French Journal For Media Research

Christian Pradié

Philippe Boulanger, Planète médias. Géopolitique des réseaux et de l’influence, Armand Colin, 2021, 384 p.

1Philippe Boulanger a assurément raison de juger que la géopolitique des médias a été marginalisée au sein des objets des sciences de l’information et de la communication, qu’il présentait dès 2014, dans une première édition de l’ouvrage1, comme la géopolitique d’« outils d’intelligence collective et collaborative mais aussi de contrôle, d’influence et de domination » (p. 11). L’approche polémologique, familière du champ traditionnel de la géopolitique, qui l’amène à envisager son analyse comme marquée par la « notion de rivalités de pouvoir sur un territoire » (p. 25), constitue l’originalité mais aussi une limite de l’approche retenue par l’auteur.

2Sur un plan historique, dans une première partie, figure un rappel clair des dynamiques d’apparition des pôles géographiques principaux, dont l’Europe, bénéficiant de l’antériorité d’innovations technologiques majeures, puis les Etats-Unis, devenus acteur de la globalisation médiatique par la conquête réussie des marchés multinationaux, et enfin l’Asie, aujourd’hui nouveau centre de gravité grâce à l’ampleur donné à l’essor des médias numériques. Aussi, une analyse de la géopolitique contemporaine peut être détaillée, dans une deuxième partie, en indiquant d’abord le rôle des Etats-Unis, initiant dans le cours des années 1960, une « stratégie planétaire de maitrise des réseaux de communication » (p. 81). La poursuite de celle-ci, marquée par la proximité des enjeux militaires et civils, la maîtrise de techniques de manipulation acquise dès 1917 à des fins intérieures et l’objectif d’universaliser une doctrine de libre circulation de l’information, s’oppose à la critique d’un impérialisme culturel, jusqu’à provoquer un retrait de l’Unesco. Le « rebondissement » (p. 135) des pays émergents au cours des années 2000 peut être analysé, suivant l’auteur, comme fortement relié à l’« accès aux NTIC, facteur de développement » (p. 147). Souvent appuyée sur une politique étatique, l’expansion des initiatives de recherche et développement conduit, au sein d’une bonne part des pays constituant les BRICS, au développement de forts potentiels allant du fourmillement de contrefaçons jusqu’à l’ambition accordée à de nouveaux programmes pour l’industrie spatiale. Toutefois, au sein d’un ensemble de pays en développement qu’il convient d’étendre à la Corée du Sud ou encore aux pays du Golfe, plaçant en commun les « TIC au centre de la société » (p. 161) subsiste une forte hétérogénéité, que peuvent accentuer les tendances actuelles liées à l’attractivité financière de territoires tels que l’Afrique pour les investissements croissants d’origine chinoise ou indienne ou par ailleurs aux blocages nombreux dus aux régimes autoritaristes de contrôle de l’opinion.

3Il se dégage dans l’ensemble de cette évolution un schéma d’« interconnexion globale » (p. 189), objet d’interprétation de plusieurs théories. Les premières, dites de la « modernisation », vantent au cours des années 1960 le bénéfice d’un décloisonnement des sociétés dû à la libre circulation des productions culturelles, source de progrès, auxquelles s’opposent, au cours des années 1970, attachées à une « défense de la souveraineté culturelle », les théories relevant les risques de dépendance envers des modèles dominants, notamment nord-américains, pouvant menacer, par des rapports par trop inégalitaires, identité et autonomie culturelles nationales. A présent, mérite d’être soulignée la portée de théories des « pôles de créativité » pouvant décrire la croissance de lieux, comme Hong Kong, Singapour, Rio, Mumbai, Beyrouth, Dubaï, etc., où les « influences culturelles étrangères et nationales se mélangent pour créer de nouvelles productions originales » et, en une sorte d’« impérialisme à l’envers », peuvent susciter une nouvelle « mise en concurrence planétaire par l’exportation des produits et de l’identité nationale » (p. 191). Le cadre d’un « dépassement des frontières » livre le constat d’une tendance à la « créolisation » (p. 192) des productions, permettant, avec le développement du cinéma indien de Bollywood, de la musique pop asiatique ou de la « sushi culture » d’inspiration japonaise, la conciliation de la tradition venue d’ethno-cultures et de la modernité issue de stratégies commerciales d’adaptation à destination de diasporas ou de publics étrangers exprimant des affinités idéologiques complexes.

4Opportunément, est apporté à l’analyse, dans une dernière partie, un ensemble d’ouvertures permettant de mieux saisir la « bataille des cultures » (p. 196). Une géopolitique des pratiques linguistiques qui se trouve dynamisée par la circulation des contenus médiatiques mérite d’être d’autant plus prise en compte que la « bataille linguistique relève généralement de la doctrine d’un État » (p. 204). Le développement contemporain des médias favorise de plus une « transnationalisation religieuse », pour laquelle existe, dans certaines de ces dynamiques, un rapport étroit « entre les médias, le fanatisme religieux à des fins politiques et les rivalités d’influence » (p. 215). Plus encore, existent dans le domaine de la diplomatie nombre d’enjeux approfondis dans les derniers chapitres de l’ouvrage, sur la modernité d’une maîtrise des médias tant en temps de paix, où est recherchée une « combinaison de tous les supports médiatiques dans la bataille d’influence » (p. 249) que durant le déroulement de conflits, où s’impose la gestion de « procédés de guerre médiatique » (p. 265).

5Le panorama que dresse, l’auteur, qui n’oublie pas les questions les plus récentes posées par le développement du cyberspace, est en somme complet et riche de données. Cependant, il est dommage qu’en se limitant à une présentation de la nature de l’intérêt des médias porté par les États comme un enjeu principal de respectabilité, afin de « rendre visible une position de puissance » (p. 215), il apparaît succomber au danger d’un certain géopolitico-centrisme. Un prolongement de l’analyse de l’intervention des États pourrait en effet mieux intégrer la complexité de la composition des politiques publiques qui, en ce domaine, ont à considérer la place importante des enjeux intérieurs, notamment afin d’obtenir la recherche d’un équilibre entre dynamiques de développement de secteurs publics et privés aux caractéristiques propres. La diversité de ces politiques publiques, répondant aux débouchés des différentes controverses nationales sur la politisation de ces questions et dont il conviendrait d’établir une approche comparée, témoigne particulièrement de la variété de structuration des systèmes nationaux de médias, souvent détachée d’un simple techno-déterminisme. Enfin, les politiques publiques sont fréquemment, et de façon croissante actuellement au sein de l’Union européenne, engagées dans les relations de coopération intergouvernementale, largement dissociées de rivalités d’influence. Aussi, l’étude géopolitique des médias devrait aussi pouvoir naturellement accueillir l’étude de l’adoption d’un accord comme la Convention sur la diversité culturelle, conclu au sein de l’Unesco en 2005, attaché à l’enjeu, très distant du jeu des rivalités des influences, d’une reconnaissance mutuelle de la souveraineté en matière de définition des politiques culturelles.

Notes

1 Sous le titre Géopolitique des médias. Acteurs, rivalités et conflits, Armand Colin.

Pour citer ce document

Christian Pradié, «Philippe Boulanger, Planète médias. Géopolitique des réseaux et de l’influence, Armand Colin, 2021, 384 p.», French Journal For Media Research [en ligne], Browse this journal/Dans cette revue, 18/2023 Varia, Notes de lecture, mis à jour le : 15/12/2023, URL : https://frenchjournalformediaresearch.com:443/lodel-1.0/main/index.php?id=2267.

Quelques mots à propos de :  Christian Pradié

Christian Pradié

Maître de conférences à l'Université Polytechnique des Hauts-de-France et à l'Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle

 

 

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