à ce phénomène qu’il faut sans doute rapporter l’impression fréquemment formulée que la télévision est « incontrôlable », car ce qui échappe au contrôle, c’est-à-dire l’intention, c’est l’ensemble des significations charriées par la reproduction mécanique de la réalité.14 »
10Laurent Fabius n’aura de cesse de chercher à contredire ces stigmates, allant jusqu’à les démentir mot pour mot. Lorsqu’on l’interroge, en 2003, sur son goût supposé pour les émissions de télé-crochet musical, il répond :
« Je ne vois pas pourquoi, non plus, je cacherais que j'aime bien Star Academy. La moitié de mes copains me disent : « Arrête tes balivernes, tu ne peux pas aimer cette émission ! » L'autre moitié est embarrassée...La réalité est plus simple : j'apprécie, je crois ne pas être tout à fait le seul, et je le dis. Ce qui ne m'empêche pas de goûter aussi la poésie et la peinture.15 »
11Il affirme ainsi vouloir renouer le « contact » avec « le peuple »16.
12Synthétisés ainsi, ces traits d’une stratégie de communication et l’image de Laurent Fabius varient sensiblement après son échec pour être le candidat du Parti socialiste pour l’élection présidentielle de 2007.
Habiter, et représenter le Quai d’Orsay : quelle(s) spécificité(s) ?
Des stratégies médiatiques classiques
13 Nommé ministre des affaires étrangères après l’élection de François Hollande à la présidence de la République en 2012, Laurent Fabius perpétue son retour sur la scène politico-médiatique française depuis la campagne électorale. Le poids qu’il représente au sein du Parti socialiste et le rôle actif qu’il a tenu pendant la campagne du candidat Hollande le conduisent logiquement à devenir ministre. C’est donc avec un portefeuille ministériel stratégique dans un gouvernement qu’il est rapidement présenté par la presse comme un homme d’Etat d’expérience dont la nomination surprend peu (l’ « affaire du sang contaminé » est malgré tout rappelée par les journalistes qui commentent son entrée dans le gouvernement, ainsi que son soutien à l’adversaire de François Hollande lors de la primaire de 2011, Martine Aubry). Son portefeuille est élargi après la nomination de Manuel Valls comme chef du gouvernement en 2014, il est nommé ministre des affaires étrangères et du développement international. Cette dénomination doit désigner ce que Laurent Fabius explique dans une interview donnée dans le journal économique Les Echos : il explique vouloir étendre son action « vers trois filières à fort potentiel : le sport, (…) la transition énergétique, parallèlement à la préparation de la Conférence mondiale sur le climat fin 2015 à Paris ; enfin le tourisme17 ». Il devient ainsi le numéro deux du gouvernement dans l’ordre protocolaire, après le premier ministre. Ces fonctions l’amènent à multiplier ses interventions dans les médias et renforcent sa stature d’homme d’Etat. Par comparaison avec ses expériences ministérielles passées, les supports privilégiés pour communiquer en priorité ne varient pas, ou peu.
14S’agissant de l’implication du ministre sur la toile, l’adaptation de cette figure connue de la vie politique française aux nouveaux médias est modérée. Il dispose d’un site internet classiquement ordonnancé entre une rubrique d’actualité ministérielle et médiatique, une rubrique biographique et une rubrique sur son action dans son territoire d’élection – la Normandie. Les fils d’actualités de ses profils sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter diffusent un contenu consensuel et uniquement destiné à son action en tant que ministre et ses déplacements en Normandie lorsqu’il s’agit pour lui de se présenter pour soutenir les élu-es considéré-es comme « fabiusien-nes ».
Extrait du compte Twitter de L. Fabius
15Faisant figure de « bon élève », à la hauteur des exigences d’une communication politique de nos jours, son équipe a organisé quelques sessions d’échanges directes avec les internautes via le réseau social Twitter. De son point de vue de son quart d’heure mensuel sur TF1 « Parlons France », lorsqu’il était premier ministre, à ce type d’échanges avec des internautes, l’implication de Laurent Fabius pour communiquer sur son action ministérielle est l’une des continuités spécifiques à sa communication. Cependant le choix des supports de communication et l’usage qu’en fait Laurent Fabius n’est plus saillant dans cette décennie.
L’homme derrière le ministre : un homme au service de sa fonction
16Une autre différence dans la politique de communication de Laurent Fabius, depuis qu’on ne lui prête plus d’ambition présidentielle, réside dans la façon dont il se présente et dont il se met en scène. Même si le support de communication qu’il privilégie reste l’audiovisuel, il se cantonne, concernant ses interviews, à des émissions d’actualité. Il ne participe pas à des magazines politiques comme le font d’autres figures politiques, ni même à des émissions de divertissement comme il a pu le faire auparavant. Peut-être est-ce là un des marqueurs du basculement du statut de présidentiable à celui, unique, de ministre d’Etat, sous-entendant ici que Laurent Fabius ne s’exprime qu’en faveur des intérêts de son action ministérielle et de celle de l’exécutif en général18. Une exception, notable toutefois, survient lorsque les rumeurs sur la démission du premier ministre Jean-Marc Ayrault interviennent en janvier 2014. Laurent Fabius fait l’objet d’un article dans le magazine people Paris-Match, pour lequel il peut avoir posé19, alors qu’il est pressenti par les médias comme le successeur de J.-M. Ayrault.
Source : www.parismatch.com (www.parismatch.com/Actu/Politique/Sur-la-route-de-Matignon-545579
17L’article titré « Sur la route de Matignon » le montre marchand le long de la Seine en direction de son ministère après une entrevue avec le chef de l’Etat comme l’indique la légende20. Pour autant cette particularité ne permet pas d’affirmer que Laurent Fabius cherche à communiquer sur sa personne tel qu’il a pu le faire auparavant avec l’ambition d’être élu président. En effet, le cadre des interviews télévisées qu’il donne prête moins à communiquer sur sa personne, si tant est que la vie privée de l’interviewé ne fasse pas l’actualité. Ensuite parce qu’à regarder dans le détail à quels programmes d’actualité il participe, il ne privilégie pas les programmes des chaines d’informations en continu dans lesquels les leaders politiques ambitieux ont tout intérêt à se présenter21.
Somme des occurrences (interview de L. Fabius à la télévision) par genre et par année. Juin 2012-Décembre2015
Source : INAthèque
18Ces choix, en revanche, assurent une bonne redondance dans le système médiatique français puisqu’une interview donnée au journal télévisé est institutionnalisée et largement reprise dans les médias. Laurent Fabius accorde exclusivement des interviews sur les plateaux des chaines d’information en continu lorsque celles-ci sont organisées en partenariat avec un quotidien de la presse française et une radio. Il continue cependant, depuis les années 1980, de se mettre en scène au service d’un message. Comme nous l’avions démontré dans un mémoire de recherche sur la communication politique de L. Fabius premier ministre de François Mitterrand22, la stratégie de communication choisie par celui-ci devait permettre de symboliser l’un des maîtres mots de son discours de politique générale prononcé à l’Assemblée nationale après sa nomination : la modernité. L’exemple de la Conférence de Paris sur le climat en 2015 – COP21-, qu’il préside, est de ce point de vue significatif. Lorsqu’il fait la une du magazine Aujourd’hui en France, Parisien magazine, au printemps 2014, posant à la façon d’un présentateur de météo23, à l’occasion d’un dossier sur le réchauffement climatique, cela suscite l’intérêt des médias. Trente ans plus tard, lorsqu’il devient « Monsieur météo » sur cette une il se met en scène pour symboliser son action. Le site internet du Parisien revient sur le « making-off » de cette une : L. Fabius refuse de poser avec un ours polaire naturalisé, « Refus ferme, mais argumenté : l'image ne serait pas assez proche des gens24 » écrit le quotidien.
Laurent Fabius pose en « monsieur météo » contre le réchauffement climatique
Source : Aujourd’hui en France/Parisien Magazine, 20 juin 2014
La persistance de la représentation médiatique, mais une popularité plus grande
19La perception qu’ont les journalistes de la personnalité de L. Fabius évolue peu, ses origines sociales et culturelles étant toujours prégnantes dans le cadrage médiatique dont il fait l’objet. Certains moquent la façon dont le ministre a posé en « monsieur-météo ». Le quotidien Le Figaro s’interroge, « le ridicule peut-il tuer en politique ? » : 10 ans après qu’il ait communiqué sur son goût pour l’émission télévisée Star Academy, il recommence à propos d’un autre télé-crochet musical, The Voice comme le remarque le blog de la radio Europe 1 Le lab « 2003-2013 : Laurent Fabius est passé de la Star Academy à The Voice25 ». « Si, si, si » assure le journaliste, soulignant par-là l’étonnement que ce type de phrase peut susciter. Par ailleurs, lorsque le ministre doit déclarer son patrimoine différents médias ne manquent pas de mentionner qu’il est le ministre « le plus riche du gouvernement ».
20Cependant, ce qui peut être considéré comme une empreinte négative de son image et qu’il a tenté de gommer n’empêche pas au ministre d’être un membre du gouvernement favori des sondages ni même de dépasser celui qui était le plus populaire du gouvernement, futur premier ministre Manuel Valls, dans ce classement26. Le Journal du Dimanche va jusqu’à parler de revanche27, Le Parisien de « retour en grâce »28.
Conclusion
21Laurent Fabius ministre, après son échec aux primaires socialistes pour l’élection présidentielle de 2007, communique différemment. Même si les supports de communication privilégiés par L. Fabius restent les mêmes avant et après qu’on ne lui prête plus d’ambition présidentielle, on peut repérer une rupture relative. De plus, s’efforçant toujours d’incarner, en se mettant en scène, son action politique, force est de constater que les traits qui caractérisaient sa communication depuis les années 1980 évoluent. L’homme semble s’effacer derrière la fonction qu’il incarne. Paradoxalement, les sondages lui sont davantage favorables lorsque l’homme d’Etat prime ainsi sur l’homme politique.
22L’étiquette de « sage de la République » que beaucoup lui prêtent depuis son retour en tant que ministre en 2012 est cohérente avec une stratégie de communication qui n’est pas offensive. Sa mise à l’écart du phénomène de horse race, qui caractérise la vie politique française, n’exhorte pas les commentaires journalistiques à commenter les actions de L. Fabius de la même façon qu’ils le font pour d’autres figures politiques29. Cela contribue, autant que la stratégie de communication de L. Fabius, ainsi au mythe du sage.
Notes
1 Cette expression désigne le scandale autour de la distribution de sang contaminé par le virus du sida à des hémophiles de 1984 à 1985. Les ministres de l’époque, Laurent Fabius – chef du gouvernement -, Georgina Dufoix et Edmond Hervé ont été jugés devant la Cour de la justice de la République. Laurent Fabius et Georgina Dufoix sont innocentés le 2 mars 1999. L’image de Laurent Fabius n’en est pas moins atteinte après un scandale qui a éclaté en 1991.
2 En mars 2014, différents sondages, tels l’indice de satisfaction des sondés à l’égard des membres du gouvernement mesuré par l’IFOP ou encore un sondage exclusif mené par BVA pour le Parisien publié le 9 mars, le donnent ministre favori des Français.
3 Ce travail en cours porte sur la communication politique de Laurent Fabius de ses débuts en politique jusqu’à sa nomination en tant que président du Conseil constitutionnel en 2016.
4 Composé des femmes et hommes politiques, des médias et de l’opinion, J. Gerstlé expose ce cadre d’analyse dans son ouvrage La communication politique, Paris, PUF, 1992
5 Laurent Fabius a été secrétaire d’Etat puis ministre du gouvernement Pierre Mauroy (1981-1984) avant d’être nommé premier ministre entre 1984 et 1986. Il est, dans le gouvernement Jospin ministre de l’Economie et des finances (2000-2002) succédant à Christian Sautter, victime d’un projet de réforme controversé, puis ministre des affaires étrangères à partir de l’élection de François Hollande à la présidence de la République dans les gouvernements Ayrault puis Valls avant de quitter son poste en 2016.
6 Jean-Marie Cotteret et Gérard Mermet, La bataille des images, Paris, Larousse, 1986, p. 59.
7 Né après la guerre, Laurent Fabius entre dans le giron des cercles mitterrandistes au moment où la gauche socialiste commence à s’adapter aux exigences de la « nouvelle communication politique ». Sur ce point, voir Pierre-Emmanuel Guigo, « L’institutionnalisation de la communication politique : l’exemple du Parti socialiste (1971-1981) » in R. Cayrol et J.-M. Charon (dir.), Medias, opinions et présidentielles, Paris, Ina Editions, 2012, pp. 27-35.
8 Jo Daniel, qui a été l’un de ses conseillers dans l’ombre avant de diriger son cabinet lorsque L. Fabius est président de l’Assemblée nationale, explique former une « bande des quatre » à cette époque avec F. Castro, G. Unger et L. Fabius. Entretien de recherche avec Jo Daniel, 20 juin 2014, Paris.
9 A. Chauveau, « L’homme politique et la télévision. L’influence des conseillers en communication », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2003/4 n° 80, pp. 89-100, p.97.
10 Laurent Fabius, Cela commence par une ballade, Paris, Broché, 2003
11 « L’heure de vérité », Antenne 2, 5 septembre 1984, Archives Ina
12 « Le Premier ministre à la télévision. M. Laurent Fabius veut faciliter l’aménagement du temps de travail », Le Monde, 5 septembre 1985
13 J.-M. Cotteret, G. Mermet, La bataille des images, op. cit.
14 D. Wolton, J.-L. Missika, La folle du logis : la télévision dans les sociétés démocratiques, Paris, Gallimard, 1983, p. 171.
15 Interview de Laurent Fabius par Paul Quinio et Renaud Dely, Libération, 6 novembre 2003
16 Ibid.
17 Interview de Laurent Fabius, Les Echos, 9 janvier 2014
18 Il faut en outre ajouter qu’il ne « fait » pas de « politique people » contrairement aux décennies précédentes lorsqu’il posait pour des magazines people comme Paris-Match. Cela n’a pas empêché que l’on aborde sa vie privée lorsque des scandales ont touché l’un de ses fils.
19 L’article ne mentionne pas que le ministre ait pu poser pour le magazine. On peut cependant le penser à voir la photo qui l’accompagne.
20 L. Fabius a démenti, le 30 octobre 2013, être intéressé pour être chef de gouvernement dans le journal télévisé de 20h de la chaîne TF1.
21 Sur le sujet, voir l’ouvrage de Thierry Devars, La politique en continu. Vers une « BFMisation » de la communication, Paris, Les Petits matins : Celsa Paris-Sorbonne, 2015
22 Léa Pawelski, Communication politique, représentation médiatique. L’exemple de Laurent Fabius premier ministre 1984-1986. Mémoire de recherche en master, Université de Rouen, 2013 (à paraître chez Nouveau Monde Edition).
23 Aujourd’hui en France/Parisien Magazine, 20 juin 2014
24 « Laurent Fabius en Monsieur Météo », Le Parisien.fr (www.leparisien.fr/politique/le-parisien-magazine-laurent-fabius-en-monsieur-meteo-18-06-2014-3933257.php. Page consultée le 25 juin 2016)
25 Paul Larrouturou, « 2003-2013 : Laurent Fabius est passé de la Star Academy à The Voice », Le Lab, Europe 1, (En ligne : www.lelab.europe1.fr/2003-2013-laurent-fabius-est-passe-de-la-star-academy-a-the-voice-8231. Page consultée le 20 juin 2016)
26 Une étude Ifop/JDD parue en mars 2014 indique que L. Fabius est jugé efficace pour 61% des sondés.
27 « Fabius, la revanche », Journal du Dimanche, 2 mars 2014 (En ligne : www.lejdd.fr/Politique/Fabius-la-revanche-655315. Page consultée le 4 mars 2014)
28 « Fabius, le retour en grâce ? », Le Parisien, 9 mars 2014
29 Le sociologue Philippe Riutort décrit ainsi le biais qu’impose la horse race sur le commentaire journalistique : « Le commentaire journalistique tend alors à devenir essentiellement prédictif et essayant d’anticiper en permanence les conséquences éventuelles des jeux tactiques auxquels se livrent les politiques, ainsi que leurs éventuels effets sur l’« opinion ». Les analyses politiques médiatiques […] reposent ainsi quasi exclusivement désormais sur l’emploi des sondages », P. Riutort, Sociologie de la communication politique, Paris, La Découverte, 2007, p. 92.
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