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Identités, minorités, représentations. Introduction
Texte intégral
1L’identité et la communication sont essentielles pour la constitution et la consolidation des individus, des groupes et des organisations. Dans la seconde moitié du XXème siècle l’identité devient le thème unificateur des sciences sociales' (Jenkins 2004) car psychologues et sociologues, philosophes et politistes ont leur mot à dire en la matière.Les chercheurs ont tenté de trouver une formule susceptible de couvrir la complexité et ampleur du terme L’identité se réfère à la manière dans laquelle les individus et les collectivités se distinguent dans leur relations sociales des autres personnes ou dans les collectivités (Jenkins, 2004: 4).
2Erikson remarquait en 1950 (apud Gleason, 1983:928). que l’on a concptualisé les questions de l’identité au moment où ces questions sont devenues problématiques, autrement dit quand elles sont devenues stratégiques pour notre société. Entre la continuité du self (de l’approche psychologique) et la fluidité externe, évanescente des interactionnistes symboliques l’identité offre en fait le «lien conceptuel entre la personnalité individuelle et les traits sociaux et culturels qui donnent aux différents groupes leur caractère disinctif »(Gleason 1983:926).
3Vu les mouvances technologiques et sociales, la mobilité professionnelle et géographique, la reconceptualisation de l’identité (culturelle, ethnique, de genre, etc.) est devenue une question vitale. Si dans le passé l’identité religieuse, nationale ou de classe jouaient le rôle d’un pôle structurant, on peut affirmer que l’on assiste aujourd’hui à des restructurations autour des pôles genre, profession, culture (Roventa-Frumusani 2009 :48).
4L’étude des stratégies identitaires ayant pour but le gommage des identités prescrites et des rapports sociaux qui les légitiment, se confond avec l’étude de mouvements sociaux : mouvements nationalistes, féministes, écologistes, sous-tendus par la nécessité d’une conscience de groupe, d’une construction identitaire des références.
5Dans leur tentative de définir – conformément à leur intérêt – le monde social, les membres des groupes minoritaires vont se référer à une identité collective, ‘mythique’ ou anticipatrice qui devient progressivement réalité, dans l’interaction avec l’autre.
6Le passage de l’identité stable, rigide, à une identité en mouvance, choisie et non pas imposée, construite et déconstruite en fonction d’une multitude d’éléments imprévisibles (déterritorialisation par émigration, déconstruction par une nouvelle orientation sexuelle), devient l’emblème de la postmodernité, vécue comme ‘nomadisme’.
7La présentation et mise en scène (performance) des identités particulières est moins vue comme expression du «moi», mais plutôt comme «construction qui prend en compte à la fois les objectifs des pratiques interactionnelles et les contraintes des structures institutionnelles «en jeu» lorsque les gens communiquent entre eux» (De Fina et al., 2006 :9)
8L’identité (‘multiple, fragmentée , fluide’- Brubaker,2000:6) est un processus qui (1) se déroule de manière concrète et spécifique dans différentes occasions d'interaction, (2) donne des constellations d'identités au lieu de constructions individuelles monolithiques, (3) ne se contente pas d’émaner de l'individu, mais résulte de processus de négociation et contextualisation et (4) entraîne un ‘travail discursif’ éminemment social (Bauman et Briggs 1990 apud De Fina et al.2006 : 2).
9En empruntant la catégorisation de Zimmerman des différents niveaux d’identité (1998), on peut distinguer les «identités discursives », liées au moment de la conversation ou de l’alternance de rôles tels qu'interlocuteur - auditeur ou questionneur -répondeur; les «identités situées» instanciées dans des situations particulières, telles que intervieweur-interviewé ou patient – fournisseur de soins de santé; et les '' identités transportables '' comme découlant des caractéristiques plus générales de l’individu, tels le sexe ou l'origine ethnique (De Fina et al. : 14).Dans ce qui suit seront analysées les identités transportables telles le genre, l’ethnie, l’âge à travers la perspective actuelle concernée par le comment l’identité est performée? Au lieu de qu’est-ce que l’identité?
10Nous voulons ainsi montrer que l'identité est "plurielle" et que "nous pouvons la considérer comme un ensemble de représentations et de pratiques en circulation dans les groupes sociaux et qui permet une ou plusieurs formes d'identification (Amsidder, Toumi, Daghmi, 2016 : 10).
11Le concept de "minorités" a de même été l'objet de nombreux travaux en sciences humaines et sociales et se prête aux mêmes précautions épistémologiques. Le terme "minorité" fait naturellement référence à une quantité et s'oppose à "majorité". Cependant, l'acception que nous lui accordons dans le cadre du colloque renvoie à la minorité visible dans l'espace médiatique par opposition à l'espace public. L'exemple qui illustre le mieux le décalage existant entre la réalité sociale et sa représentation dans l'espace médiatique est celui des femmes en France. Les femmes représentent en effet 52 % de la population française en 2014 et seulement 35 % d'entre elles apparaissent à l’écran (Assises du journalisme, 2014). Quelques études le relèvent clairement (Ghosn, 2017; Le Projet mondial de monitorage des médias, 2015).
12Ce dossier souhaite ainsi dresser un panorama de la participation, de la place, des pratiques sociales et discursives des jeunes, des femmes et des groupes ethno-raciaux au temps du numérique. Dans la perspective des sciences de l’information et de la communication, et plus spécifiquement de la communication politique, il s’agit de visibiliser et d’évaluer les changements introduits par les médias sociaux (le numérique) dans la vie quotidienne et les pratiques de ces nouveaux acteurs à l’époque des confrontations et mouvements sociaux.
13Dans La construction de l’ethos des femmes politiques sur les pages Facebook en campagne électorale. Le cas des élections locales roumaines de 2016 Daniela Roventa-Frumusani et Alexandra Irimescu visent l’analyse de la légitimité et reconnaissance des femmes politiques dans un monde postcommuniste à fort héritage patriarcal. Si l’analyse des discours politiques des acteurs et des actrices politiques et de leurs représentations médiatiques a fait l’objet de nombreuses recherches, les recherches portant sur la représentation visuelle sont beaucoup moins fréquentes ( Săvulescu et Viţelar, 2012 ; Cmeciu, 2014 ; Cmeciu et Pătruț, 2014 ; Rovența-Frumușani, 2015). Afin de pallier ce manque les auteures se sont propsées de voir comment les femmes politiques roumaines choisissent de se mettre en visibilité par rapport aux modèles féminins et masculins préexistants (adoptés ou sabotés). Les dimensions de l’analyse sémio-visuelle visent i) le niveau dominant de la mise en visibilité (public ou personnel) ainsi que ii) l’accent mis sur la personnalité de la candidate ou sur les autres (acteurs politiques, membres de la famille ou citoyens ordinaires).
14Si dans des situations exceptionnelles (la course à la présidence) les femmes à la différence des hommes ne s’ancrent que dans le professionnel, dans une bataille politique plus “normâle” (les locales, les parlementaires) apparaissent des tentatives et réussites de défigement des stéréotypes (la femme leader assumant simultanément le leadership, la solidarité de genre et une identité de genre stratégique).
15L'article d'Anya Hommadova Lu et d'Asylkai Davydova propose une analyse sur les stéréotypes ethniques et genrés formulés à l'encontre d'étudiants venus d’Asie orientale dans le cadre de leur adaptation scolaire et sociale à l'étranger. Les auteures relèvent les obstacles qui se dressent sur leur route et surtout la manière dont leur identité culturelle est questionnée dans leur parcours à l'étranger. Elles se basent sur une méthodologie qualitative qui a été déclinée sous la forme d'interviews et d'enquêtes à destination d'un échantillon composé de jeunes femmes originaires d’Asie de l’Est et d’étudiants américains. Elles constatent ainsi que les stéréotypes formulés à l'encontre des étudiants asiatiques diffèrent en fonction de leur pays (Japon, Chine, Corée…), notamment sur le plan quantitatif. Au niveau des résultats genrés, les résultats montrent de même des interprétations variées, en fonction de la personne perçoit : un étudiant américain pour lequel les étudiants asiatiques appartiennent à la même catégorie (Asie) ou un étudiant asiatique dont les propos sont nuancés en fonction précisément de son origine (Corée, Japon…). La question de la discrimination et du harcèlement des étudiants asiatiques (les femmes) est également analysée permettant aux auteurs de d'identifier des perspectives d'amélioration et des pistes de réflexion pour améliorer ce regrettable constat.
16Yassine Akhiate et Mohamed Bendahan, quant à eux, questionnent l'identité des jeunes et la manière dont le système audiovisuel marocain les intègre dans leurs études dans un article intitulé When the ideological minority eclipse the identity and linguistic majorities:Case of Moroccan media facing youngers. La mutation économique du pays permet une variété riche de dispositifs en termes de réception et de production. L'objectif de leur recherche vise à analyser le fonctionnement de la stratégie des opérateurs audiovisuels publics vis-à-vis du "jeune public" et à mesurer comment ces récepteurs sont traduits et analysés par les médias marocains. Les auteurs inscrivent ainsi leur approche méthodologique dans les travaux menés sur la réception et l'utilisation des médias. Ils confrontent les travaux menés en Cultural Studies et en Media Studies pour mettre en évidence les considérations et les approches communes, sans pour autant oublier de rappeler leurs spécificités qui les aident à baliser le périmètre de leur étude. Les auteurs relèvent pertinemment que si les dispositifs classiques de diffusion et de réception ne permettent pas le contrôle des notations, les contenus mis en ligne sur le Web donnent au contraire la possibilité de confronter précisément de l’offre à la demande.
17Par l’étudeLe séisme de 2017 au Mexique : Social Media, engagement civique et jeunesse dans des situations d’urgence Omar Cerrillo Garnicamontre l’émergence de la gestion citoyenne dans un moment dramatique (où l’État est inefficace et dépassé par la situation) par l’utilisation des social média –principalement Facebook, Twitter et WhatsApp– dans l’organisation citoyenne à la suite du séisme du 19 Septembre, 2017 ; cette mobilisation collective et auto-organisation a eu un impact fédérateur puissant, qui a généré de nouveaux rapports sociaux entre les citoyens. Cette situation d’urgence génératrice de nouveaux tissus d'organisation sociale est analysée afin de mettre en évidence que: 1. Le séisme de 2017 au Mexique, compris comme un événement dans le sens de Žižek est devenu une boîte de résonance dans l’engagement civique des jeunes Mexicains, en déclenchant un plus grand engagement civique ; 2. les medias sociaux ne sont pas seulement des instruments de connectivité, mais ils génèrent également de nouveaux rapports sociaux ; et 3. les agents sociaux issus de l'organisation civique lors du séisme de 2017 modifient les relations avec les structures politiques.
18L'utilisation des médias sociaux est aussi l'objet de l'étude menée par Oksana Lychkovska – Nebot dans son article intitulé Participative media practices in Ukrainian social media: constructors of personal values and new identities versus ways of political manipulations? Cette étude a été effectuée en Ukraine dans un récent passé : au cours de la révolution ukrainienne (2013-2014) et pendant la guerre qu'elle nomme "hybride" (2014-2017), période au cours de laquelle elle a observé "les différentes configurations de technologies politiques et d'information qui ont fonctionné". Après avoir relevé les principales caractéristiques des médias sociaux sur le plan théorique (désinstitutionnalisation, l'auteur vu comme "produser", interactivité et phénomène de réseau), Oksana Lychkovska livre des résultats concernant les "jeunes", les femmes et d'autres points et constate que la pragmatique des pratiques communicationnelles actuellement en œuvre en Ukraine se modifie. Les nouvelles technologies perdent ainsi de leur "sacralisation".
19Dans Talking about boundaries: Symbolic boundaries and ethno-racial repertoires in contemporary Brazil, Nuno Oliveira montre qu’il y a un changement paradigmatique du concept d’identité et d’appartenance dans le cas de l’identité narrative nationale brésilienne. Analysant les discours de affirmative action en faveur des Noirs dans le Brésil contemporain, il discute trois répertoires labellisés comme dilution, négociation et saillance (salience) avec des implications pour la construction de frontières collectives de nature ethno raciale. Ces cadrages susceptibles de ‘discuter’ les frontières entre les groupes rendent possible l’organisation de la perception de la diversité ethnique et raciale. En outre l’article souligne le rôle fondateur de la narration dans la configuration de l’identité nationale et propose une redéfinition des classifications hégémoniques de l’identité.
Bibliographie
Amsidder A., Toumi F., Daghmi F., 2016. L'identité au pluriel, Actes du colloque d'Agadir.
Brubaker Rogers &Frederick Cooper, 2000. "Beyond 'Identity'" Theory and Society Vol. 29,pp.1-47.
Charaudeau Patrick 2006 "Identité sociale et identité discursive, le fondement de la copétence communicationnelle" Gragoatá Niterói, n. 21, p. 339-354, 2. sem.
De Fina Anna, Schiffrin Deborah, Bamberg Michael 2006 "Introduction" in Discourse and Identity (ed.by De Fina Anna, Schiffrin Deborah, Bamberg Michael ), Cambridge University Press,pp.1-27.
Ghosn, C., 2017. « Dis, maman, tu passes quand à la télé ? », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 01 août 2017, consulté le 24 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/rfsic/2987 ; DOI : 10.4000/rfsic.2987
Giddens, A. 1991. Modernity and self-identity: self and society in the late modern age. Stanford: Stanford University Press
Gleason Philip 1983 "Identifying Identity: A Semantic History" The Journal of American History Vol. 69, No. 4, Mar.,pp.910-931
Goffman, Ervin. 1959 The Presentation of Self in Everyday Life, New York: Doubleday.
Jenkins, Richard 2004 Social Identity, London -New York, Routledge.
Roventa-Frumusani Daniela, 2009 Concepts fondamentaux pour les études de genre, Paris, Ed des Archives Contemporaines
Zimmermann, D. H. 1998. "Identity, context and interaction". In C. Antaki and S. Widdicombe (eds.) Identities in talk. London, Sage, pp. 87–106.
France, Projet mondial de monitorage dans les médias (GMPP), 2015. Rapport national.
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