French Journal For Media Research

Marcel Bagare

(In)Visibilité de l’art traditionnel (le pagne Faso-Danfani) sur les réseaux sociaux numériques (RSN) : analyse des stratégies des acteurs

Résumé

De plus en plus libres et déconcentrés, les réseaux sociaux numériques (RSN) contribuent à rendre possibles de nouvelles formes de production, diffusion, consommation et prescription culturelles. L’usage de ces RSN pourrait alors affecter et transformer les pratiques des acteurs. Le cas du pagne traditionnel est rendu visible grâce aux RSN et participe à la construction d’une identité culturelle d’envergure.

Abstract

More and more free and deconcentrated, digital social networks (NSN), helps to make possible new forms of production, dissemination, consumption and cultural prescription. The use of these RSNs could then affect and transform the practices of the actors. The case of the traditional loincloth is made visible thanks to the RSN and participates in the same building a cultural identity of scope

Full text

Introduction

1Dans la conception ethnologique occidentale, historiquement parlant, le code vestimentaire des peuples africains se limite à des morceaux de peau de bêtes ou d’écorce d’arbre tannée (Coquet, 1993). Pourtant, plusieurs travaux de recherche font référence à de multitudes sources rapportant l’existence du tissage en Afrique noire (Viatte, 2002). Pour l’auteur, il ressort de ces différentes sources documentaires que certains récits arabes ont rapporté depuis le IXème siècle la richesse vestimentaire de certaines communautés africaines et la qualité des tissus qu’elles produisaient. Système de représentation du pouvoir et signe de richesse, le textile véhiculait des messages symboliques et occupait une place fondamentale dans le quotidien ainsi que les rituels des populations. De nombreux peuples du continent africain ont inventé et développé des techniques de filature, de tissage et de teinture. Cette diversité traduit la singularité des identités culturelles des peuples noirs d’Afrique. Ainsi, dans cette dynamique de l’affirmation culturelle, la façon d’utiliser les pagnes traditionnels dans l’habillement est un moyen d’expression de l’authenticité africaine. « Les textiles africains sont comme des livres pour la connaissance des peuples, de leur histoire, de leurs coutumes et de leur savoir-faire. Tout s’y révèle signifiant, tout y est, les fibres, les techniques de tissage, les colorants et les motifs » (Viatte, 2002, p.3). On observe ainsi que les figures modernes du pouvoir en Afrique s’expriment eux aussi à travers les costumes traditionnels. La valorisation de ces costumes par les nouvelles élites confère au secteur du textile un dynamisme important, ce qui laisse penser qu’il peut jouer un rôle dans la compétitivité de l’économie africaine.

2Au Burkina Faso, si le secteur du textile gagne en importance, c’est grâce au dynamisme et au développement de la culture du coton. Ainsi, la production du coton burkinabè avoisine les 800 000 tonnes par an et contribue à environ 5% du PIB du pays. En moyenne, les produits du coton ont contribué à 70% des exportations du pays sur la période 2010-2015, avec un record de 77,3% atteint en 2016. Ils ont permis d’engranger au titre de la balance commerciale quelque 160 milliards de francs CFA de recettes (CCIBF, 2018). Dans le cadre de l’analyse de l’impact de la production du coton dans la lutte contre la pauvreté, des enquêtes sur le revenu des ménages conduites par l’INERA/RSP1 rapportent que la culture du coton joue un rôle moteur dans la croissance et le bien-être des populations (INERA -CORAF/WECARD, 2015). Pour traiter de la thématique portant sur la production, la transformation et la commercialisation du textile traditionnel burkinabè, il est fondamental de s’intéresser aux acteurs dudit secteur avant d’envisager les défis, opportunités et perspectives de l’utilisation du textile traditionnel. Cependant, malgré l’importance de la production du coton au Burkina Faso, sa transformation est très peu développée. En effet, il ressort des statistiques officielles que la part de la production transformée en produits finis ou semi-finis représente moins de 5% en 2016 (Diarra, 2018). Au Burkina Faso, à peine 2% de la production fait l’objet de transformation locale par les artisans, soit environ 2500 tonnes de fils transformées chaque année en pagne traditionnel appelé « Faso-Danfani » (Dagnon & Macrae, 2007). Comme l’attestent les travaux de recherche de IGUE : « On dénombre d’importants foyers de production en Afrique de l’Ouest dont les plus originaux par la qualité de leur tissage sont (…) les populations du Burkina Faso […] réputées pour la fabrication du Faso-Danfani devenue depuis quelques années une activité de masse » (Igué, 2003) p.10.

3Aujourd’hui, au Burkina Faso, le pagne Faso-Danfani bouleverse les habitudes vestimentaires de populations issues de sensibilités culturelles différentes. Ce pagne traditionnel, autrefois utilisé en milieu rural (village), occupe aujourd’hui une place importante dans les pratiques vestimentaires des populations urbaines. Cette transition (du village vers la ville) de l’usage du pagne Faso-Danfani est le fruit d’un phénomène social. Qu’est ce qui peut favoriser une telle transition ? Ainsi, si la volonté des politiques a contribué pour une grande part à ce changement social, les médias et en particulier les médias socio-numériques ne sont pas en reste dans la manifestation de ce phénomène. Les médias (socio-numériques) seraient donc dans un tel contexte un canal favorable pour la promotion de cette œuvre culturelle qu’est le Faso-Danfani. La réflexion qui retient notre attention a trait aux rapports entre les technologies de l’information et la communication (TIC), relevant de la science et du modernisme, et le mécanisme fonctionnel des sociétés marquées d’une idéologie et d’une doctrine sociale souvent encore enracinées dans les traditions et les coutumes. Sous cet angle, les médias socio-numériques deviennent un moyen de passage de la communauté à la société, ou un autre type de communauté coexistant ? Si le pagne Faso-Danfani déborde de son milieu naturel qui est le village pour épouser les réalités de la ville, c’est du fait de la dynamique socio-culturelle, elle-même dépendante de la dynamique socio-spatiale favorisant les contradictions de l’espace-temps (Dumont & Hellier, 2010). En effet, le clivage ville-village n’est pas absolu; ce sont des groupes sociaux qui urbanisent et produisent des formes spatiales spécifiques et des cultures particulières. Entre les deux, le décalage temporel et la différence ne se réduisent pas à un retard dans une évolution linéaire, mais la formation de groupes avec de nouveaux rapports entre eux et des modes de vie particuliers (Lugan, 1997). Maintenir cette originalité des unités spatiales et affirmer la tendance à l’identité culturelle à travers le pagne traditionnel Faso-Danfani oblige à chercher l’explication du rôle des acteurs dans ce processus au-delà de cette double réalité.

4A partir d’une analyse de la transformation d’une structure simple à une structure plus complexe, nous projetons d’étudier l’usage des médias socio-numériques par les acteurs dans transformation des traits caractéristiques des sociétés africaines fondamentalement marquées par la tradition. On est soit, dans une démonstration de la transition dont parlent les sociologues selon un certain continuum ou, contraire dans un choc qui vient perturber ce passage. Robert Redfield et Milton B. Singer constatent que les sociétés ne fonctionnent pas de façon isolée; des plus traditionnelles aux plus développées, elles subissent de multiples influences. Les médias socio-numériques peuvent être considérés comme la manifestation d’une de ces influences, à l’interface des différentes sociétés, riches, pauvres, traditionnelles et modernes (Robert & Singer, 1954).

Problématique

5Nous analyserons le rôle des médias socio-numériques (RSN) dans la construction de l’identité culturelle à travers la vulgarisation du pagne traditionnel Faso-Danfani. Internet semble être un outil particulièrement prisé par les acteurs grâce à l’expansion actuelle de l’économie sociale et solidaire dont les communautés sont l’une des manifestations. L’identité culturelle ici, est un construit social dans lequel les représentations, les images, la mémoire jouent un rôle important. C’est aussi ce par quoi nous fondons notre reconnaissance ; ce qui fait qu’il y a « nous et les autres » c’est-à-dire ce qui à la fois nous lie et nous distingue des autres. En Afrique, cette identité se construit dans la relation sacrée avec les parents, donc à travers le cercle familial, le clan, le lignage (Thiemele Boa, 2007). Les TIC à travers les RSN participent donc à la reconstruction de cette identité, en ce qu’elles permettent un contact, ne fut-ce que virtuel avec les amis, les membres de la famille. Il s’agit donc d’une traduction matérielle d’une vision abstraite des ancêtres, traduction qui prend appui sur la réalité solide des technologies et donne une illusion de réalité relative à une communauté, à un territoire (espace) donné (Dubey, 2001). L’élément caractéristique d’un territoire (espace) est la relation d’occupation et de dominance qu’un individu ou un groupe entretient vis-à-vis d’un lieu. Dans cette dynamique, internet est donc un territoire, puisqu’il est, pour reprendre la pensée d’Olivier Zablocki, « un peu notre espace de vie sociale, mentale, intellectuelle, artistique, économique » (Zablocki, 2010, p. 35), un lieu que jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, quelle que soit leur origine, investissent. Les réseaux sociaux numériques (RSN), rendent ainsi possibles de nouvelles formes de production, diffusion, consommation et prescription culturelles (Coutant & Stenger, 2010). L’usage de ces RSN pourrait alors affecter et transformer les pratiques des acteurs. Face à un besoin presque vital de valorisation de valeurs culturelles à travers le pagne Faso Danfani, les RSN pourraient représenter diverses opportunités. Les RSN constituent des dispositifs numériques qui permettent la présentation de soi (les acteurs) et de leur travail artistique en autorisant différentes modalités d’interactions, synchrones ou asynchrones, avec d’autres internautes. Les acteurs peuvent y trouver une vitrine partage et d’information se substituant en partie aux médias classiques, développer leur réseau de contacts en lien plus direct avec leur public ou d’autres acteurs culturels. Ainsi, entre la nécessaire « visibilité », les risques liés à « l’invisibilité », mais aussi l’enjeu pour les acteurs de préserver les secrets de production de l’art traditionnel qu’est le pagne Faso Danfani, l’équilibre paraît difficile à construire. Cet équilibre est d’autant plus instable qu’il est soumis à l’influence de plusieurs facteurs qui échappent pour partie au contrôle des acteurs.

Question de recherche

6Nous formulons à cet effet deux questions principales :

  • Par quel mécanisme les usages des RSN (Facebook et WhatsApp) contribuent-ils au processus de mise en scène de soi (visibilité) par le pagne Faso-Danfani ?

  • <#ITALIQUES#></#ITALIQUES#>A travers le pagne Faso Danfani, Comment les RSN contribuent ils à la construction de l’identité culturelle ?

Hypothèse de recherche

7Ainsi, à partir des aspects développés ci-dessus, nous formulons les hypothèses suivantes :

  • Hypothèse 1: les usages médiatiques liés à Facebook et WhatsApp seraient complémentaires et favorables à l’activité professionnelle des acteurs (producteurs -.stylistes/modélistes – distributeurs) impliqués dans la valorisation de pagne Faso Danfani. Cette hypothèse implique qu’il y aurait une correspondance entre l’expérience professionnelle des acteurs et l’expérience numérique de 1’internaute.

  • Hypothèse 2: la contribution des acteurs aux contenus des RSN (Facebook et WhatsApp) axé sur le pagne Faso Danfani viserait à la définition d’une identité culturelle. Pour cette hypothèse, il existerait potentiellement une influence relative entre les activités des acteurs et la construction d’une identité culturelle.

Cadre théorique et méthodologique

8Avant d’identifier et de comprendre les mécanismes ou facteurs qui conduisent à la construction de l’identité culturelle par l’utilisation des RSN par les acteurs impliqués dans la valorisation de l’art traditionnel (le pagne Faso-Danfani) comme c’est le cas dans cette étude sur, il convient de s’attarder sur certains aspects de la recherche.

Approche conceptuelle et théorique

9La première partie de cette étape présente le cadre conceptuel et théorique qui permet de situer notre recherche sur le plan théorique. Nous abordons dans un premier temps la question des usages des médias plus spécifiquement les RSN comme c’est le cas dans cette recherche et en rapport avec les pratiques acteurs. Nous abordons ensuite la mise en scène de soi (visibilité) en présentant l’approche goffmanienne (Goffman, 1973) ainsi qu’en abordant la question d’identité culturelle.

10Mais avant tout, il convient de clarifier le concept RSN. Dans une approche classique, le réseau social désigne un ensemble de personnes réunies par un lien social. À la fin des années 1990, des réseaux sociaux sont apparus sur Internet, regroupant des personnes via des services d’échanges personnalisés. Ainsi, un réseau social numérique représente une structure sociale dynamique se modélisant par des sommets et des arêtes (Bonjawo, 2011). Dans le cadre d’une approche marketing, le terme de réseaux sociaux désigne l’ensemble des sites Internet permettant de se constituer un réseau d’amis ou de connaissances professionnelles et fournissant à leurs membres des outils d’interaction, de présentation et de communication (Grębosz & Otto, 1997). Nous retiendrons dans le contexte de notre étude les réseaux Facebook et WhatsApp comme outils de communication numérique car ils ont pour particularité de rassembler les internautes entre autres en fonction de leurs centres d’intérêt d’où la notion des usages des RSN par les acteurs.

Théories sur les réseaux sociaux

11Emprunter aux sciences de gestion, la théorie de réseaux sociaux revêt un intérêt car, elle permet d’appréhender certains enjeux organisationnels tels que l’action individuelle, la coopération intra-organisationnelle et les relations inter-organisationnelles (Baret, Huault, & Picq, (2006). Par sa capacité à traiter le contexte relationnel pour mieux analyser l’action individuelle, la théorie des réseaux sociaux s’est identifiée comme une théorie de l’action. Ces chercheurs se sont intéressés analytiquement aux relations informelles et interpersonnelles et ont cherché à démontrer la probabilité que « l’ami de mon ami soit mon ami » (Barnes, 1954). Le fondement de leur réflexion tourne autour d’un objectif qui est de comprendre les formes sociales émergeantes des interactions entre individus. En posant, les prémices de la théorie, les précurseurs de ce courant théorique s’inscrivent dans le champ de l’analyse des réseaux plus précisément, ils ont cherché, à travers la construction d’un sociogramme, à identifier les liens d’affinité entre un groupe. Ils ont mené des premières investigations pour y étudier la densité des relations entre les habitants et la probabilité que si un habitant A connait un habitant B et que l’habitant B connait l’habitant C alors A connait C. en effet, ils ont pu constater que l’ensemble des habitants étaient indirectement liés les uns aux autres par une chaîne de relations de quatre maillons au maximum et que ce réseau relationnel pouvait s’étendre au-delà pour s’appliquer à toute l’humanité (Lefebvre, 2005). Cette utilisation massive des RSN s’accompagne de certaines évolutions. Certaines d’entre elles sont purement techniques et s’inscrivent dans la mouvance des TIC: Les RSN permettraient l’élaboration d’une profusion d’informations consultables au-delà des frontières physiques et accessibles rapidement (si ce n’est instantanément). Si ces évolutions matérielles et technologiques ne sont nullement négligeables, les conséquences en ce qui concerne leurs usages le sont encore moins.

La théorie des usages et gratifications 

12Les usages et pratiques des RSN par les acteurs au Burkina Faso s’inscrivent dans une dynamique de stratégies et tactiques. En fonction de leurs cultures, de leurs niveaux de vie, de leurs compétences et de leurs rapports au dispositif, les acteurs s’approprient ainsi différemment les RSN. Nous comptons aborder la théorie des usages et gratifications dans une dimension microsociale et locale des usages des RSN. Cette théorie s’inscrit dans les objectifs de la satisfaction des usagers dans la pratique et l’appropriation des objets en considérant le public non plus comme de cibles amorphes, mais comme un acteur actif doté des capacités créatives. Dans cette approche, nous mettons en cause la dimension psychologisante de la théorie, tout en reconnaissant que les acteurs font usage RSN dans le but de satisfaire un besoin et d’atteindre un but. Dans un paradigme fonctionnaliste les Uses and Gratifications présentent l’utilisation des médias (RSN) en termes de satisfaction des besoins sociaux ou psychologiques de l’individu (Blumler & Katz, 1974). Centrée sur le public pour comprendre la communication de masse, cette approche met l’accent sur le « pourquoi » les usagers utilisent les médias plutôt que sur leurs contenus. En s’interrogeant moins sur ce que « les médias font aux individus » mais sur ce que « les individus font des médias ». Ce qui suppose que le public n’est pas un consommateur passif des médias ; mais un usager actif dans l’interprétation, l’intégration et l’appropriation des médias RSN. Dans la même perspective, nous abordons la typologie de Denis McQuail (McQuail, 1984, p. 73) sur les raisons communes pour l’utilisation des médias. Cette approche de McQuail est illustrative, car les usagers RSN ont également des raisons d’usages axées sur les informations (nouveautés sur les produits,...), l’identité personnelle (parler de soi, publier ses photos, le renforcement des valeurs personnelles...), l’intégration et l'interaction sociale (réseaux sociaux, forums et discussions, appartenance à communauté virtuelle...) et le divertissement (vidéos, films en streaming...).

13Le phénomène qui nous traitons ici implique toutefois l’actualisation de nos propos en fonction des évolutions techniques et sociales. Nous mettrons ici en perspective le développement des TIC à la lumière des travaux issus de la sociologie des usages (d’une consommation active du public à une participation accrue des internautes). La sociologie des usages s’est développée en France, en Belgique et au Québec à partir des années 1980 (Jouët, 2000, p. 489) .Ce courant s’est développé avec l’invention des « nouveaux » objets de la communication: ces derniers correspondent en 1’occurrence aux produits issus de l’informatisation de la société. L’introduction de ce « nouvel » objet est toute relative. En effet, Josianne Jouët démontre dans sa généalogie des usages qu’il existe :

« une filiation entre l'emploi des anciens et des nouveaux outils de communication (machine à écrire/ordinateur; téléphone/Minite l /répondeur; télé convivialité/messageries, etc.). Les usages des outils périphériques se greffent sur les pratiques de la technologie mère, mais la construction des usages passe aussi souvent par des phénomènes d’hybridation interne des moyens de communication » (Jouët, 2000, p. 501).

14Ainsi, en se rapportant à cette réflexion de Jouët de la participation en ligne serait un phénomène complexe s’appliquant à un nombre d’usagers qui perçoivent la technique comme un moyen d’assouvir certains de leurs besoins. Nous tenterons dans les étapes suivantes de déceler les caractéristiques de cette participation en ligne (RSN) en mettant en exergue les motivations des usagers.

Le concept Goffmanien appliqué aux RSN dans la mise en scène du soi

15Nous abordons cette réflexion dans le cadre de la sociologie des usages. « L’usage de 1a technique n’est pas sociologiquement neutre: il est porteur de valeurs et sources de significations sociales pour l’usager. » (Jauréguiberry & Proulx, 2011, p. 24). Les travaux sur les usages d’une technologie renvoie à décrire, analyser et expliquer ce que les usagers font avec les objets et dispositifs techniques. Dans les travaux de Goffman : (Les rites d’interaction (1974) et La mise en scène de la vie quotidienne (1973)), les concepts développés ont servi à deux chercheurs Coutant et Stenger qui les ont appliqué sur les réseaux sociaux au cours de leurs investigations (Coutant et Stenger, 2010). Ces derniers ont analysé la manière dont ceux-ci constituaient des scènes favorisant l’expression identitaire. De façon précise, comment la mise en scène de soi qu’effectuent les usagers se base sur le cadre de l’ordre de l’interaction hors ligne. Les auteurs mettent ainsi en lumière les différents supports sociotechniques sur lesquels s’appuient les utilisateurs pour composer leur « face ». L’une des premières caractéristiques des RSN selon l’approche goffmanienne est qu’ils évitent les confrontations en face à face, grâce à l’écran de 1’ordinateur. Les jeunes peuvent « s’essayer en ligne » et ainsi avoir un cadre social adéquat (boyd, 2008), c’est un entraînement aux interactions en public (Gof:finan, 1974). De cette approche de mise en scène de soi aborde un axe à double entrée selon les chercheurs, à savoir l’intimité (communication avec un cercle rapproché de personnes) et l’extimité (communication avec un maximum d’individus). Coutant et Stenger ont ainsi réalisé une cartographie permettant d’identifier des zones (bande de potes, sphère publique à infrastructure médiatique, cour, cérémonial) dans lesquels on peut situer les modes de présentation (les trait culturels) des profils sur les RSN (Coutant et Stenger, 2010, p.13)

16Ce type de cartographie se rapproche de celles proposées par Cardon, et notamment celle rattachée aux « traits identitaires projetés vers les plateformes du Web 2.0 » (Cardon, 2010). Deux dynamiques sont mis en évidence ici : l’extériorisation oppose sur un premier axe « les traits identitaires les plus incorporés à la personne (être) à ceux qu'elle a extériorisés dans des activités et des œuvres (faire) » (Cardon, 2008, p.100). Le réglage réflexif de la distance à soi, est quant à lui un mouvement qui se caractérise en opposat1t sur un deuxième axe « les traits identitaires que les personnes endossent simultanément dans leurs vies numériques et réelles (réel) et ceux qui constituent des projections dans des rôles qui échappent aux contraintes de réalité que rencontrent les personnes dans leur vie quotidienne (projeté) » (Cardon, 2008, p.102). En rapprochant la pensée de Cardon à celle de réalité dans le cadre de la recherche avec les usagers de RSN au contact avec l’art traditionnel (le pagne Faso Danfani), on détermine une identité culturelle ce que Goffman appelle ‘‘identité déclarative’’.

Identité culturelle à travers les RSN

17Si l’identité culturelle est une fondation solide pour les relations interculturelles, elle joue avant tout un rôle important dans notre vie quotidienne. En effet, elle constitue un système de valeurs, un mode de fonctionnement, que nous avons intégré et qui nous permet de réagir dans différentes situations. Ainsi, les premières activités usagers sur les RSN se penchent sur leur identité individuelle (la manière dont ils se définissent personnellement) tandis que les suivantes concernent leur identité collective (leurs appartenances à des groupes et cultures) (Vaast & Walsham, 2005). De même, nous partons d’éléments très concrets liés au vécu des participants pour ensuite développer des notions plus abstraites et définir les concepts d’identité et de culture, dans leurs multiples sens. En se découvrant soi-même les participants apprennent à mieux connaître les autres. Si les activités sont d’abord centrées sur la classe, les processus mis en place mènent à une ouverture culturelle qui peut ensuite se répercuter dans la vie quotidienne des usagers, sur leurs interactions avec leur entourage (Brohmi, 2008).

18En effet, la société de l’information principalement engendrée par les TIC, ne peut se concevoir sans diversité culturelle, traditionnelle et linguistique et la communication est justement un processus fondamental à l’origine de toute organisation sociale (Bassilekin, 2006). Communiquer, c’est bien que simplement transmettre des informations, mais c’est une confrontation humaine entre individus à travers laquelle se forgent des échanges en connaissances et entre cultures. Dans ce nouveau cadre socioéconomique qui est ajusté aux TIC, les individus ont trouvé plus de liberté culturelle car jamais au paravent l’humanité n’a connu cette relation proche voir intime entre les peuples (Warnier, 2007). De plus, avec le développement des TIC, l’interaction des différentes cultures ne cesse de s’agrandir et aussi l’activité humaine est de plus en plus importante et c’est dans cet esprit que les TIC sont désormais promus au rang de dispositifs privilégiés du dialogue interculturel et des échanges entre cultures du monde, elles offrent aux différents peuples du monde, une opportunité de se identité culturelle dans ce monde en mutation continue (CEPII, 2007).

Méthodologie

19Les nouvelles tendances numériques exigent d’être abordées successivement par des méthodes quantitatives et qualitatives (Venturini, 2012).

20Sur le plan qualitatif, nous nous baserons sur le postulat selon lequel on peut accéder à une caractérisation interne (stratégie des acteurs) afin d’extraire des données et construire des schèmes explicatifs plus analytiques et mieux articulés sur la réalité. Pour ce faire, nous identifions ce que Mucchielli (2005) appelle l’analyse de contenu qui est une techniques d’analyse des textes utilisant des procédures systématiques et objectives de description permettant le traitement du contenu (implicite et explicite) des textes, en vue d’en classer et d’en interpréter, par inférence, les éléments constitutifs (Mucchielli, 2005). Ainsi dans notre démarche, cette approche permet de découvrir la signification des messages contenus sur les réseaux sociaux numériques mais surtout les motivations de ceux qui les animent : les acteurs qui mettent en valeur le pagne traditionnel Faso-Danfani. Pour y arriver, le recours à l’approche socio-anthropologique définit comme : « l’immersion prolongée dans les rapports sociaux locaux, la descente dans la puits à partir de laquelle des informations recueillies par un observateur au sein d’un petit groupe social se construisent les théories de l’anthropologie », contribuera à expliquer les stratégies des acteurs dans les usages des RSN et la valorisation du pagne Faso-Danfani dans son univers culturel.

21La méthode quantitative est aussi convoquée dans cette réflexion car, elle rend l’approche spécifique à la saisie du particulier, du singulier, de la mise au jour de l'individu social et de ses actions, appréhendées à son échelle. L’idée première de l’équivalence structurale est de partitionner les réseaux en groupes d’individus intégrés dans le réseau de manière relativement similaire (identification de positions). Cette détermination de positions identiques au sein d’un réseau est mesurée par les modèles catégoriques (Mazzoni, 2006). Néanmoins, cette partition ne peut se faire sans une analyse exploratoire des données et une bonne connaissance des acteurs. Le regroupement d’individus n’est pas qu’une modélisation statistique d’autant plus incertaine qu’il n’existe pas de consensus sur les indices permettant d’évaluer la qualité des modèles de mesure (Petroczi, Nepusz, & Baszo, 2006). A travers cette méthode, nous avons également pu recueillir des données suffisantes pour comprendre dans quelle proportion les principaux acteurs utilisent les RSN dans la promotion et la détermination de l’identité culturelle à travers le pagne Faso-Danfani sur ces RSN.

Echantillonnage et outils de collecte

22Notre échantillonnage a été déterminé de façon non-probabiliste et dirigée (purposeful sampling). Ce type d’échantillonnage par choix raisonné permet de sélectionner des cas que l’on juge riches en données. Selon ce concept, nous choisirons des acteurs précis pour notre étude « car ils peuvent délibérément informer sur le problème de recherche ou le phénomène central de l’étude » (Creswell, 2013) p.156.

Echantillon : La population de l’étude

23Dans le cadre de notre recherche, nos participants devaient répondre à plusieurs critères. Tout d’abord, ils devaient disposer d’un compte sur Facebook et WhatsApp, être actifs sur leur compte, et plus particulièrement dans la publication de photos, vidéos et textes argumentatifs. En ce qui concerne les acteurs utilisant ces RSN notamment (Facebook que sur WhatsApp) dans la valorisation du pagne traditionnel Faso-Danfani, nous en avons identifié trois grandes catégories : les artistes (stylistes-modélistes), les fabricants (artisans-producteurs) et les distributeurs (vendeurs). Un autre type d’acteur peut être mentionné dans le cadre de cette recherche, il s’agit des consommateurs (internautes) dont l’opinion est recueillie dans les forums de discussion des trois catégories d’acteurs cités ci-dessus. Ainsi, nous avons constitué trois catégories d’acteurs par type de RSN (Facebook que sur WhatsApp) selon les effectifs suivants :

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24Après avoir recueilli les données utiles à notre étude, nous nous sommes consacré à l’élaboration du corpus afin de mener une analyse du contenu des réseaux sociaux numériques (Facebook et WhatsApp) en examinant les publications des acteurs. Afin de procéder à ce type d’analyse, nous avons utilisé une grille thématique élaborée à partir de tous les éléments postés sur les pages des acteurs, en tenant compte à chaque fois des commentaires publiés par les personnes actives sur ces pages (internautes). Nous avons eu recours à l’étude comparative, processus naturel qui reprend les catégories les plus ordinaires d’un raisonnement (Aron, 1986). Nous avons effectué cette recherche dans la période du 15 février au 15 mars 2019. Nous avons choisi cette période car la date du 8 mars, Journée internationale de la femme, est chaque année un moment fort de la valorisation du pagne traditionnel Faso-Danfani par les différents acteurs. Au Burkina Faso, un pagne traditionnel spécifique est confectionné chaque année à l’occasion du 8 mars ; son motif et ses couleurs sont déterminés par le ministère en charge de la femme qui exige des producteurs l’apposition d’un logo et du thème officiel de la célébration.

Le corpus

25Dans le tableau ci-dessous, nous avons identifié sur les pages des principaux acteurs retenus pour cette recherche des éléments constitutifs ayant fait l’objet de publications (photos accompagnés d’argumentaires, vidéos et textes argumentatifs). Pour ce qui des internautes, nous avons retenu les cinq (5) premiers commentaires de chaque post publié.

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Les outils de collecte des données

26En cohérence avec notre problématique liée aux usages des RSN dans cette activité de « visibilité », nous avons élaboré des guides d’entretien articulé en trois axes thématiques (a- art et processus créatif, b- représentations et usages des réseaux sociaux numériques, c- construction de l’identité culturelle). En effet, leur métier et leurs activités sont relativement difficiles à appréhender (l’art), notamment, parce qu’ils sont en partie invisibles et singuliers, mais aussi parce que nous ne disposons que de peu (voire pas) de référentiels de travail à partir desquels nous aurions pu baser notre compréhension. Aussi, les méthodes de recueil de données mises en œuvre dans cette recherche ne sont pas nouvelles, leur originalité réside dans leur application au domaine artistique. Notre méthode a été nourrie des principes de la technique d’entretien d’explicitation (Vermersch, 1994) sans pour autant l’avoir appliquée exhaustivement. Ainsi, les entretiens visaient bien l’explicitation des actions, pensées et activités, perceptions et émotions de l’artiste à un moment donné d’une activité spécifique de mise en visibilité. Nous ne cherchions pas principalement la verbalisation des avis et opinions, mais des verbalisations décrivant l’action effective et son vécu en rapport aux RSN et l’explicitation d’une activité de mise en visibilité précise. Mais avant, il aurait fallu pour nous d’intégrer la communauté des acteurs en ligne afin de créer la proximité. Cette approche induira la méthode d’observation comme un outil de collecte au même titre que l’entretien. Pour cela, deux choix sont possibles : soit mener une observation discrète, soit une observation participative. Cette dernière demandera le respect de certaines règles éthiques. Ces deux méthodes requièrent une bonne préparation en amont. En effet, pour bien mener ce type d’étude, il est essentiel de bien étudier la communauté avant de commencer son observation participative ou non. Ainsi, il convient de se renseigner sur ses membres, le ton et le type de langage utilisé, ses usages, ses normes et ses orientations. Concernant l’observation discrète, elle consiste, tout simplement, à suivre les échanges sans se présenter ou prendre part à la conversation. A l’inverse, la mise en place d’une observation participative demande à l’enquêteur de se présenter de manière transparente auprès des membres de la communauté qu’il souhaite intégrer et de leur énoncer clairement ses intentions (Bernard, 2006).

L’analyse de réseaux sociaux

27L’analyse de réseaux sociaux « Social Network Analysis, (SNA) » est une approche scientifique dite structuraliste qui s’intéresse tout particulièrement aux caractéristiques des liens entre les différentes entités sociales. Il s’agit d’une méthode soutenue par plusieurs sociologues et chercheurs et qui a pour but de représenter tout phénomène social à travers des relations et des interactions empiriquement observables (Granovetter, 1973). Contrairement aux méthodes classiques qui se référent souvent aux attributs sociaux des individus (âge, genre, classe sociale, niveau d’éducation…), cette approche se caractérise par l’étude de la configuration des relations et des liens existants entre les différentes unités sociales (individus, groupe, organisation…). Globalement, la méthode SNA fournit une vision plus large sur le formel et l’informel au sein de l’organisation (Pereira & Soares, 2007). Elle aide à la compréhension des relations de pouvoir ou de communication inter ou intra organisationnelle grâce aux données sociométriques. Les unités de mesure peuvent examiner un ensemble d’individus et les liens existants entre eux. Elles peuvent concerner une « diade » (deux individus et leurs liens), une « triade » (trois individus et leurs liens), des structures encore plus larges formés de sous-groupes d’individus ou encore un réseau entier (Wasserman & Faust, 1994). Une des mesures les plus utilisées sur les réseaux sociaux est la centralité (Baret et al. 2006). Les acteurs considérés comme centraux sont ceux qui disposent de relations avec le plus grand nombre des membres du réseau, ceux qui jouent un rôle qui est plus connecté aux autres rôles et qui est haut dans la hiérarchie. La position centrale concerne aussi qui disposent de la meilleure étendue des liens et qui sont connectés à des sous-ensembles déconnectés du réseau.

28Au-delà de sa démarche quantitative et sociométrique, SNA est également une méthode de raffinement de l’analyse stratégique. Elle permet de décrypter l’influence et le conflit entre les acteurs (Perry-Smith & and Shalley, 2003) ainsi que les jeux de pouvoir sous-jacents aux interconnexions du réseau. L’analyse des réseaux sociaux est considérée comme étant une méthode nécessaire à l’exploration de ce capital social. Les relations sociales renferment des unités de mesures utiles à l’analyse des réseaux et qui sont liés à la structure du réseau, à sa densité, à la connectivité entre les acteurs et à leurs positions au sein du réseau

Résultats

29La combinaison des modèles théoriques et les analyses ont conduit dans le cadre de cette recherche aux résultats suivants : un premier axe : usages et rapports aux RSN et facteurs à cette acceptation. Enfin, un second axe concerne les stratégies de régulation par et pour l’usage des RSN dans l’objectif d’une mise en visibilité de soi par le par le pagne Faso Danfani et la construction de l’identité culturelle.

Rapport entre le pagne Faso Danfani et identité culturelle

30Dans l’approche de la dynamique de recherche de l’École de Palo Alto, le résultat de certains travaux dont la base fondamentale se rapporte aux relations montrent que tout comportement a une valeur communicative. La façon dont certains groupes (individus) s’habillent permet de mettre en exergue des informations sur leur identité directe (qui ils sont) et leur identité socio-culturelle désirée (qui ils souhaitent être) (Gherchanoc & Huet, 2007). Dans le cadre de notre recherche, nous avons abouti au résultat selon lequel le pagne traditionnel Faso-Danfani offre une possibilité de différenciation à ceux qui le portent (Pop, 1984). Le pagne Faso-Danfani est situé sur le plan spatial, lorsque des individus s’identifient comme éléments d’un même groupe selon leur tenue, en référence à leur milieu d’appartenance (zone rurale/village ou zone urbaine/ville). Il est également situé dans la temporalité, lorsque le choix pagne Faso Danfani est influencé par l’âge (la génération) ou par l’époque dans laquelle on vit. Le pagne traditionnel Faso-Danfani opère aussi une différenciation sur le plan social car il informe sur le statut social de ses usagers (ceux qui le portent). Les accessoires qui accompagnent le pagne traditionnel Faso-Danfani permettent cette approche de différenciation de deux façons : soit l’individu est le seul à porter un accessoire particulier (c’est le cas du chapeau, caractéristique de référence des chefs traditionnels dans le contexte burkinabè), soit les caractéristiques de l’objet sont différentes de celles choisies par les autres usagers selon la marque, la couleur, etc. Cette tendance relève du travail des acteurs comme les stylistes-modélistes et même les producteurs (voir images issues des pages des acteurs de l’étude ci-dessous).

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31De manière générale, il ressort que le pagne traditionnel Faso-Danfani, dans sa conception (traditionnelle / moderne), participe à une meilleure visibilité des individus au sein des groupes dans les communautés dont ils épousent les valeurs y afférentes. Il s’agit d’éléments qui permettent à chacun de satisfaire tant le besoin d’appartenance à une culture et au façonnement d’une identité. Un tel processus facilité par les RSN, provoque chez les usagers le désir individuel de se particulariser et de se différencier des siens tout en gardant les valeurs communes (Cussety, 2006). C’est la phase de construction d’une identité culturelle puisque la valeur de référence est le pagne traditionnel Faso Danfani.

Visibilité du pagne Faso Danfani via les RSN

32Les résultats auxquels nous sommes parvenus rappellent que les réseaux sociaux numériques (RSN) comme Facebook et WhatsApp contribuent aux nouvelles formes de visibilité de la vie professionnelle (à l’échelle de l’entreprise) comme de la vie sociale (à l’échelle de l’individu). C’est particulièrement le cas des activités des acteurs qui font l’objet de notre recherche (Stylistes/modélistes–Producteurs–Vendeurs) pour lesquels les contacts avec les clients et fournisseurs via les RSN (Facebook et WhatsApp) font souvent partie du quotidien. Si les RSN ont pour vocation principale de favoriser des connexions et des échanges entre ses membres, ils ont une dimension marketing qui inclut un but avantageux (lucratif) et des outils publicitaires d’où la notion de visibilité à travers les vidéos, les photos, et les textes argumentés. (voir tableau n°3). Ainsi, ces plateformes proposent aux acteurs différents outils qui leur permettent d’interagir et de communiquer avec les internautes et plus spécifiquement de toucher leurs cibles (consommateurs) sur un réseau donné. Tous les acteurs rencontrés dans cette recherche ne cultivent selon le besoin un rapport important aux réseaux sociaux numériques (Facebook et WhatsApp). Leur participation à la réflexion a donc été utile à l’identification de facteurs favorables ou non à l’acceptation des RSN pour l’activité qu’ils réalisent et/ou qu’ils cherchent à déployer dans le domaine de la mise en valeur du pagne traditionnel Faso-Danfani.

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33La mise en visibilité du pagne Faso-Danfani à travers les RSN est une activité à part entière. Il peut y avoir plusieurs formules et objectifs à la mise en visibilité au sens de l’auteur (Goffman, 1973) du pagne traditionnelle sur les RSN. La notion de visibilité sociale contribue à façonner socialement les acteurs (stylistes/modélistes – Producteurs – Vendeurs) en leur attribuant une identité numérique (profils sur Facebook et WhatsApp) et à atteindre leur cible en exposant leur travail au sein des RSN. Une visibilité du processus créatif « en train de se faire » est possible quand le RSN est investi comme nouvel espace de création. Plus globalement, les outils comme les vidéos, les photos et les textes argumentatifs publiés par les différents acteurs (stylistes/modélistes – Producteurs – Vendeurs) sur les RSN donne de la visibilité au pagne traditionnel Faso-Danfani à travers les œuvres réalisées par ces derniers. Les résultats des tableaux n°3 et 4 rapportent une grande préférence accordée à la photo comparativement à la vidéo et au texte argumentatif, avec respectivement 83,33% d’utilisation de photos par les acteurs contre 6,66 % et 11,66% d’utilisation de vidéos et textes argumentatifs par ces mêmes acteurs. Si on observe une grande disparité dans l’utilisation des outils/moyens de communication (photos – vidéos – textes), sur les réseaux sociaux numériques (RSN), les acteurs font une utilisation sensiblement égale des RSN d’une façon générale. On rappelle à cet effet que les données du tableau n°4 affichent 33,32 % d’utilisation des différents outils de communication sur les RSN par les stylistes modélistes, 33,33 % et 33,26% pour les producteurs et les vendeurs du pagne traditionnel Faso Danfani.

34En substance, l’usage des RSN par les différents acteurs du secteur du pagne traditionnel conforte la mise en visibilité de leurs créations et produits. Ces formes de visibilité numérique servent les enjeux identitaires, de socialisation, économiques et motivationnels.

Discussion

35L’analyse thématique révèle l’importance du rapport général que les acteurs développent à l’égard des technologies dans le processus d’acceptation des RSN. Ce processus s’ancre donc dans une trajectoire globale et historique d’usage des technologies des constructions des représentations sociales, culturelles, etc.

Les RSN : axe stratégique de visibilité du Faso-Danfani

36Jusqu’à présent, au Burkina Faso, certaines organisations individuelles comme des organisations collectives s’inscrivent dans la dimension traditionnelle de la communication de masse selon laquelle une organisation transmet un message via un medium vers un individu. Ces chercheurs mettent en exergue la réactivité des acteurs en évoquant le principe de feedback dans les rapports de communication. En faisant appel à cette notion, nous rappelons la théorie de La cybernétique qui est le système de contrôle selon Wiener ; contrôle au sens de relations, de rapports et d’échanges (Wiener, 1948). Ainsi, le rapport entre les acteurs évolue et l’organisation tient compte de la réactivité des individus dans sa dynamique communicationnelle. Cette approche vient marquer la fin de la domination de l’émetteur sur les récepteurs, comme le montre l’approche de Shannon : la publicité de masse dans le processus de la dynamique communicationnelle se traduit par le rejet d’une vision axée sur un usager de type commun prévisible, pour privilégier l’approche mettant l’accent sur un individu identifié, imprévisible et autonome en termes de comportement. L’usager a, en effet, une véritable activité de communication voire de consommation. De consommateur-passif, il devient client-actif (Gardere, 2001).

37Nous chercherons ici, à déterminer l’influence des réseaux sociaux numériques dans la visibilité du pagne Faso-Danfani à travers la stratégie des principaux acteurs. De façon générale, le fonctionnement de Facebook permet aux acteurs (Stylistes-modélistes – Producteurs – Vendeurs) de se créer un profil personnalisé pour se connecter et interagir dans leurs cercles de relation par l’entremise du réseau. Les acteurs ajoutent un identifiant particulier dans la présentation de leur profil. Dans le cadre de leurs activités, ils utilisent une image caractéristique du pagne traditionnel Faso-Danfani en photo de leur profil (voir photo n°2b).

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38Ce profil Facebook tel que conçu fournit une série d’informations à caractère plus ou moins personnel, comme le nom, le prénom, la ville de résidence, etc. Pour la plupart des acteurs, des images, photos et vidéos peuvent effectivement être greffées aux profils. L’utilisation de ces éléments revêt un caractère publicitaire dans la promotion de l’activité de l’utilisateur (acteurs principaux de l’étude) à travers le pagne Faso-Danfani. Facebook prend le caractère d’un nouveau médium permettant aux acteurs (Stylistes/modélistes – Producteurs – Vendeurs) de communiquer librement, tout en restant en contact sur le réseau avec des personnes qui partagent les mêmes attachements et intérêts et qui ont la capacité de transformer l’opinion publique et de changer la société (Pike, Bateman et Butler, 2009). D’ailleurs, tous les acteurs étudiés dans cette recherche confirment utiliser les réseaux sociaux numériques et spécifiquement Facebook pour exposer leurs œuvres et produits issus du pagne Faso-Danfani. Par contre, ils font le constat que WhatsApp donne l’occasion d’échanger directement avec les internautes qui participent à dans les forums d’échange à l’aide de numéros téléphoniques WhatsApp. Dans ce cas de figure, on note une certaine complémentarité entre les types de réseaux sociaux numériques Facebook et WhatsApp.

39Les rapports sociotechniques qui mettent en contact les acteurs aux RSN s’établissent plus par stratégie que par tactique (Certeau, 1990). Au lieu de contrôler tactiquement les activités des acteurs orientées vers une visibilité de leurs œuvres (pagne traditionnel Faso-Danfani), ils agissent de façon stratégique en saisissant au passage les possibilités qu’offre le dispositif pour en faire des opportunités. Les acteurs peuvent contrôler l’étendue de l’espace sur lequel ils souhaitent « être visible » en le limitant à un groupe ou une liste de contact ou, au contraire, en l’ouvrant publiquement sans restriction (Fourmentraux, 2010). Les éléments de l’environnement technique et social des RSN (les images, photos, vidéos, les textes, etc.) sont des ressources qui vont être réinterprétées par l’usager pour être ajustées à ses activités. L’utilisation de Facebook et WhatsApp par les acteurs n’est pas une activité en soi mais se greffe sur d’autres activités telles que, pour le cas qui nous intéresse, la visibilité du pagne traditionnel Faso-Danfani au sein de pratiques informationnelles occasionnées par les RSN.

Facebook et WhatsApp : le jeu de la complémentarité pour une visibilité du Faso-Danfani

40Les interactions entre les composantes (membres) d’une société conduisent à des transformations structurales et systémiques. Les médias sociaux ne sont pas en reste dans cette forme de mutation car ils influent spécifiquement sur les rapports sociaux. Dans le cadre de notre étude, le développement de cette approche typographique est dû à la rencontre de deux éléments : le mode d’utilisation des médias socio-numériques (Facebook et WhatsApp) d’une part et les relations au contact et à la confidence d’autre part. La première dimension mise en évidence dans cette typographie est le mode d’emploi de Facebook et de WhatsApp. Dans cette réflexion, le mode d’utilisation est lié à un intérêt qui est, par connexion, de s’ouvrir aux autres et aux pratiques qui y ont lieu. D’un côté, il ressort des investigations que tous les acteurs principaux utilisent Facebook comme un cadre d’exposition des produits du pagne traditionnel Faso-Danfani. L’utilisation de WhatsApp vient établir un contact direct avec les internautes et consolider ou prolonger leurs relations sociales.

« Facebook nous permet de faire voir nos nouvelles créations, la publicité est assurée par les belles photos que nous publions, mais cela ne suffit il faut vendre nos pagnes Faso Danfani, et pour cela l’autre outil qu’est WhatsApp est vraiment le bienvenue car il permet d’échanger directement avec tous ceux qui s’intéressent à notre travail». (Z. S, styliste-modéliste, extrait d’un entretien mené le 13 février 2019)

41Ces propos viennent confirmer ceux de Leticia Ribeiro De Carvalho et Saima Nasratullah qui affirme après une étude sur RSN que : « 

« Il est donc plus facile et relativement moins cher de communiquer via un réseau Internet que par SMS. Nous supposons qu’un réseau comme WhatsApp est plus utilisé qu’un mail ou un autre moyen de messagerie Internet car il avertit instantanément le récepteur de la réception d’un message par une notification sur l’écran d’accueil du téléphone avec le contenu du message » (Ribeiro De Carvalho & Nasratullah, 2017, p. 23).

42Pour les utilisateurs, WhatsApp et Facebook constituent une finalité en soi et sont donc plus qu’un simple outil de communication. Dans une autre approche, certains acteurs n’utilisent pas spécifiquement ces RSN pour établir ou développer leurs réseaux mais plutôt dans un esprit de partager de l’information et connaître l’actualité du pagne traditionnel Faso-Danfani qui appartient désormais au patrimoine culturel burkinabè. Facebook et WhatsApp sont des moyens de rejoindre une communauté virtuelle d’intérêt, comme le serait le mail, le SMS ou le téléphone par exemple. Nous dirons donc qu’ils connaissent une utilisation « pratique et conjoncturelle ».

43La seconde dimension de notre typographie est le rapport aux données personnelles et à la proximité. Nous évoquons le principe de la « bivalence » entre l’environnement privé et l’environnement publique. En effet, il ressort des travaux de terrain que les publications de certains acteurs n’ont pas toutes un lien avec l’élément dont la page fait la promotion, à savoir le pagne Faso-Danfani. Ces éléments sont confondus avec ceux qui vantent le mérite du pagne Faso-Danfani. Nous évoquons ici la notion de bivalence ou d’un croisement entre la sphère privée et la sphère publique. Dans ce cas, un nombre important d’individus ont accès à ses publications, ce qui donne une très bonne visibilité du pagne Faso-Danfani, mais aussi aux informations privées qu’il poste sur sa page. Nos investigations rapportent que pour la plupart des acteurs, la liste d’amis comporte un nombre largement supérieur aux véritables amis, comme l’affirme la responsable d’un groupe des tisseuses :

« Au début, quand nous avons créé cette page Facebook pour faire voir ce que nous produisons, on avait que les amis proches qui étaient nos amis sur les réseaux sociaux, en moyenne une soixantaine. Aujourd’hui, nos amis sur Facebook dépassent la barre des mille cinq cent (1500) amis car ce que nous faisons avec le Faso-Danfani sort de l’ordinaire et cela est repris par les amis de nos amis sur Facebook, et ces derniers nous demandent en amis et c’est comme ça que nous avons atteint le chiffre de 1589 amis. » (Z O, Tisseuse, extrait d’un entretien mené le 1er février 2019)

44La stratégie des acteurs est d’accroître le nombre les effectifs de leur répertoire de contacts. Ils postent ainsi un grand nombre d’informations personnelles, comme leur identité réelle, leur lieu de résidence et leurs contacts téléphoniques en plus d’une photo de profil sur laquelle ils figurent. Une telle approche contribue à créer un attrait pour l’acteur (artiste), son travail et sa production. Sur WhatsApp, les acteurs communiquent avec tous les usagers qui interagissent dans les groupes. Cette stratégie d’approche facilite la reconnaissance par tous les usagers avec qui le contact est déjà préétabli. Les réseaux sociaux numériques sont ainsi des éléments fondamentaux de la vie sociale et professionnelle ainsi que dans l’entretien de ces modes de relation. C’est donc en ce sens qu’on peut dire qu’ils ont une utilisation relationnelle de ces plateformes.

Le Faso-Danfani, une identité culturelle visible via les RSN

45D’une générale, « l’identité culturelle est élément qui favorise le développement et que les œuvres d’art tendent à mettre en évidence. Chaque peuple possède sa propre identité culturelle qui s’exprime à travers ses comportements alimentaires, vestimentaires, linguistiques. Cette identité s’exprime aussi à travers les relations sociales (mariage, naissance, obsèques, danses, religion, échanges, etc.). Les œuvres d’art traduisent de façon édifiante cette culture » (Kouéna Mabika, 2005, p. 76) .

46Ainsi, la notion d’identité culturelle que nous mettons en exergue dans le cadre de cette recherche est vue comme un ensemble de principes facilitant la faculté de se représenter comme « étant un ». Cette représentativité du soi se traduit aussi bien par le mécanisme menant à cette reconnaissance que par le but visé par cette dynamique (Des Aulniers, 2009). Cette approche conduit à construire une forme de valeurs culturelles locales ouvertes à un environnement plus complexe lié au progrès. Au-delà des facteurs qui conduisent les hommes à se représenter comme unité, le cheminement vers la reconnaissance passe par des construits culturels (objets, pratiques, valeurs, etc.) qui influent sur la détermination de l’identité des acteurs. Nous évoquons ici le cas du pagne traditionnel Faso-Danfani qui facilite le processus de caractérisation identitaire ou l’acteur (le consommateur, producteur, ou distributeur) s’identifie à l’objet.

47C’est l’argument que tient un styliste modéliste dans le cadre de nos travaux. Il affirme  que:

48« Le pagne Faso Danfani a traversé les frontières, partout où je passe dans le monde (en Afrique et dans les autres parties du monde) où je participe aux festivals culturels, les gens lient automatiquement ma tenue vestimentaire à mon pays le Burkina Faso, c’est la culture burkinabè qui est popularisée dans le monde…Grâce à Facebook je suis reconnu dans plusieurs pays et même sollicité pour promouvoir cet art culturel traditionnel  » (Z S, modéliste, extrait d’entretien du 7 février 2019)

49On part du constat que l’individu pris dans son milieu de vie est perçu comme un « tout » intégré. Cette exercice d’assimilation de l’individu à son milieu se traduit effectivement par un degré d’appartenance et d’adoption des pratiques et vécus avec la reconnaissance d’une multitude de principes, de modèles, d’idéaux transmis par une collectivité dans laquelle on se reconnaît (Dubar, 2000). Le pagne traditionnel Faso-Danfani et les pratiques vestimentaires traduisent les marques laissées par la culture dans la société burkinabè. A cet effet, Guillaume Vallet affirme que : « déterminismes et interactions désignent le processus par lequel un individu apprend à intérioriser les valeurs et les normes sociétales pour faciliter sa construction identitaire et son intégration sociale » (Vallet, 2009, p. 53). Ainsi donc les identités culturelles collectives auxquelles les individus appartiennent construisent leur personnalité à partir de bases équilibrées qui le protègent contre les transformations de la société et l’introduisent dans un système cohérent de solidarités organiques (Poirier, 1991).

50Si les éléments de la culture demeurent donc identiques (inchangés) depuis les temps anciens jusqu’aujourd’hui, la société quant à elle connait une mutation structurelle et fonctionnelle. Cette évolution s’explique également par la meilleure praticité et technicité des RSN, rendant leur usage plus aisé. Facebook et WhatsApp ont acquis une place importante de par les informations chargées de valeurs que ces RSN véhiculent. Ils permettent aux acteurs de partager leurs activités, produits, œuvres, intérêts, etc., mais aussi d’être vus et de voir les autres. Dans le cadre de notre recherche, la notion d’« être vu » implique de partager du contenu en rapport avec le pagne traditionnel Faso-Danfani, de se mettre en scène sous les projecteurs des RSN et, par-là, de créer des interactions et d’augmenter le nombre de ses contacts. Le « voir » sous-entend se rapporter aux contenus partagés par les amis et secondairement interagir autour de ces partages. Ainsi, le « voir » peut se traduire de façon « pratique », par exemple, reproduire ou imiter la même chose sur sa propre page. Citons ce témoignage en exemple :

«Quand nous publions les vidéos et les photos sur les réseaux sociaux lors de nos différents événements comme les défilés de mode pendant les galas et autres festivals, nous rencontrons beaucoup d’amis qui ‘‘like’’, c’est-à-dire qui apprécient les modèles et lorsque nous allons visiter leurs pages, ils reproduisent et partagent la même chose. On les voit porter des vêtements confectionnés avec le pagne traditionnel Faso-Danfani souvent à travers des modèles que nous n’avons pas réalisés mais inspirés des nôtres.» (P.P Styliste-modéliste, extrait d’un entretien mené le 1er mars 2019).

51Dans une approche hypermoderne, les éléments des posts sur les RSN, comme la photo et la vidéo, ne sont plus représentatifs des rôles sociaux mais d’instants de partage (Lachance, 2013). En rendant accessible les images ou les vidéos sur Facebook ou WhatsApp, les acteurs ne sont plus limités à un partage à destination d’un petit groupe mais plutôt à 1’endroit de l’ensemble de leur réseau social virtuel qui transcende les frontières (urbaine/rurale) et (traditionnelle/moderne). Ainsi, la construction du mode vie fondé sur l’individualisation en milieu urbain a conduit les acteurs (Stylistes/modélistes – Producteurs – Vendeurs) à déterminer leur appartenance à une culture ce qui contribue façonner une identité en tant qu’individus qui se réfèrent constamment au passé à travers le pagne Faso Danfani dans son orientation vestimentaire traditionnel. Dans ce cas donc, le principe de reproduction mécanique des comportements et pratiques s’efface avec la transformation de la société, dite aujourd’hui ‘‘société numérique’’. Dans une approche d’adhésion à la dynamique du groupe s’est imposé le désir du ‘‘vivre sa vie’’, un caractère égocentrique calqué sur les autres. Dans un environnement marqué par les réseaux sociaux numériques comme Facebook et WhatsApp les acteurs du pagne traditionnel Faso Danfani développent une mode copiée des éléments du réseau auquel ils appartiennent. Chaque acteur pris individuellement a besoin de l’autre pour mener à bien son propre processus identitaire puisqu’il est impliqué dans développement des comportements, d’habitudes, de reconnaissance et d’appartenance à un milieu, une culture grâce au réseau (Hania, Marwana, & Azouri, 2018). Se forgeant ainsi dans le rapport à l’autre et à travers lui, tant l’identité que la culture seraient des manières de composer avec la différence et les interférences des milieux (traditionnels et modernes). Cette dynamique conduit à un ‘‘entre-deux’’ : entre un monde où le sens était donné d’en haut (société traditionnelle) et une autre dite (moderne) qui offre de multiples identifications possibles parmi lesquelles l’individu doit faire des choix et des arbitrages (société moderne/numérique caractérisé par les RSN).

52Avant d’évoquer le renforcement de la notoriété du pagne Faso-Danfani en termes d’élément constitutif de l’identité culturelle, nous nous intéresserons au processus de sa progression des zones rurales jusqu’au niveau national. En premier lieu, le pagne Faso-Danfani est identifié comme élément culturel de l’identité ethnique. Plusieurs composantes comme le parler, les pratiques, un territoire ou encore des traits culturels similaires peuvent faire naître le sentiment d’adhésion à un groupe ethnique (Marchal, 2003). Ici, le pagne traditionnel Faso-Danfani, dans son ampleur actuelle, est associé à l’ethnie ‘‘mossi’’ quand bien même toutes les ethnies s’en réclament.

« De manière singulière, c’est à nouveau dans un contexte religieux que le tissage, chez les Mossi, va connaître ses transformations les plus remarquables. Autour des années 1956-1957, des religieuses ‘‘mossi’’ de l’ordre de l’Immaculée Conception ont l’idée de concevoir et de construire un métier à tisser horizontal à pédales destiné aux femmes (…). Elles se tournèrent vers le tissage pour rechercher des consommateurs locaux plus nombreux dont le Faso-Danfani. » (Grosfilley, 2006)

53À cette conscience d’adhésion est associé un passé commun qui traduit le développement d’une identité collective spécifique. Ainsi, le pagne traditionnel Faso-Danfani renvoie à des caractères caractéristiques de l’identité culturelle du groupe sans exclure toutefois l’identité externe au groupe. Sur les réseaux socio-numérique (RSN), les acteurs, administrateurs de pages Facebook et WhatsApp, rapportent que :

54« Je suis la personne qui anime le compte Facebook et WhatsApp du groupe car ce sont dans la plupart des femmes qui ne s’expriment qu’en langue (mossi), même nos revendeurs ne s’expriment qu’en langue locale, je ne dis pas qu’elles sont toutes des mossis mais la majorité. Les transactions entre les acteurs se font langue locale (mossi). Je suis le facilitateur avec les autres acteurs qui ne parlent cette langue car, moi aussi je suis mossi mais ayant un niveau scolaire qui me permet de parler en français. J’ai accepté de faire le métier de tissage comme ma mère. » (Z B, représentant des tisseuses du Boulkiemdé, extrait d’un entretien mené le 3 mars 2009)

55Le pagne Faso-Danfani revêt finalement un caractère culturel national. De façon générale, on parle donc d’identité nationale comme composante de l’identité culturelle du groupe. On spécifie dans cette recherche le concept d’identité nationale comme le fait de faire partie objectivement d’une organisation sous le contrôle de l’État-nation (Marchal, 2006). Le concept de nation moderne est comme « une société matériellement et moralement intégrée, à pouvoir central stable, permanent, à frontières déterminées, à relative unité morale, mentale et culturelle des habitants qui adhèrent consciemment à l’État et à ses lois » (Leca, 1995). Le pagne Faso-Danfani comme élément de l’identité nationale tire se traduit aujourd’hui dans une forme d’engagement politique des autorités :

« Le Gouvernement burkinabè, dans le cadre de la promotion de l’identité culturelle, encourage le port du Faso-Danfani (FDF) lors des cérémonies officielles ou des manifestations d’envergure nationale. Le Premier ministre a signé dans ce sens l’arrêté 2007-057 PM/CAB du 29 novembre 2017 portant promotion et valorisation du pagne Faso-Danfani. Il y est mentionné que les commandes publiques des structures de l’Etat à l’occasion des cérémonies officielles ou des manifestations d’envergure nationale donnant lieu à l’utilisation des tissus portent prioritairement sur le Faso-Danfani.» (DCPM, 2018)

56Ainsi, le pagne Faso-Danfani utilisé sur le plan national pour la célébration officielle de la fête du 8 mars (Fête internationale dédiée aux droits de la femme) fait l’objet de partages et publicités sur toutes les pages des acteurs de notre recherche (Stylistes/modélistes – Producteurs – Vendeurs) (voir photo n°3). L’origine de cette initiative politique se rapporte à la période révolutionnaire du pays. L’arrivée au pouvoir, en 1983, de Thomas Sankara va avoir une grande incidence sur le secteur du tissage féminin. Le discours que le capitaine Sankara prononcé le 8 mars 1987 illustre d’une part son soutien à l’émancipation de la femme et d’autre part son engagement dans la promotion des tissus locaux dont le Faso-Danfani. Thomas Sankara fixe alors un double objectif : produire et consommer burkinabè (Mondiale, 2007). La production de Faso-Danfani va alors se structurer. Progressivement, les tisseuses s’organisent en coopératives et sortent ainsi de l’invisibilité du statut de ménagère pour acquérir une reconnaissance sociale à travers la création en 1984 de la Coopérative de production artisanale des femmes d'Ouagadougou (COPAFO), située au centre de la capitale burkinabè (Grosfilley, 2006).

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57Dans un mouvement de résurgence du passé, l’engagement des différents acteurs à contribuer à la construction de l’identité culturelle nationale à travers le pagne traditionnel Faso-Danfani se manifeste notamment sur les réseaux sociaux numériques (RSN). Cette visibilité sur les RSN suscite de connaitre place le pagne Faso-Danfani dans la construction de l’identité culturelle nationale. Le développement de la mode sur les RSN en raison de la forte attirance des jeunes pour ce média va susciter un engouement national pour le pagne traditionnel. Le travail conjugué des tisserandes et de celui des créateurs de mode a une double dimension : il dynamise le talent des tisserandes, et a des retombées sur la mode populaire urbaine. En découvrant une diversité de vêtements cousus dans le pagne Faso-Danfani à travers les défilés présentés dans les médias notamment dans RSN comme c’est le cas dans cette recherche Facebook et WhatsApp, les usagers considèrent le Faso-Danfani comme un support d’élégance. Ils font reproduire les modèles vus lors des défilés chez leur tailleur de quartier et ce phénomène de copie révèle une adhésion à la construction de l’identité nationale, de même que la large couverture des événements à caractère national mettant en avant le pagne Faso-Danfani sur les réseaux Facebook et WhatsApp (voir photo n° 4).

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Conclusion

58La problématique développée dans cette recherche visait à comprendre par quel mécanisme les usages des RSN (Facebook et WhatsApp) contribuent au processus de mise en scène de soi (visibilité) par le pagne Faso-Danfani et surtout à la construction d’une identité culturelle. La recherche aux solutions dans cette dynamique a permis de convoquer à la table des débats des concepts théoriques dont la théories sur les réseaux sociaux numériques, des usages et gratifications, mais aussi et surtout l’approche Goffmanienne appliqué aux RSN dans la mise en scène du soin à travers la notion de visibilité. L’analyse à laquelle nous nous sommes essayés, confirme l’importance de « la visibilité » pour les acteurs dans cette recherche (Styliste/Modélistes – Producteurs – Vendeurs). La notion de « mise en visibilité de soi » des acteurs précédemment cités et de leurs œuvres le pagne Faso Danfani à travers les usages des réseaux sociaux numériques (RSN) peuvent être un moyen de facilitation de construction identitaire, de reconnaissance sociale et de promotion favorable à la carrière professionnelle. Partant de ce constat, les hypothèses que nous avons formulés en deux axes et qui rappellent en substance : (1°) - qu’il y aurait une correspondance entre l’expérience professionnelle des acteurs et l’expérience numérique de 1’internaute et (2°) – qu’il existerait potentiellement une influence relative entre les activités des acteurs et la construction d’une identité culturelle, sont confirmée en partie. Même si le lien entre le pagne Faso Danfani, les RSN et la construction de l’identité culture est complexe et difficile à appréhender dans cette réflexion, elle jette cependant les bases d’une telle approche scientifique en termes de recherche. L’impact des usages des RSN dans la transformation des comportements et construction des identités culturelles en relation avec le pagne Faso Danfani relèverait plus d’une dynamique psychologique que sociologique ou communicationnelle. Des approches théoriques psycho-longitudinales (Lehaent, 2019) auraient été nécessaire à une telle démarche scientifique.

59L’articulation des concepts des acteurs et leur compétence, usage des RSN et représentation socioculturelle place ces derniers (acteurs) à l’interface du processus de construction stratégique et des actions menées par les usagers. En reprenant la réflexion développée sur cette articulation (Chaudiron & Ihadjadene, 2010), le jeu des acteurs sur les RSN (Facebook et WhatsApp) appréhendé en termes capacité et compétence culturelle à travers la mise en valeur du pagne Faso Danfani, est le lieu de la dialectique entre ces deux ordres. Elle est à la fois un travail de perception (visibilité) et de construction des représentations socioculturelle (identité culturelle). C’est donc une question du jeu des rôles que nous établissons ici : les hommes se servent médias (RSN) pour se développer et construire un idéal. Mais, le contraire ne serait pas de trop car, les médias (RSN) se servent aussi des hommes.

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Notes

1 INERA/RSP Institut de l’Environnement et des Recherches Agricoles/Recherche sur les Systèmes de Production

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Marcel Bagare, «(In)Visibilité de l’art traditionnel (le pagne Faso-Danfani) sur les réseaux sociaux numériques (RSN) : analyse des stratégies des acteurs», French Journal For Media Research [online], Browse this journal/Dans cette revue, 12/2019 Rapport (s) des jeunes à la culture à l’ère du numérique aux Suds, last update the : 13/11/2019, URL : https://frenchjournalformediaresearch.com:443/lodel-1.0/main/index.php?id=1876.

Quelques mots à propos de :  Marcel Bagare

Enseignant-Chercheur (Assistant)
Université de Norbert Zongo de Koudougou (Burkina Faso)
marcel.bagare@yahoo.fr

 

 

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