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Le dispositif publicitaire de melty’ing Post : quand la publicité se fait média
Résumé
Dans cet article, nous nous intéressons aux métamorphoses médiatiques et publicitaires à travers le dispositif publicitaire de melty’ing Post lancé en France le 5 mars 2015 par les régies M Publicité-RégieObs et meltyAdvertising. Ce dernier est caractérisé, entre autres, par un double espace dédié aux marques sur le Web : le content corner et la brand page.
Abstract
In this article, we will focus on the media and advertising metamorphoses through the melty'ing Post advertising system launched in France on March 5, 2015 by the advertising agencies M-Publicité-RégieObs and meltyAdvertising. The latter is characterized, among other things, by a double space dedicated to brands on the Web: the content corner and brand page.
Table des matières
Texte intégral
Introduction
1Dans cet article, nous nous intéressons aux métamorphoses médiatiques et publicitaires à travers le dispositif publicitaire de melty’ing Post lancé en France le 5 mars 2015 par les régies M Publicité-RégieObs et meltyAdvertising. Ce dernier est caractérisé, entre autres, par un double espace dédié aux marques sur le Web : le content corner (une rubrique de contenus de marques) sur le site melty et la brand page (une page dédiée aux marques) sur celui du Huffington Post. De plus, ce que propose cette association entre les deux pure players, c’est une double offre de « native advertising » (ou « publicité native » en français) avec des contenus produits à la fois par la rédaction de melty et celle du Huffington Post, et du contenu de marque identifié en tant que tel, administré par une équipé dédiée. D’un côté, les annonceurs se servent des pure players comme écrins médiatiques, de l’autre, le Huffington Post et melty utilisent la publicité pour générer des revenus et évoluer au sein de l’espace numérique, tout en facilitant l’expérience de lecture pour leur public. En effet, cette stratégie d’inclusion accentue les dimensions esthétique et expérientielle de la publicité par sa capacité à faire corps avec les deux pure players dans un contexte économique où les logiques du marché semblent prédominantes. La « publicitarisation », entendue comme une pression publicitaire sur les médias, prend donc tout son sens au sein de ce dispositif qui unit une cible éditoriale à une cible publicitaire recherchée par les annonceurs. « Parler de publicitarisation, c’est choisir de scruter ce que la publicité fait aux médias, dans leur forme et dans leur contenu ; c’est penser ensemble la création médiatique et le financement de l’entreprise ; c’est tisser délibérément ce qui est souvent analysé distinctement, à savoir les faits de culture et les questions économiques », explique Patrin-Leclère (2014, p. 41), spécialiste des transformations des médias au sein du Gripic1. Alors que le journalisme semble être en pleine redéfinition à l’heure du numérique (Charon et Papet, 2014 ; Le Cam et Ruellan, 2014 ; Degand et Grevisse, 2012), comment le melty’ing Post répond-il aux enjeux de l’interdépendance entre la publicité et le journalisme ? Pour répondre à cette problématique, nous étudierons le processus de signification de ce support hybride, à la fois médiatique et publicitaire. Autrement dit, qu’est-ce qui fait sens dans le dispositif de melty’ing Post ? Si la logique économique semble être à l’origine de cette association entre pure players, il nous semble important d’étudier la place que prennent les marques au sein du melty’ing Post, en tant que signes communicationnels autonomes.
2Nous privilégions une approche sociosémiotique, qui se distingue de l’approche sémiotique classique par sa vocation à élargir l’analyse à des problématiques socioculturelles (Semprini, 2007). Par conséquent, nous envisageons les marques comme des discours sociaux, indissociables de leur contexte d’énonciation au sein duquel elles évoluent. Dans un premier temps, après avoir présenté le dispositif publicitaire de melty’ing Post et la « publicité native », nous analyserons donc la cohabitation des contenus de marque (les articles de Suez Environnement publiésau sein du Huffington Post français seront pris comme corpus d’étude) avec les pure players qui les accueillent, ceci afin de mettre au jour le glissement sémiotique qui s’y opère. Puis, dans un second temps, davantage réflexif, nous replacerons le melty’ing post au cœur des enjeux symboliques qui redéfinissent les contours du journalisme sous le prisme publicitaire. Nous faisons l’hypothèse que ce dispositif publicitaire répond aux nouveaux enjeux de l’interdépendance entre la publicité et le journalisme par sa « médiativité » (Marion, 1997) numérique en multipliant les sources et les formats de narration pour une expérience de lecture optimale. Par « médiativité », Marion entend « tous les paramètres qui définissent le potentiel expressif et communicationnel » d’un média (1997, p. 80). Ceux-ci sont constitués des conditions de diffusion et de circulation qui lui sont propres notamment. Pour l’analyse du dispositif publicitaire de melty’ing Post, les caractéristiques propres au numérique permettraient alors au récit de marque de faire corps avec les deux pure players.
La « publicitarisation » au sein du melty’ing Post : un glissement sémiotique
3L’arrivée du numérique n’a fait qu’accentuer la dépendance des médias à la publicité, avec « un jeu de pressions, résistances et adaptations des médias et des journalistes au contexte socio-économique », souligne Patrin-Leclère (2004, p. 109). Le rapport qu’entretient la publicité avec le journalisme à l’heure du numérique peut se manifester au sein même du dispositif publicitaire de melty’ing Post, caractérisé par un double processus éditorial, avec une immixtion du médiatique dans la publicité, et inversement. Nous présenterons donc dans cette première partie le fonctionnement de ce support hybride et analyserons un cas précis de « publicité native » : l’insertion des articles de Suez Environnement au sein de la brand page du Huffington Post.
Des contenus de marque qui prolongent l’expérience médiatique
4Le 5 mars 2015, les régies M Publicité-RégieObs et meltyAdvertising annoncent dans un communiqué de presse (2015) le lancement de melty’ing Post, une nouvelle offre publicitaire de melty et du Huffington Post en France. L’objectif économique est alors clairement affiché, avec une « complémentarité entre les deux sites qui permettra aux annonceurs d’atteindre un potentiel de 5,8 millions d’internautes et de 28,3 millions de visites », annonce le communiqué de presse (2015). Cette complémentarité est un des nombreux arguments défendus par les acteurs de cette interdépendance entre publicité et pure players pour expliquer l’émergence de melty’ing Post. En effet, pour Simon Perrot, directeur commercial chez meltygroup, « c’est avant tout une question de complémentarité entre deux marques médias fortes. L’une, le Huffington Post, étant référente dans l’univers des news, de l’actualité, l’autre, melty, référente sur la cible jeune avec son propre traitement de l’actualité entertainement ». Une complémentarité qui prend tout son sens auprès des marques puisqu’il ajoute qu’ « au-delà de deux marques fortes, modernes et dynamiques qui s’associent, c’est aussi une vision commune à travers l’importance du « native advertising » pour leurs partenaires annonceurs »2. Pour saisir la logique d’immixtion publicitaire au sein de ce dispositif hybride, il convient de revenir sur la définition de la « publicité native ». Dans un rapport de recherche publié en 2013, la régie publicitaire M Publicité a tenté de définir la « publicité native » à travers le traitement du « native advertising » sur le marché anglo-saxon et une étude réalisée avec OpinionWay auprès des acteurs du marché publicitaire français. Celle-ci est définie par M Publicité (2013) comme un « contenu sponsorisé pertinent pour l’utilisateur, qui n’interrompt pas son expérience de lecture, et qui s’intègre dans l’environnement éditorial de lecture ». Cette définition repose donc autant sur une logique d’association entre la marque et le contenu au sein duquel elle s’insère (la marque existe en marge du contenu) que sur une logique d’intégration, en faisant de la marque une partie intégrante de l’expérience éditoriale (Bô et Guével, 2009). Nous retrouvons cette interpénétration des logiques d’association et d’intégration dans le dispositif publicitaire de melty’ing Post avec des contenus produits à la fois par la rédaction de melty et celle du Huffington Post. « Le principal atout de cette offre est d’encapsuler un contenu de marque au sein de deux environnements éditoriaux différents et complémentaires, celui de melty et celui du HuffingtonPost.fr. Il s’agit donc pour l’annonceur de faire vivre son contenu autour d’une thématique commune avec un traitement éditorial et un ton rédactionnel différents propres à nos deux marques », explique Arnauld De Saint-Pastou, directeur des activités digitales chez M Publicité-RégieObs. Dans son rapport d’étude (2013), la régie du groupe Le Monde n’oublie pas pour autant de mentionner le critère de « transparence » de la « publicité native », entendue comme « la volonté d’inscrire le « native advertising » en conformité avec les règles en vigueur », avant d’ajouter que « connaître le producteur du contenu est un engagement juste envers le lecteur ». Les contenus de marque publiés au sein du dispositif de melty’ing Post doivent donc être clairement identifiables. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons un double espace dédié aux marques : le content corner (une rubrique de contenus de marques) sur melty et la brand page (une page dédiée aux marques) sur le Huffington Post.
Figure 1 : Le dispositif publicitaire de melty’ing Post
5Des articles labélisés « contenus de marque » partagent ainsi les rubriques du Huffington Post avec ceux de la rédaction. Depuis juin 2013, l’annonceur Suez Environnement3 abrite la rubrique « Environnement » du pure player français par l’intermédiaire de l’agence ZenithOptimedia et de la régie M Publicité. Le groupe Suez Environnement se sert en fait des articles tirés de son magazine en ligne « e-Mag SUEZ environnement »4 - magazine sur les enjeux de la ressource et l’économie circulaire - pour occuper la rubrique « Environnement » du Huffington Post5. Il s’agit donc d’un partenariat entre une marque et un média, une logique d’association et de rapprochement que certains professionnels du secteur des médias nomment le branded content (contenu marqué), par opposition au brand content (contenu de marque). Or, on le voit bien avec ce cas très particulier d’insertion médiatique, la marque s’inscrit davantage dans une logique d’intégration organique : elle fait partie du média, au même titre que les autres articles éditoriaux du Huffington Post. Il en est de même avec les articles insérés au sein du content corner de melty : il n’y a pas de coupure sémiotique entre les thématiques de la marque et celles de la rubrique au sein de laquelle la marque insère ses contenus. Au niveau esthétique, nous ne pouvons pas dire non plus que les contenus de marque dénotent avec ceux de la rédaction : le dispositif déployé reste un espace publicitaire qui permet à l’annonceur de créer une rubrique sponsorisée au sein de l’arborescence du Huffington Post ou de melty.
Figure 2 : Les contenus de Suez Environnement insérés dans la brand page du Huffington Post français
Source : www.sri-france.org
Lorsque la marque se raconte en ligne : un journalisme publicitaire
6Le fait que ces articles soient labélisés « contenus de marque » et qu’ils aient un espace clairement identifié en tant que tel ne signifie pas pour autant que la publicité soit « emphatique », pour reprendre une expression barthésienne (Barthes, 1964). « Le principe du placement repose sur le fait que cette insertion publicitaire non officielle sort des écrans traditionnels qui lui sont généralement réservés et s’adresse alors à un public, dans un contexte distinct de celui de la communication publicitaire classique », explique Lehu (2006, p. 15), maître de conférences en marketing. Dans sa forme la plus élaborée, c’est-à-dire lorsqu’il est « si bien intégré dans le scénario que sa présence semble[ra] logique, voire indispensable » (pp. 16-17), le placement opère une fonction symbolique et narrative, qui peut faire écho au concept de « médiagénie » de Marion (1997), professeur à l’université catholique de Louvain (UCL). Ce chercheur en sciences de l’information et de la communication et spécialiste de la narratologie médiatique définit la « médiagénie » comme le mariage réussi entre un média et un récit (1997). « Les récits les plus médiagéniques semblent en effet avoir la possibilité de se réaliser de manière optimale en choisissant le partenaire médiatique qui leur convient le mieux et en négociant leur mise en intrigue avec tous les dispositifs internes à ce média », spécifie à ce titre Marion (1997, p. 86). Dans le cadre de l’insertion d’un contenu de marque dans le dispositif de melty’ing Post, le récit de marque fait corps avec les deux pure players et « s’épanouit au diapason de l’interaction de la médiativité et de la narrativité » (Marion, 1997, p. 86). De plus, la marque opère un double processus de « publicitarisation » au sens de Patrin-Leclère (2014) en s’adaptant à la fois à l’environnement éditorial de melty et à celui du Huffington Post. Par « publicitarisation », cette chercheuse en sciences de l’information et de la communication entend la capacité d’un média à accueillir la publicité. « Cette adaptation consiste en un aménagement destiné à réduire la rupture sémiotique entre contenu éditorial et contenu publicitaire […] », explique-t-elle (dans Berthelot-Guiet, Marti de Montety et Patrin-Leclère, 2014, p. 18). Nous avons affaire à un double processus de « publicitarisation » dans le dispositif de melty’ing Post puisque les deux espaces de marque sont co-alimentés avec du contenu éditorial produit par chacune des rédactions et que le contenu de marque est adapté suivant chaque ligne éditoriale. Comme le rappelle le directeur commercial chez meltygroup, Simon Perrot, il s’agit d’« offrir à (leur) partenaire un espace de marque qui lui (soit) entièrement dédié, qu’il s’agisse d’une brand page sur le Huffington Post ou d’un content corner chez melty, sur un thème commun mais avec notre propre ligne éditoriale, chacun notre façon de traiter le sujet ». La tension diégétique qui se joue entre la marque et les deux pure players mériterait une attention plus soutenue mais reste pour l’instant difficile à évaluer compte tenu du peu de données dont nous disposons sur le processus de rédaction de ces contenus de marque. Cette analyse du dispositif publicitaire de melty’ing Post nécessiterait donc d’être complétée par une approche sociologique au sein des rédactions des pure players pour mieux saisir la place qu’occupent ces acteurs dans le processus de co-écriture de ces contenus brandés. Ce regard sémiologique nous permet cependant de voir que la publicité a pris un rôle déterminant au sein de la ligne éditoriale des pure players. Cependant, cette emprise de l’économique sur le journalistique doit être nuancée par la mise en place d’un véritable jeu d’interdépendance entre les discours journalistique et publicitaire, objet de notre seconde partie.
Journalisme et publicité : une interdépendance numérique
7L’analyse du dispositif publicitaire de melty’ing Post nous plonge au cœur de la reconfiguration numérique de la publicité et du journalisme en mettant en scène une nouvelle catégorie de publicité, qualifiée de « native », en phase avec les aspirations de rendement économique des pure players et celles d’immixtion médiatique dans la publicité. Le melty’ing Post place en effet la culture du numérique au centre de son dispositif publicitaire en proposant aux marques deux espaces dédiés : le content corner sur melty et la brand page sur le Huffington Post. Dans le prolongement des réflexions menées par plusieurs chercheurs ces dernières années (Charon et Papet, 2014 ; Le Cam et Ruellan, 2014 ; Degand et Grevisse, 2012), ce double processus de « publicitarisation » (Patrin-Leclère, 2014) opéré au sein des deux pure players nous amène à nous interroger sur les métamorphoses du journalisme et de la publicité à l’heure de l’interdépendance numérique : doit-on les interpréter en termes de rupture ou de continuité ?
Des liens de plus en plus étroits entre le journalisme et la publicité
8Cette recherche centrée sur le dispositif de melty’ing Post permet d’envisager la reconfiguration du journalisme à l’heure du numérique sous un angle publicitaire en mettant en lumière l’emprise croissante de l’économique sur le journalistique. Cet épiphénomène, déclencheur d’une mutation profonde dans le secteur du journalisme, a connu une avancée exponentielle à l’heure du numérique, comme l’analysait déjà Estienne en 2007 en considérant Internet « comme le laboratoire des métamorphoses du journalisme » (p. 18). Si le marketing était déjà bien implanté dans le journalisme, il se généralise à l’ère du numérique en fonctionnant désormais « comme une grammaire universelle de l’action – une « grammaire » étant définie comme un système de règles qui régissent l’activité et cadrent les représentations », selon ce chercheur en sciences de l’information et de la communication (2007, p. 18). Les annonceurs interviennent de façon plus directe et décomplexée dans le processus de production de l’information journalistique, au point qu’il est difficile de déceler le vrai du faux, le journalisme du publicitaire. C’est tout l’enjeu éthique de la « publicité native », qui se trouve dans une sorte d’entre-deux, entre le dicible et le non dicible, le publicitaire et le non publicitaire, entre « journalisme publicitarisant » et « publicité journalistisante » (Patrin-Leclère, 2004, p. 114), renforçant par-là l’hybridation entre l’éditorial et le publicitaire. Comme le rappelle Patrin-Leclère : « la publicité pénètre et imite le média, le média se métamorphose par incorporation des attentes des acheteurs d’espace publicitaire » (2014, p. 53). Dans le prolongement de la réflexion engagée par Estienne en 2007, sous l’emprise du marketing, le journalisme numérique est amené à entrer davantage en interaction avec des acteurs du secteur de la publicité. La pratique journalistique est à considérer non plus comme une activité autonome et singulière, mais à la croisée de différentes pratiques communicationnelles. Elle est par conséquent co-construite par un ensemble d’acteurs hétérogènes auxquels participent les annonceurs.
La médiativité au cœur du dispositif de melty’ing Post
9Le dispositif déployé par le melty’ing Post répond aux nouveaux enjeux de l’interdépendance entre la publicité et le journalisme par sa « médiativité » (Marion, 1997) numérique en multipliant les sources et les formats de narration pour une expérience de lecture optimale. En effet, si la « médiativité » désigne pour Marion (1997) les caractéristiques singulières d’un média, force est de constater que le potentiel expressif du média Internet est ici exploité par le double espace publicitaire du melty’ing Post avec une hybridation des contenus, au sein d’un système hyper-rubriqué (contenus de marque côtoient contenus éditoriaux). La configuration de ce dispositif répond aux habitudes de consommation de l’information des « digital natives » en leur permettant de naviguer d’un contenu de marque à un autre, d’un contenu de marque à un contenu éditorial, et vice-versa, sans rupture sémiotique avec leur environnement d’accueil (le Huffington Post ou melty). La posture du philosophe italien Simone peut nous éclairer sur l’évolution de l’écriture journalistique sous le prisme du numérique. Cet auteur part du principe qu’une « troisième révolution cognitive » est en marche avec Internet et les médias numériques, après celle de l’écriture et de l’imprimerie. Il s’agit de l’ère de la « médiasphère », marquée par « un processus planétaire de désaffection à l’égard de la lecture » et « l’ascension incontestée de la vision au rang de sens primaire » (Simone, 2012, pp. 70-71). Le risque est tel que « pris dans la toile », à l’avènement du « Big Data », notre esprit analytique, de mémorisation et de compréhension de l’information s’amenuise. Le signifiant aurait pris définitivement le dessus sur le signifié (Baudrillard, 1968). Sous le prisme de la « médiativité » (Marion, 1997), les frontières se sont érodées : « le contenu de n’importe quel contenant peut passer dans n’importe quel autre », explique Simone (2012, pp. 174-175). Dans la continuité des travaux récents sur le journalisme en ligne (Charon et Papet, 2014 ; Le Cam et Ruellan, 2014 ; Degand et Grevisse, 2012), cette recherche va moins dans le sens d’une « désintermédiation » que dans une interdépendance entre le journalisme et la publicité sous le prisme du numérique.
Conclusion : ce que publicitariser veut dire
10En analysant le dispositif publicitaire de melty’ing Post, nous avons tenté de mettre au jour une interdépendance entre les secteurs journalistique et publicitaire, favorisée, entre autres, par la « médiativité » (Marion, 1997) numérique. Celle-ci joue en effet sur la perméabilité des frontières entre la publicité et le journalisme en permettant aux deux pure players d’entretenir une relation privilégiée avec les marques grâce à un double espace publicitaire sur Internet : le content corner sur le site melty et la brand page sur celui du Huffington Post. Au terme de notre analyse, le changement apparaît moins en termes de rupture qu’en termes de continuité : la publicité a en effet toujours contribué à financer la presse, elle le fait aujourd’hui sous une autre forme, dite « dépublicitarisée », en phase avec les aspirations de rendement économique des pure players et celles d’immixtion médiatique dans la publicité́. « Dépublicitariser la publicité, cela consiste en effet, très souvent, à publicitariser le média, c’est-à-dire à ne plus le traiter seulement comme espace partiellement susceptible d’être occupé par la publicité, mais comme un support intégralement exploitable » (Berthelot-Guiet, Marti de Montety et Patrin-Leclère, 2013, p. 58). C’est le cas du melty’ing Post, qui permet d’harmoniser des contenus de marque avec des contenus journalistiques sous la forme de « publicité native ». Il est intéressant de noter que ces métamorphoses médiatiques et publicitaires se font conjointement, puisque discours publicitaire et journalistique s’interpénètrent de façon simultanée, en révélant chacun des changements structurels. « Tout discours se présente comme un processus de signifiance et, dans cette acceptation foucaldienne, correspond à une série d’énoncés qui en s’immergeant dans le social s’impose non seulement comme espace communicationnel normatif mais surtout comme un territoire de dissémination de pouvoir et d’assignation de places », explique Soulages (2015, p. 106), spécialiste de l’analyse des discours médiatiques et des productions culturelles. Par conséquent, le double discours du melty’ing Post nous amène à nous interroger sur les enjeux symboliques qui redéfinissent les contours du journalisme sous le prisme publicitaire. Ce procédé d’interdiscursivité se révèle être une opération de commutation entre des imaginaires socio-discursifs divergents correspondant aux formes attendues des discours de marque et éditoriaux de melty et du Huffington Post. On chercherait alors à ce que la publicité dise vrai et à ce que le journal se « publicitarise ». Tout se passe comme si la fabulation (Baudrillard, 1968) n’était plus le seul registre sur lequel pourrait reposer la marque. Cela pose des problèmes de déontologie en matière de journalisme puisque les critères discursifs ne sont plus les mêmes dans cette nouvelle « scénographie » (Maingueneau, 1998). Cette réorientation stratégique au profit des marques fait notamment écho aux travaux de Soulages (2013), lorsqu’il évoque l’éthos de la marque comme nouvelle scénographie locutive. « Derrière cette montée en charge de l’éthos de la marque, ce qui prédomine c’est un positionnement métadiscursif de l’annonceur, positionnement qui va progressivement s’autonomiser, poussant sur le devant de la scène des valeurs sociétales », explique le chercheur (Soulages, 2013, p. 49). Le discours journalistique doit donc désormais composer avec cette nouvelle scénographie discursive.
Bibliographie
Barthes, R. (1964). Rhétorique de l’image. Communication, 4(1), 40-51.
Baudrillard, J. (1968). Le système des objets. Paris : Gallimard.
Berthelot-Guiet, K., Marti de Montety, C. et Patrin-Leclère, V. (2013). Entre dépublicitarisation et hyperpublicitarisation, une théorie des métamorphoses du publicitaire. Semen, 36, 53-68.
Berthelot-Guiet, K., Marti de Montety, C. et Patrin-Leclère, V. (2014). La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation. Lormont : Le Bord de L’eau.
Bô, D. et Guével, M. (2009). Brand content : comment les marques se transforment en médias. Paris : Dunod.
Charon, J.-M. et Papet, J. (dir.) (2014). Le journalisme en questions : réponses internationales. Paris : L’Harmattan.
Degand, A. et Grevisse, B. (dir.) (2012). Journalisme en ligne. Pratiques et recherches. Bruxelles : De Boeck.
Estienne, Y. (2007). Le journalisme après Internet. Paris : L’Harmattan.
Le Cam, F. et Ruellan, D. (dir.) (2014). Changements et permanences du journalisme. Paris : L’Harmattan.
Lehu, J.-M. (2006). La publicité est dans le film : placement de produits et stratégie de marque au cinéma, dans les chansons, dans les jeux vidéo… Paris : Éd. d’Organisation.
M Publicité. (2013). Native advertising : bienvenue dans l’ère de la réinvention. En ligne www.nativeadvertising.mpublicite.fr
Maingueneau, D. (1998). Analyser les textes de communication. Paris : Dunod.
Marion, P. (1997). Narratologie médiatique et médiagénie des récits. Recherches en communication, 7, 61-88.
Offre melty’ing Post : « Il n’existe pas d’offre similaire à la nôtre », interview en ligne : http://www.airofmelty.fr/offre-melty-ing-post-il-n-existe-pas-d-offre-similaire-a-la-notre-exclu-a390331.html
Patrin-Leclère, V. (2004). Journalisme, publicité, communication : pratiques professionnelles croisées. Communication & Langages, 140(2), 109-118.
Semprini, A. (2007). Analyser la communication 2 : regards sociosémiotiques. Paris : L’Harmattan.
Simone, R. (2012). Pris dans la toile : l’esprit aux temps du Web. Paris : Gallimard.
Soulages, J.-C. (2013). L’ordre du discours publicitaire. Semen, 36, 39-52.
Soulages, J.-C. (2015). Les scènes du discours : genre, discours, imaginaires. Dans Soulages, J.-C. (dir.), L’analyse de discours : sa place dans les sciences du langage et de la communication (p. 105-114). Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
TNS Opinion « 2011, la jeunesse du monde », 16 juin-22 juillet 2010
Notes
1 Groupe de recherches interdisciplinaires sur les processus d’information et de communication.
2 Offre melty’ing Post : « Il n’existe pas d’offre similaire à la nôtre », interview en ligne : http://www.airofmelty.fr/offre-melty-ing-post-il-n-existe-pas-d-offre-similaire-a-la-notre-exclu-a390331.html
3 Groupe de services et de solutions industrielles spécialisé dans la gestion durable des ressources.
4 www.emag.suez-environnement.com
5 Pour exemple, l’article intitulé « L’économie circulaire, un réservoir d’emplois » a d’abord été publié le 17/07/2015 dans le magazine en ligne « e-Mag SUEZ environnement » avant d’être inséré dans la rubrique « Environnement » du Huffington Post le 21/07/2015.
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