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Quelle crédibilité pour la presse sportive en ligne ?
Le cas de l’Italie
Résumé
La presse sportive en ligne en Italie représente le croisement idéal de trois domaines à crédibilité problématique : celui du journalisme italien, celui de l’information sportive, et celui de la presse sur le Net. Cette recherche se propose d’analyser l’influence du Réseau et du Web 2.0 (en tant que source et lieu de discussion) sur la construction de la crédibilité du journaliste sportif en Italie.
Abstract
The Italian online sports journalism represents the ideal crossroad of three fields, which have troubled credibility: Italian journalism, sports news and online press. Our research aims to analyze the influence of the Internet and Web 2.0 (as a source and as a place for discussion) on the construction of sports journalism’s credibility in Italy.
Table des matières
Texte intégral
Introduction
1Tout en appartenant au vaste univers des phénomènes journalistiques, l’information sportive en Italie a été toujours caractérisée par une originalité intrinsèque (Murialdi, 2006 ; Bergamini, 2013), qui s’exprime au cours de toutes les phases du processus de négociation journalistique (Sorrentino, 2002). Par conséquent, au cours du XXème Siècle, le journalisme sportif italien s’est imposé en tant que créateur de modes et tendances, qui ont été successivement incorporées et métabolisées par d’autres domaines journalistiques (Spalletta & Ugolini, 2013 ; Sorrentino & Bianda, 2013 ; Cucci & Germano, 2003).
2Comme nous l’avons souligné dans nos recherches précédentes (Spalletta & Ugolini, 2013), cette capacité d’innovation propre du journalisme sportif peut être relevée à différents niveaux. En premier lieu, du point de vue du contenu : l’élargissement du concept d’information sportive (qui ajoute au simple récit de l’événement sportif l’intérêt pour ce que nous avons appelé connecté avec) produit en effet une contamination constante avec d’autres domaines journalistiques (politique, économie, sciences, faits divers, people, etc.), ce qui impose de repenser la distinction traditionnelle entre ces mêmes domaines (De Bortoli, 2008).
3Deuxièmement, le journalisme sportif se démontre capable de créer des modes aussi au niveau des différentes modalités du récit : la médiatisation – dans ses trois différentes déclinaisons : spectacularisation, personnalisation et leaderisation (Mazzoleni & Schulz, 1999 ; Mazzoleni, 2012) – et la peopolisation (Dakhlia, 2008, 2010 ; Mazzoleni & Sfardini, 2009 ; Van Zoonen, 2005), typiques du récit sportif, s’étendent aujourd’hui à tous les domaines de l’information, autant dans ceux qui lui sont davantage analogues (en particulier le journalisme politique) que dans ceux apparemment plus éloignés de ces tendances (par exemple l’information médicale et scientifique). De plus, le langage caractéristique du journalisme sportif est aujourd’hui intégré par ceux typiques d’autres domaines, notamment l’information politique, grâce aussi à la présence dans le débat politique italien d’un acteur comme Silvio Berlusconi, strictement lié au monde du sport (Russo, 2003 ; Spalletta & Ugolini, 2015; Novelli, 2006). Enfin, le journalisme sportif et, encore une fois en parallèle, le journalisme politique, sont sans aucun doute les précurseurs, et en même temps les exemples les plus évidents, d’une information présentée de manière partisane (Baldini, 2009 ; Hallin & Mancini, 2004), où le journaliste n’en est plus le narrateur, mais plutôt l’un des acteurs principaux (Sorrentino & Bianda, 2013 ; Cucci & Germano, 2003).
4Le journalisme sportif représente donc un créateur et/ou un anticipateur de modes et de tendances qui ont marqué l’évolution du journalisme italien dans son ensemble ; ceci toutefois n’exclut pas qu’il puisse lui-même avoir été influencé par les changements qui concernent en amont le système du journalisme, et qui aujourd’hui sont liés principalement au développement des médias numériques en tant que lieu où l’on donne, où l’on fait et où l’on participe l’information (Allan & Thorsen, 2009 ; Carpentier, 2007 ; Morcellini, 2011 ; Sorrentino, 2008 ). Au cours d’une recherche précédente (Spalletta & Ugolini, forthcoming) nous avons remarqué que, parmi les professionnels de la presse sportive italienne que nous avions interviewés, nombreux soulignaient le fait que le journalisme sportif était désormais forcé à se rapporter avec le Réseau. C’est en effet sur le Net que les journalistes doivent, de plus en plus souvent, rechercher les informations, du moment que les athlètes eux-mêmes s’expriment désormais par les réseaux sociaux (plutôt que par intermédiaire des journalistes et des agences) pour renseigner leur public sur leur état de forme et de santé, leurs sensations avant ou après les compétitions, ou encore leur vie privée (Spalletta, 2014). Par conséquent, le journaliste sportif est toujours plus souvent exclu du circuit traditionnel des informations, et est forcé à se ré-inventer dans un nouveau marché des idées où sa professionnalité risque de se transformer en un défaut plutôt qu’en une valeur ajoutée. Ce nouveau circuit de production et de diffusion des informations, soulignaient en conclusion les professionnels interviewés, ne peut que produire des effets conséquents sur les mécanismes de construction et de perception de la crédibilité.
5Au sein des études sociologiques, la crédibilité est définie comme « la probabilité d’être crus » (Gili, 2005: 3), c’est-à-dire la probabilité d’établir une relation de confiance entre deux individus (Goffman, 1959, 1967; Luhmann, 2000; O’Neill, 2002). Cette crédibilité peut se construire sur trois différents ancrages : cognitif (fondé sur la compétence), évaluatif-normatif (fondé sur le partage de valeurs communes) et affectif (fondé sur la “sympathie”) (Gili, 2005).
6Lorsque nous nous déplaçons du domaine plus général des relations interpersonnelles (Berger & Luckmann, 1966; Donati, 1998) à celui, plus spécialisé, du journalisme, les mécanismes de construction et perception de la crédibilité subissent des modifications : si la mission d’un journaliste consiste dans la recherche de la vérité (Lippmann, 1920), et accuracy et fairness représentent les valeurs éthiques sur lesquelles son travail se fonde (Belsey & Chadwick, 1992 ; Meyer, 1987), sa crédibilité doit nécessairement s’ancrer à sa capacité d’accomplir cette mission, c’est à dire à sa compétence (Gili, 2005 ; Spalletta, 2011).
7Cependant, la construction de la crédibilité du journalisme est aussi influencée par l’appartenance du système de l’information aux différents modèles de journalisme identifiables au sein des démocraties occidentales (Hallin & Mancini, 2004). Dans le journalisme libéral, en effet, la construction de la crédibilité est strictement liée aux aspects cognitifs, qui représentent une caractéristique fondamentale et incontournable du « trustee journalism » dont parle Schudson (1998). Par contre, dans le journalisme italien (qui fait partie du modèle pluraliste-polarisé) la construction de la crédibilité n’exclut aucun ancrage, et se diversifie selon la typologie de média (Agostini, 2012 ; Spalletta, 2011 ; Spalletta & Ugolini, 2011).
8L’absence d’un ancrage commun et partagé représente entre autre l’une des causes principales du faible niveau de crédibilité dont souffre le système de l’information italienne (Spalletta, 2011). Plus spécifiquement, ce faible niveau concerne principalement les domaines du journalisme politique (Ugolini, 2012) et le journalisme sportif (Spalletta & Ugolini, 2013, forthcoming), c’est à dire les deux domaines qui se prêtent, traditionnellement et structurellement, à une construction d’un rapport de confiance avec le public fondé davantage sur des éléments évaluatifs-normatifs et/ou affectifs.
Buts et méthodologie
9Notre recherche se focalise sur le problème de l’évolution des moyens de construction de la crédibilité du journalisme sportif en relation avec le développement des outils d’Internet. Dans ce but, le Net est considéré dans une double perspective : d’une part, comme source de l’information ; d’autre part, comme lieu de discussion de cette même information.
10Les questions auxquelles nous nous proposons de répondre sont les deux suivantes :
-
Le Net en tant que source d’information (par l’utilisation d’outils comme les sites, les blogs, les forums, les réseaux sociaux) représente-t-il une ressource pour le journalisme sportif, ou au contraire un risque pour sa crédibilité ?
-
La participation du journaliste aux débats et aux discussions nés sur le Réseau a-t-elle une incidence (positive ou négative) sur sa crédibilité ?
11Du point de vue méthodologique, l’article présente les résultats de la première phase d’une recherche qualitative, qui prévoit des interviews auprès d’observateurs privilégiés du journalisme sportif italien (Corbetta, 2003a, 2003b). Nous avons donc interviewé dix journalistes, sélectionnés parmi les professionnels qui occupent des postes de direction, de coordination ou de responsabilité dans leurs rédactions respectives. Dans notre choix d’observateurs, nous avons sélectionné des journalistes représentant les différentes plateformes de l’information (presse écrite, radio, télévision, agences de presse, web), pour avoir une vision d’ensemble sur le panorama des médias italiens.
12Les observateurs privilégiés que nous avons interviewés1 sont donc Sandro Fioravanti (vice-directeur de RaiSport) ; Sandro Piccinini (“voix” principale de SportMediaset pour les match de football, ainsi qu’animateur et responsable à plusieurs reprises d’émissions sportives) ; Fabio Caressa (co-directeur de SkySport Italie et “voix” principale de Sky pour le football) ; Claudio Gregori (l’un des “grands noms” de « La Gazzetta dello Sport », notamment pour le cyclisme) ; Stefano Salandin (journaliste de « Tuttosport » responsable de projets concernant le “calciomercato”, la phase de transferts du football italien) ; Riccardo Cucchi (rédacteur en chef pour le sport à Radio RAI) ; Carlo Genta (responsable et animateur de l’émission radio TuttiConvocati sur Radio24) ; Alberto Brandi (rédacteur en chef de sportmediaset.it) ; Massimiliano Ambesi (responsable de la section sport sur neveitalia.it ainsi que l’une des principales “voix” de Eurosport Italie et Sky Italie pour les sports d’hiver) ; Alessandra Rotili (chef de service sport à l’agence ANSA).
Le Net comme source de l’information
13Le premier sujet que nous avons abordé au cours de nos interviews concerne l’utilisation du Net comme source d’information sportive. Nous avons donc en premier demandé à nos observateurs si et comment le développement du web avait changé le travail du journaliste sportif, avec un accent particulier sur la phase de la recherche des informations et leur vérification. Nous avons successivement demandé d’identifier les risques principaux que le journaliste court au moment où le Net devient effectivement une source, et les contre-mesures qui s’imposent.
14La réponse à la première question a été quasiment unanime : les observateurs ont en effet indiqué le Net (considéré dans ce premier moment dans son ensemble, c’est-à-dire sans spécifier ses différentes déclinaisons) comme l’un des principaux moteurs de l’évolution du journalisme sportif actuel. Le Net impose de repenser le rapport traditionnel entre le journaliste sportif et ses sources, étant donné qu’il a effectivement rendu le travail du journaliste « plus efficace, plus rapide, plus performant » (Genta), « plus facile » (Piccinini), puisqu’il permet un accès direct à certaines informations qui autrefois n’arrivaient au journaliste que par les agences de presse (Cucchi) ou par l’abonnement à de nombreuses revues internationales, dont le contenu devait être traduit, ce qui de plus exigeait du temps et des compétences ultérieurs (Piccinini). Par contre, aujourd’hui l’une des principales sources d’information est représentée par les comptes Twitter des athlètes (Brandi, Caressa) : ce sont les sportifs eux-mêmes, en effet, qui « créent l’information », et leurs tweet sont devenus « un point de repère pour les journalistes » (Cucchi).
15Le journaliste doit cependant se garder d’une dépendance trop stricte des informations fournies directement par les athlètes par leurs comptes sur les réseaux sociaux : le risque principal est celui d’une peopolisation exagérée, qui peut dénaturer l’information sportive au point de la faire coïncider avec la rubrique people (Fioravanti, Cucchi, Salandin). Plusieurs parmi nos observateurs ont rappelé un exemple emblématique, qui a eu lieu pendant les derniers championnats du monde de football : le joueur italien Mario Balotelli annonça en pleine nuit brésilienne (le petit matin en Italie) qu’il allait bientôt se marier avec sa fiancée Fanny, et les journalistes italiens (auprès desquels Balotelli, pour son talent et ses comportements en dehors du terrain, était l’un des sujets les plus discutés) furent quasiment obligés de s’occuper de cette nouvelle.
16Au moment où le Net devient une source d’information, le rôle et le travail des agences de presse subit des transformations conséquentes. Le Réseau a en effet « augmenté les structures qui fournissent les informations en temps réel, en l’espèce de sport », et s’est donc imposé comme un « instrument de travail » pour les agences elles-mêmes. Dans cette perspective, Internet peut ainsi être considéré comme une sorte de « “thermomètre” pour comprendre ce dont on parle le plus », « un instrument et une forme de contrôle sur ce qui se passe » (Rotili).
17Cependant, un autre aspect paraît récurrent dans nombreuses réponses : le fait que la quantité considérable d’informations que le journaliste peut repérer sur le Net provienne de sources de nombreuses typologies différentes ; plus nombreuses et différentes sont ces sources, et plus elles apparaissent « difficilement vérifiables » (Caressa). Il est ainsi nécessaire de distinguer, au moins, les informations diffusées sur les sites officiels des fédérations, des équipes et des athlètes (y compris les comptes sur les réseaux sociaux) de celles provenant des blogs, des forums et des réseaux sociaux où les citoyens et les professionnels du journalisme peuvent participer, à différents titres.
18Pour ce qui concerne la première catégorie, les sites et les comptes officiels représentent aujourd’hui sans aucun doute la principale source d’informations pour le journaliste sportif, en particulier dans une période historique où « le communiqué de presse “à l’ancienne” est désormais mis aux oubliettes, et de même, ou presque, le mail » (Rotili). En même temps, ils peuvent être considérés comme une « base de départ fondamentale pour être mis au courant en temps réel sur tout ce qui se passe » (Piccinini). C’est-à-dire, en d’autres mots, qu’ils représentent une source primaire, par rapport à laquelle le devoir de vérification (qui est de la compétence de chaque journaliste) est significativement atténué, grâce à l’autorité de la provenance de l’information (Ambesi, Caressa). Toutefois, atténuer ne signifie en aucun cas annuler : un cas emblématique (signalé par Salandin) a été celui du footballeur italien Alessio Cerci, qui annonça son passage du Torino F.C. à l’Atletico Madrid sur Twitter, puis effaça le tweet lorsqu’il comprit que ce passage n’était pas encore sur le point de se conclure, et enfin l’annonça à nouveau quelques semaines plus tard au moment où en effet il se concrétisa. Il faut aussi signaler que, quoique les comptes des athlètes représentent une sorte de « source certifiée », on ne peut exclure le risque d’un faux, qui reste élevé (Cucchi, Genta), et donc un « moment de vérification doit être prévu » (Fioravanti) aussi dans ces cas.
19Toutefois, il est nécessaire de tenir compte du fait que les sources web ayant un caractère officiel « fournissent bien peu du point de vue de l’information, car il s’agit surtout de caisses de résonnance d’une communication qui est planifiée par les clubs » : plutôt que “sources d’informations”, elles représentent une « forme officielle de communication » qui « ne fournit pas toujours les informations qui sont utiles aux journalistes » (Cucchi). Par contre, les informations provenant des forums, des blogs et du Web 2.0 sont sans doute plus intéressantes pour le journaliste (Brandi), mais en même temps plus risquées. C’est pour cela que les journalistes ne considèrent pas ces éléments comme des sources directes d’informations, mais plutôt comme une sorte de « thermomètre » (Cucchi, Rotili, Piccinini) autant de l’intérêt pour certains événements que de la perception du travail du journalisme par le public. « Le forum, le blog peuvent fournir l’idée, ou encore faire découvrir l’information encore inconnue ou cachée, mais dans ce cas le journaliste doit prendre l’initiative et contacter les personnes impliquées, ou leurs proches » (Ambesi). En aucun cas, le journaliste ne peut prétendre « créer l’information de zéro, en ayant comme point de départ seulement ce qui apparait sur un forum », en remplaçant avec les sources web l’indispensable réseau de relations et connaissances, sans lequel « il est impossible d’accomplir au mieux notre devoir, notre profession » (Ambesi).
20Le Net, d’un point de vue quantitatif, représente donc une source d’informations extraordinaire pour le journaliste (Gregori), une « alliée » (Brandi). Au contraire, du point de vue qualitatif, l’utilisation des instruments liés au Réseau représente une source de risque (Gregori). C’est précisément sur cet aspect que nous avons centré la deuxième question de notre interview. Dans un journalisme où les délais de production et diffusion de l’information sont de plus en plus stricts, « l’intox est toujours aux aguets » (Cucchi), et le risque de « commettre une bévue » (Ambesi) est décidément élevé, « car sur le Réseau il n’y a pas cette forme de contrôle propre du quotidien et de l’agence » (Rotili). C’est pour cela que le devoir de vérification des sources, qui caractérise le travail du journaliste, doit être toujours plus central et incontournable quand on quitte le réseau traditionnel des sources de l’information (Caressa). « Le problème des sources est concret, et il est nécessaire de consacrer une grande attention à ce qu’on écrit », car « le Net est une source, très précieuse, mais qui doit être pesée » (Ambesi). Une source, en plus, par rapport à laquelle « notre possibilité de vérification est très réduite […] Nous sommes sans défense, mais par conséquent les bénéficiaires de notre travail le sont encore plus » (Cucchi), d’autant plus que le Web facilite la reproduction et la diffusion des données, et par conséquent aussi les informations mauvaises ou fausses : il s’agit d’un risque qui impose au journaliste une ultérieure vigilance (Gregori).
21Nos observateurs privilégiés sont donc d’accord pour confirmer que la vérification reste un devoir incontournable du journaliste, indépendamment du fait que les sources soient traditionnelles ou bien qu’elles proviennent du Réseau (Genta). Ils montrent aussi une uniformité d’idées lorsqu’ils affirment que, pour éviter de tomber en erreur, le journaliste doit se garder de la précipitation (Fioravanti, Gregori), de la paresse (Salandin) et de l’illusion d’un scoop facile ou du sensationnalisme (Genta) ; au contraire, il doit s’appuyer sur sa déontologie (Ambesi, Genta) et sur son professionnalisme (Gregori). Ces mêmes valeurs, associées à une connaissance profonde de la matière dont il s’occupe (Piccinini, Caressa), des caractéristiques des différents médias qui véhiculent l’information au public (Brandi) et des inévitables malices du métier (Piccinini), représentent les seuls instruments en mesure de sauvegarder la crédibilité du journaliste.
Le Net comme lieu de discussion et participation
22C’est précisément sur le problème de la crédibilité que nous avons centré la deuxième partie de nos interviews, en axant nos questions de manière plus spécifique sur le rôle du journaliste vis-à-vis du Réseau considéré comme lieu où l’information n’est plus uniquement fournie et/ou analysée, mais surtout participée. Nous avons donc approfondi le rapport entre le travail du journaliste sportif et les plateformes sur le Net appartenant au Web 2.0, en focalisant notre intérêt en particulier sur la présence des journalistes sur le Réseau et sur les modalités par lesquelles ils interagissent avec leur public.
23Nous avons préalablement demandé à nos observateurs privilégiés de décrire leur présence sur le Net, et en particulier sur les réseaux sociaux. Tout en étant une question introductive, elle nous a permis toutefois d’identifier les différentes attitudes des journalistes interviewés vis-à-vis des réseaux sociaux2. Nous avons en effet relevé, parmi nos dix observateurs privilégiés, des attitudes tout à fait différentes entre elles : si Claudio Gregori et Massimiliano Ambesi représentent en quelque manière les deux pôles (le premier n’a aucun compte dans les plateformes 2.0 ni participe sur ceux de son journal, le deuxième au contraire ajoute à son rôle de responsabilité sur un site d’information des comptes sur Facebook et Twitter de nature professionnelle et un autre compte de nature privée), tous les autres key informants ont une expérience directe de l’utilisation des réseaux sociaux, soit passée (comme Sandro Piccinini, qui n’en fait plus partie, pour des raisons que nous traiterons successivement), soit cyclique (Stefano Salandin associe à son compte Twitter qui ne s’occupe pas uniquement de sport un blog centré sur le “calciomercato”, qui a son pic dans des périodes bien définies de l’année), soit sporadique et strictement lié au travail de journaliste et au média d’appartenance (comme Carlo Genta et Sandro Fioravanti), soit très fréquent mais de nature strictement personnelle et n’ayant aucun rapport avec l’activité professionnelle (Alessandra Rotili).
24Nous avons ensuite demandé aux journalistes interviewés une réflexion sur la modalité de leur participation aux débats concernant le sport qui se développent sur les réseaux sociaux et sur les différentes plateformes de discussion (par exemple les commentaires aux articles ou les forums). Notre objectif est celui d’identifier les problématiques que cette participation peut créer au sein de la professionnalité journalistique. Les problématiques principales relevées par les observateurs peuvent être reconduites à trois sujets, qui peuvent se présenter en même temps : le langage, le contenu et le rôle du journaliste.
25Par rapport au premier cas, nombreux parmi les observateurs remarquent que cette forme d’interaction s’expose fréquemment au risque que le dialogue dépasse les bornes, soit à cause de la nature du sujet de discussion (« tout le monde sait que le football peut transformer en quelques secondes le dialogue en bagarre », affirme Cucchi), soit à cause de la nature intrinsèque du web et des social network (« le clavier offre une grande possibilité de détachement, on parle sans confrontation directe, c’est un écran incroyable », souligne Salandin). Pour utiliser les paroles de Sandro Fioravanti, « dans une grande partie des cas, le langage a une telle véhémence et une telle violence… je trouve ça très embêtant ».
26Le cas le plus remarquable, que nous avons brièvement introduit précédemment, concerne Sandro Piccinini, qui motive son choix de quitter les réseaux sociaux car « sur 100 messages que je recevais, 50 étaient des demandes de travail, 50 étaient des insultes. Ce n’était franchement pas agréable, et sincèrement je n’éprouvais aucun besoin de faire partie d’un cercle comme celui-là ». Une telle attitude de la part du public (non seulement celui des supporters de football, car, comme le souligne Ambesi, l’attitude du supporteur est la même pour tous les sports) force le journaliste à maintenir son attention très élevée, pour éviter que le ton et le langage ne dépassent les bornes. Fioravanti essaye « de répondre dans mon italien le plus tranquille, j’évite de souligner ces attitudes, qui sont souvent violentes et hautaines », mais ceci, observe Salandin, « exige une grande compétence, et aussi un grand emploi de ressources physiques et de temps, car il faut être toujours présent, il faut modérer si l’on veut maintenir un niveau élevé et éviter les insultes ». Il s’agit d’un devoir précis du journaliste, qui s’ajoute à ses compétences professionnelles, et qui implique une différence de position au sein de l’interaction.
27Cette différence apparait significative aussi quand le sujet se déplace de la forme au contenu. En particulier, les observateurs privilégiés identifient deux grandes catégories d’arguments qui posent des problèmes aux journalistes dans leur interaction directe avec le public. La première concerne – comme cela est prévisible – l’objet du travail des journalistes, c’est-à-dire le sport. Bien évidemment, le dialogue pacifique et constructif peut être considéré une nulla quaestio au sein de notre réflexion, car il s’agit du cas spécifique où l’interaction entre journaliste et public a lieu avec les caractéristiques qu’elle est supposée avoir dans les intentions. Le problème se pose lorsque le dialogue présente dans son contenu les caractères identifiés auparavant dans la forme : « J’ai depuis des années ce blog qui s’occupe de transferts, et j’ai remarqué un grand intérêt du lecteur, qui veut participer », observe Salandin : « Internet offre cette possibilité, qui est aussi une punition […] car un supporter particulièrement passionné ou acharné, en cas d’un transfert raté, commence à insulter les dirigeants sportifs… ça ne peut pas marcher comme ça ». « Il faut avoir – affirme Ambesi – l’habileté d’éviter les provocations, les discussions qui ne mènent à rien, par exemple avec le supporter surexcité qui continuerait à défendre à jamais son opinion même si elle se révélait totalement infondée ».
28La deuxième catégorie concerne plus spécifiquement le journalisme sportif comme objet de la discussion. Riccardo Cucchi signale son habitude de participer aux forums de ses auditeurs, pour avoir « le “thermomètre” de ce qu’ils perçoivent de notre travail […] ce qui peut être utile pour rectifier le tir ». Sandro Fioravanti, au contraire, relie plus spécifiquement cette catégorie à la polémique qui, comme nous l’avons vu, caractérise souvent cette forme d’interaction : « La RAI [le service public italien, nda] est depuis 16 ans le premier broadcaster au monde pour ce qui est des heures et de la qualité des émissions concernant les Jeux olympiques, les Jeux paralympiques, les championnats d’athlétisme, de natation… et cependant les commentaires que nous recevons, en moyenne, désapprouvent notre travail, à cause de ce qui n’y est pas. “Vous ne passez pas la balle au tambourin”, et il faut leur répondre que nous l’avions passée le jour précédent… ». Dans ce cas, donc, le journaliste n’est plus le sujet de l’information, ni son participant, mais l’objet du débat qui se déroule sur le Net.
29Cet élément nous conduit à la troisième problématique, concernant le rôle des journalistes, et en particulier le but qu’ils se proposent d’accomplir en participant. Sandro Piccinini souligne une forme institutionnelle d’utilité de l’interaction directe : « Ayant un rôle institutionnel (comme par exemple le directeur de rédaction, ou le responsable d’une émission comme je l’étais), ce serait juste de donner mon avis si ma rédaction était impliquée dans une polémique, ou dans une question concernant une émission ». Claudio Gregori est encore plus tranchant, et considère cette participation comme un « gaspillage d’énergies », dans les cas où les journalistes ont la possibilité de s’exprimer avec fréquence sur leur médium (par exemple, en écrivant un article par jour), et « de manière ponctuelle et méditée ».
30Toutefois, l’aspect le plus intéressant à notre avis concerne une attitude que le journaliste peut montrer, ou pour mieux dire une utilisation des réseaux sociaux différente par rapport à celle qu’il est théoriquement censé avoir. « Les plus actifs avec leurs comptes personnels – affirme Sandro Fioravanti – sont généralement ceux qui pensent s’être élevés à un rôle de “personnage”, c’est-à-dire non plus le narrateur de ce qui se passe, mais lui-même élément narratif du récit ». « C’est comme participer en tant que citoyen tout en étant journaliste – ajoute Alessandra Rotili – ; de plus, en participant aux événements sportifs, on peut rentrer dans ces circuits parallèles (radio, télé) que, personnellement, je laisserais aux supporters ». Dans ce cas, la participation du journaliste aux débats n’est finalisée à l’information que formellement, alors que le but est celui d’accroître sa propre image publique, son rôle d’acteur non plus de l’information, mais de l’événement lui-même. Le journaliste qui évite cette attitude, conclut Salandin, « a peut-être moins de publicité, moins de popularité, mais plus de crédibilité ».
31L’allusion de Salandin nous permet de passer à la dernière question de l’interview, qui est centrée spécifiquement sur la crédibilité du journaliste sportif au moment où il participe l’information sportive sur le Réseau. Les réponses des observateurs privilégiés se situent à nouveau le long des trois lignes directrices qui ont caractérisé l’identification des principales problématiques : le langage, le contenu et le rôle du journaliste.
32Du point de vue du langage, le journaliste construit sa crédibilité d’un côté en adaptant sa modalité de communication aux moyens du web : «C’est une façon différente de faire l’information – affirme Alberto Brandi – avec des délais différents, des langages différents, la limitation des caractères impose l’essentialité de l’info […] Le langage du Net est très essentiel, il s’adresse surtout à un lectorat jeune, et par conséquent se doit d’utiliser des termes qui marchent avec leur temps ». D’autre part, le journaliste doit se garder des problématiques émergées précédemment : le risque de perdre la crédibilité se concrétise, affirme Ambesi, « lorsqu’on se laisse emporter dans des discussions sans aucun sens, où le non-journaliste se montre provocateur, peut-être volontairement », et dans ce cas « le journaliste doit s’imposer de penser avant d’exprimer son opinion, sinon il risque d’exaspérer les esprits ». « Nous parlons de sport – conclut Rotili – mais pas en tant que supporters. Si notre participation reste sur un plan professionnel ça va, si nous finissons par nous disputer dans les chats avec les supporters, décidément ça ne va plus ».
33Par rapport au contenu, les réponses sont diversifiées : Fabio Caressa considère le Réseau comme le moteur principal de l’évolution du public, et le journalisme doit se préparer en conséquence : « un journaliste sportif actuellement doit être hyper-préparé, il doit être infaillible ou presque, il se doit de connaitre certains éléments mieux que son public ». Par contre, Ambesi considère que « pour ceux qui sont bien informés sur ces sujets, se confronter au même niveau avec d’autres experts peut être intéressant ». Gregori souligne comme l’intérêt principal de la participation sur le Net est représenté par « un enrichissement, car elle permet de se confronter à un public d’un ordre de grandeur nettement majeur, qui n’a pas forcément lu tes articles ». D’autres observateurs, comme Piccinini ou Rotili, n’attribuent aucune spécificité au contenu du débat (c’est-à-dire un rôle différent par rapport à celui joué par la connaissance de l’objet de son travail de la part du journaliste), pourvu que cette compétence soit « utilisée avec une certaine sensibilité, une certaine intelligence, un certain respect » (Genta), sans un sens « de présomption, d’omniscience, d’être dépositaires de la vérité » (Salandin).
34Mais c’est par rapport au rôle que nous identifions celui qui, à notre avis, est le point central de la crédibilité du journaliste selon les observateurs. Le nœud de cette problématique réside dans le fait que le journaliste est formellement égal à son public (ce qui est la particularité des médias participatifs par rapport à toutes les autres plateformes, qui sont structurellement des broadcast) mais ne peut (ou doit) pas l’être complètement : « dans ce contexte – observe Ambesi – le journaliste est au même niveau d’un utilisateur quelconque, mais celui-ci peut se permettre de dépasser quelques bornes, et d’utiliser des arguments un peu excessifs ou d’embrouiller le discours », alors qu’un journaliste, affirme Gregori, ne peut pas « être appelé à s’exprimer sur certains sujets sans réflexion, préparation ni précision », sous peine de perdre sa crédibilité.
35Le dialogue entre les deux éléments (le journaliste et le non-journaliste) ne peut donc pas avoir jusqu’au fond un caractère de « horizontalité » : « le vrai intermédiaire – affirme Caressa – doit se maintenir dans une condition supérieure, sacerdotale, par rapport à l’horizontalité de l’objet du débat. Son niveau de conscience, de connaissance, d’apprentissage des faits et de choix des sources doit être nécessairement majeur. […] L’accès à l’information et son développement doivent maintenir des niveaux très rigoureux, même plus rigoureux qu’auparavant ». « Les réseaux sociaux en tant qu’évolution du journalisme peuvent marcher si ils représentent un développement possible de la discussion sur l’information » conclut Caressa, « mais ça ne peut pas marcher pour faire de l’info. C’est comme si j’allais au bar pour donner une nouvelle à mes amis, et puis j’en discutais avec eux. Ça n’a pas la même valeur ».
36« Le journaliste doit jouer son rôle d’intermédiaire même par l’usage des réseaux sociaux, même au cours du dialogue direct avec le public », ajoute Cucchi, « naturellement notre rigueur déontologique, l’objectivité, la capacité d’analyse, ce qui nous caractérise comme professionnels du journalisme, doivent être maintenues aussi dans l’interaction avec le public », et dans ce cas « notre figure professionnelle est plus complète ».
37La crédibilité du journaliste sportif sur Internet apparait donc strictement liée au maintien ferme et solide du professionnalisme du journaliste, c’est-à-dire le respect des devoirs liés à la profession indépendamment du contexte. Et ce maintien ne se traduit pas uniquement sur la façon de faire son travail, mais aussi sur la nature du travail même. Dans ce cas, la crédibilité risque d’être compromise par la confusion, déjà citée auparavant, entre le rôle du journaliste et celui de la “vedette” : « un choix pareil – affirme Fioravanti – nous rapproche plus du “personnage” que de l’artisan, que je crois être. Je le comprends bien, je suis ouvert par rapport à ce phénomène, mais sans aucun doute c’est autre chose. Le travail change, en quelque manière. L’animateur d’une émission qui serait censée être journalistique pourrait être perçu comme moins crédible, surtout vis-à-vis d’un auditoire avisé, au moment où il serait prisonnier de son “personnage”, poussé à dire ou faire des choses qui dépassent les bornes, pour promouvoir ce facteur additionnel qu’est le personnage, qui dépasse le professionnel ».
Conclusion
38En conclusion, nous pouvons remarquer que les réflexions des observateurs nous conduisent avec une certaine précision à analyser les problématiques principales du rapport entre le Net, le journalisme et la crédibilité. Au début de cet article nous avions posé deux questions principales, auxquelles nous essayons maintenant de donner une réponse.
39En premier lieu, nous nous étions concentrés sur le rôle joué par le Réseau au moment où il devient une source d’information pour le journaliste, par la visualisation des sites ou par la consultation et/ou la participation aux plateformes de discussion sur le Net, soit les lieux de discussion comme les blogs ou les forums, soit les instruments plus accomplis des médias participatifs, notamment Facebook, Twitter et Instagram (Allan & Thorsen, 2009 ; Sorrentino & Bianda, 2013). Les réflexions des observateurs privilégiés nous conduisent inévitablement à nous interroger sur le rôle actuel des sources de l’information elles-mêmes. Internet, en effet, offre une quantité quasiment indénombrable d’informations possibles et, en même temps, peut rendre très difficile l’identification de leur origine, à cause de la rapidité de la diffusion des données unie à une forme d’approximation, présente sur les réseaux sociaux (Morcellini, 2011 ; Broersma & Graham, 2013) et signalée par les observateurs. Non seulement : la crédibilité des sources, dans un domaine si particulier comme le sport, peut être ancrée à des éléments liés non pas à son adhérence au déroulement des événements, mais plutôt au respect d’une passion ou d’une partisannerie de nature sportive.
40Pour répondre à la question, il est nécessaire préalablement de souligner que, sur la base des réponses des observateurs privilégiés, Internet représente en même temps une ressource formidable et un risque énorme pour la crédibilité d’un journaliste professionnel. Si en effet d’un côté la connaissance fournie par le Réseau (soit-elle sous forme de notions et données ou au contraire d’ambiance, d’où la comparaison – usuelle d’un point de vue formel pour la langue italienne, mais néanmoins à notre avis significative – des outils du web 2.0 avec un “thermomètre”) peut contribuer de manière décisive à la qualité du travail du journaliste, d’autre part un excès de confiance vis-à-vis des sources officielles, un excès d’utilisation des informations nées sur le Net (en particulier dans le domaine du people) ou la transmission d’une fausse information ou une bévue peuvent le discréditer.
41Où se situe donc la frontière qui sépare ces deux influences si différentes du Réseau sur la crédibilité de l’information sportive ? Sur la base des réponses des observateurs privilégiés, cette différence réside dans le travail des journalistes, et en particulier sur trois des devoirs capitaux traditionnels (Sorrentino, 2002 ; Morcellini & Roberti, 2001 ; Hallin & Mancini, 2004 ; Scherer, 2011) : la vérification, la hiérarchisation, la mise en perspective. En effet, le recours exclusif aux sources primaires (pour des raisons de sujétion ou de paresse) signifie, au fait, renoncer à essayer de comprendre et d’expliquer les événements, en se contentant de fournir la version offerte par la communication officielle du système du sport ; parallèlement, consacrer trop d’espace à des informations liées à la vie privée des athlètes en sacrifiant d’autres faits de nature sportive pose des problèmes au niveau de la hiérarchisation.
42Mais c’est au niveau de la vérification que les observateurs privilégiés identifient le risque majeur du point de vue de la crédibilité. Il ne s’agit pas uniquement de la bévue éclatante – qui peut sans doute représenter l’exemple le plus retentissant (Casillo & Di Trocchio & Sica, 1997) – mais aussi, et peut-être surtout, de renoncer à la première étape du devoir éthique du journaliste (indépendamment de son domaine), qui consiste dans la recherche de la vérité (Spalletta, 2010 ; Stella, 2008 ; Morresi, 2003 ; Belsey & Chadwick, 1992). Les opportunités que le Web fournit aux journalistes sont donc immenses, mais ne contournent pas leur professionnalisme ; au contraire, ce même professionnalisme se dessine comme le seul facteur qui soit en mesure de faire pencher le Réseau sur la direction de la ressource fondamentale plutôt que vers le risque.
43Cette tendance peut s’appliquer aussi à la deuxième question que nous avons posée. Encore une fois, nos observateurs ont identifié la possibilité que la participation des journalistes sportifs aux débats nés sur Internet (et notamment sur les réseaux sociaux) puisse se révéler un outil important pour comprendre au mieux le public, pour marcher avec son temps, pour joindre une quantité d’individus qui pourraient être intéressés ; et, au contraire, l’éventualité que cette même participation puisse dégénérer, en s’éloignant du rôle et des devoirs du journaliste (Sorrentino, 2002 ; Morcellini & Roberti, 2001 ; Hallin & Mancini, 2004).
44C’est précisément par rapport au rôle que, encore une fois, nous pouvons identifier la frontière entre ces deux évolutions possibles de la crédibilité du journaliste en fonction de sa participation aux débats sur le Réseau. En effet, pour maintenir et renforcer sa crédibilité, le journaliste ne peut se permettre de caractériser son interaction avec le public par celle qui a été définie “horizontalité”, c’est-à-dire en secondant la tendance du Net (et des réseaux sociaux) à mettre tous sur le même niveau. Afin que ces discussions puissent se transformer en une valeur adjointe, le journaliste ne doit jamais quitter son rôle de professionnel de l’information. Il est significatif de souligner, dans ce cas, que si l’attitude la plus critiquée chez le public est sans doute celle de se cacher derrière le clavier pour insulter et provoquer, celle plus condamnée dans le camp des journalistes est précisément celle d’utiliser le Net et les réseaux sociaux pour construire une forme différente de crédibilité. Une crédibilité qui ne serait plus fondée sur la compétence et le travail, mais sur les autres racines qui, selon Gili (2005), peuvent de même être à la base de la crédibilité de la communication dans son ensemble : celle liée au partage de valeurs communes, et celle qui se fonde sur la sympathie et l’affection.
45Au contraire, comme le soulignent de nombreux auteurs et observateurs du journalisme italien (Sorrentino, 2006 ; Bechelloni, 1995 ; Morcellini, 2011 ; Spalletta, 2011 ; Spalletta & Ugolini, 2011), la principale racine de la crédibilité du journalisme est représentée par sa compétence, son objectivité, sa capacité de se mettre au service du citoyen pour rechercher la vérité avec accuracy et fairness. En conclusion, nous pouvons observer que la crédibilité du journalisme sportif sur le Réseau est de même fondée sur le respect des devoirs et des valeurs qui caractérisent le journalisme crédible dans son ensemble. Notre recherche nous a permis sans aucun doute de identifier, grâce à la perception et à l’analyse de professionnels réputés, l’existence de caractères particuliers et de formes de risques/opportunités liés aux médias et aux différents publics impliqués, dont les plus significatifs sont le point de départ idéal pour le développement de notre recherche. Le point nodal, toutefois, est que le journaliste, pour qu’il soit crédible, doit faire pleinement son travail : un travail qui, comme affirme Schudson (1995), consiste à « mettre en forme les informations ». La tâche du journaliste, en effet, ne peut se limiter à fournir les informations, ni peut se transformer en une discussion horizontale avec le public, mais au contraire prend forme au moment de l’intermédiation. Et, dans son rôle capital d’intermédiaire, le journaliste doit se garder de la paresse et de la précipitation dans la gestion des sources, et des tentations de popularité et de publicité aux dépens de la vérité. Seulement à ces conditions le travail journalistique pourra pleinement profiter des ressources immenses offertes, d’un côté, par l’intérêt, la passion et la compétence du public du journalisme sportif, d’autre part par les énormes potentialités structurelles et communicatives du Réseau.
46Le dernier sujet qu’émerge de notre recherche, et qui à notre avis offre une importante contribution aux études sur le journalisme sportif en Italie, concerne la nécessité de reconduire la réflexion sur l’information sportive à l’intérieur des études sur le journalisme. Ce qui apparaît formellement évident est en réalité une idée qui, en Italie, n’arrive pas à s’affirmer de manière complète : soit pour une méfiance générale vis-à-vis de la crédibilité du journalisme dans son ensemble (liée à la perception d’un journalisme fortement pluraliste-polarisé), soit pour une méfiance, tout aussi importante, vis-à-vis du journalisme sportif lui-même, perçu comme un “bavardage entre supporters” plutôt qu’une profession de l’information (Cucci & Germano, 2003 ; Spalletta & Ugolini, 2013).
47Au contraire, nous avons mis en évidence qu’il apparaît impossible d’analyser la construction et la perception de la crédibilité du journalisme sportif (sur les médias traditionnels et/ou sur le Net) au dehors des coordonnées qui définissent la crédibilité du journalisme tout court. En d’autres mots, nous affirmons que le journalisme sportif fait partie du journalisme, non seulement d’un point de vue nominal ou formel (le fait d’être appelé journalisme, ou d’être véhiculé par les mêmes médias), mais aussi d’un point de vue substantiel, puisqu’il participe à la création d’une opinion publique avertie et, si nécessaire, critique vis-à-vis de la société : c’est-à-dire le principe et la mission fondamentaux de la profession journalistique.
48* Cet article est le fruit du travail conjoint des deux auteurs. Spécifiquement, sont à attribuer à Marica Spalletta les paragraphes 1, 2 et 3 ; sont à attribuer à Lorenzo Ugolini les paragraphes 4 et 5.
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Notes
1 Les interviews ont été réalisées au cours de l’automne 2014; les qualifications que nous indiquons par la suite entre parenthèses sont celles que les observateurs avaient à l’époque.
2 Nous avons retenu de ne pas insister sur cet aspect pour envisager une réponse à notre principale question de recherche. Nous prenons en compte néanmoins que la popularité de nos observateurs privilégiés est différente par sa nature et par son niveau. Il s’agit d’un aspect utile à contextualiser certaines de leurs réponses et leurs choix des exemples.
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