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La couverture médiatique de l’attaque terroriste de Sousse par les chaines télévisées tunisiennes « Wataniya 1 », « El Hiwar Ettounsi» et « Nesma TV »
Résumé
En juin 2015, la ville de Sousse (Tunisie) a été victime d’une attaque terroriste, ce qui a poussé les médias tunisiens à changer de programmation pour couvrir cette tragédie.
À travers cet article, nous avons évalué les éditions spéciales des chaines télévisées tunisiennes suivantes : « Wataniya 1 », « El Hiwar Ettounsi» et « Nesma TV », en ayant recours à l’analyse de contenu.
Abstract
In June 2015, Sousse city (Tunisia) was a victim of a terrorist attack, which prompted the Tunisian media to change its program schedule to cover this tragedy.
Through this article, we evaluated the special editions of these Tunisian TV channels: « Wataniya 1 », « El Hiwar Ettounsi » and « Nesma TV », by resorting to content analysis.
Table des matières
Texte intégral
Introduction
1Le 26 juin 2015, la ville de Sousse (Tunisie) a été victime d’une attaque terroriste, qui a fait état de 39 morts et de 39 blessés. Une solidarité mondiale se manifestait car tous les pays démocratiques du monde appellent à la lutte contre le terrorisme. Cette solidarité se manifestait via les discours des hommes politiques ainsi que les commentaires et les partages des internautes en ligne.
2Le terrorisme n’est pas d’ailleurs un phénomène nouveau dans le monde, ce qui a donné naissance à plusieurs tentatives de définitions (Hennebel et Lewkowicz, 2009). Défini par Paul Demouchel (2003) comme étant la poursuite de la politique par des moyens violents, le terrorisme s'entend déjà des « faits criminels dirigés contre un Etat et dont le but ou la nature est de provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou dans le public » (Traité de Genève sur le Terrorisme, 1937, article 2). En Tunisie aussi, il ne s’agit pas de la toute première attaque terroriste que le pays a connue depuis les événements du 14 janvier 2011. Bien au contraire, la Tunisie a vécu d’autres attaques meurtrières que ce soit au nord ou au sud du pays.
3Au cours de pareilles crises, les médias nationaux et internationaux courent pour couvrir l’événement afin d’informer le public. Mais chaque média couvre l’événement à sa manière, en prenant en considération certains éléments à savoir : sa ligne éditoriale et le contexte politique et social du pays dans lequel a eu lieu l’événement ; etc. Et « devant la soudaineté de l'événement, les médias agissent comme un filtre par rapport aux informations relatives aux attentats » (Lamy, 2005, p : 110) mais aussi dans tel cadre, l’incapacité de donner une réponse immédiate sur le risque présente un danger (Lucien, 2005). Ils sont des représentations de la société mais aussi « un principe actif de manipulation de la société » (Lamy, 2005, p : 112). En réalité, toute crise est une crise d’informations (Scanlon, 1982).
4Les médias sont par conséquent appelés à présenter à leurs publics des informations vérifiées en essayant de les rassurer. Il est d’ailleurs fréquent que « l’on craigne les données que l’on pense inquiétantes quand elles ne sont pas validées. C’est toujours une erreur » (Ibid., p : 31)". Mais dans un régime démocratique « l’instance journalistique se donne un rôle d’initiateur et d’animateur de ce débat par l’organisation de rencontres de personnalités politiques, de face à face entre politiques et diverses instances citoyennes, d’interviews de ces mêmes personnes, de tribunes d’opinions, etc. » (Charaudeau, 2009). Ainsi, suite à l’attaque terroriste de Sousse, les médias tunisiens ont changé de programmation pour couvrir cet événement qui a surpris l’opinion publique nationale aussi bien qu’internationale. Cette recherche demeure d’ailleurs importante pour les raisons suivantes :
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Dans leurs couvertures des attaques terroristes, les médias jouent un rôle important dans la lutte contre le terrorisme comme phénomène social qui a émergé soudainement, en Tunisie, bien que cette dernière ait vécu quelques actions terroristes avant le 14 janvier 2011 qui n’ont d’ailleurs pas été médiatisées ;
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Au moment des crises, les citoyens accordent aux médias (médias classiques et médias sociaux) un grand intérêt car « une mauvaise information initiale, voire la plus totale absence de médiatisation peut conduire à laisser se pérenniser des situations d’urgence » (Arboit, 2007, p : 122) ;
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Le lien étroit qui relie le régime mis en place et les médias, au moment des crises. Les médias sont ainsi les médiums entre le pouvoir et les citoyens. Ce qui rend les institutions du pouvoir appelées à fournir les informations nécessaires aux médias sachant que « les médias remplissent de prime abord un rôle de relais dans les situations d’urgence qui font suite à une catastrophe » (Ibid., 2007, p : 121) ;
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L’importance de l’évaluation du traitement médiatique d’une situation de crise car cela permet de développer la qualité de la couverture médiatique (Ibid.).
5Bien que la Tunisie ait vécu depuis le 14 janvier 2011 plusieurs attaques terroristes, l'attaque de Sousse est la deuxième de ce genre qui ait lieu contre des citoyens. Rappelons que la première attaque a eu lieu au Musée de Bardo. Cette attaque a fait état de 22 morts, dont deux terroristes, et de 42 blessés. Ce qui explique la modestie de l’expérience que possèdent les médias tunisiens en matière de couverture des attaques terroristes.
6Depuis la campagne de critiques qui a été menée contre la manière avec laquelle les médias tunisiens ont couvert l’attaque du Musée du Bardo, il convient ici d’évaluer la couverture médiatique de l’attaque terroriste de Sousse surtout que les médias de masse sont considérés de la part des publics comme première source. Ils ont « une vocation sociale qui consiste à faire de la réalité ordinaire, de la réalité commune, le portrait le plus exact, leur rôle est de dire les faits. Ils doivent livrer des comptes rendus qui permettent au public de se faire une idée de l’état du monde. Ils sont également censés fournir des explications plausibles de ces faits. Le grand intérêt des médias dans leur ensemble réside en leur capacité d’informer rapidement et largement les populations de l’actualité (Barry, 2014, p : 13). De son côté, Patrick Charaudeau (1997) considère la communication médiatique comme un « phénomène de production de sens social » (p : 24). Les médias sont ainsi des acteurs sociaux influencés et influents, qui participent à la formation de l’opinion publique.
Problématique et hypothèses
7Dans son rapport d’évaluation du traitement médiatique de l’attaque de Sousse, publié le 30 juin 2015, la Haute Autorité Indépendante pour la Communication Audiovisuelle (HAICA) a relevé certains dépassements à savoir les réactions immodérées et l’absence de professionnalisme et de traitement rationnel des informations en rapport avec l’attaque terroriste. La HAICA a critiqué également, les discours de haine ainsi que la diffusion d’images choquantes sans signaler l’âge minimal conseillé pour le visionnage. Elle a insisté, dans sa déclaration, sur l’importance pour les médias audiovisuels de définir des lignes rédactionnelles claires en temps de crise afin d’aider les journalistes à se conformer aux règles professionnelles.
8Ensuite, selon la Fédération Internationale des Journalistes1 (IFJ), les journalistes sont appelés à établir des principes et des critères qui leur permettent de fournir des informations crédibles sans être sous la pression des gouvernements ou des puissants intérêts qui interfèrent dans le professionnalisme du métier (White, 2008).
9À travers cette recherche, nous avons évalué la couverture médiatique télévisuelle de l’attaque terroriste de Sousse en nous posant la question de recherche suivante : comment les chaines télévisées tunisiennes ont-elles couvert l’attaque terroriste de Sousse ?
10D’autres questions de recherche découlent de cette question centrale :
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Les chaines télévisées tunisiennes sont-elles basées dans la couverture de l’attaque de Sousse, sur leur travail personnel ou sur le travail d’autres médias ? Se sont-elles basées sur les images ou les vidéos des amateurs ?
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Les chaines télévisées tunisiennes ont-elles respecté la déontologie du métier dans la couverture de l’attaque de Sousse (citation de source, vérification des informations ; etc.) ? Ces chaines ont- elles respecté la vie privée des individus et le droit de protection des individus dans la couverture de l’attaque de Sousse ? Le traitement médiatique de l’attaque de Sousse par les chaines télévisées tunisiennes a-t-il été fait avec neutralité et objectivité ?
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À quel genre journalistique ont eu recours les chaines télévisées tunisiennes dans la couverture de l’attaque de Sousse (nouvelle, reportage, interview ; etc.) ? S’agit-il d’un travail instantané ou d’un travail enregistré ?
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Quel type de discours les chaines télévisées tunisiennes ont- elles adopté ?
11Ainsi, la problématique de notre recherche nous permet de présupposer que :
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Dans une situation de crise, les chaines télévisées ont tendance, en vue d'assurer une couverture efficace d’une attaque terroriste, de diversifier leurs sources d’informations en ayant recours aux différents types d’éléments journalistiques (Bernier, 2004).
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Dans une situation de crise, les chaines télévisées sont objectives dans leur traitement de l’évènement, en assurant l’équilibre et l’impartialité entre les protagonistes (Ibid.)
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Dans une situation de crise, le citoyen est un acteur dominant non seulement en tant que témoin mais aussi en tant que acteur participant dans le processus d’information, vu que nous parlons aujourd’hui du journalisme participatif (Rieffel, 2014).
Corpus et méthodologie de recherche
Corpus de la recherche
12Tous les médias tunisiens ont consacré une large place à l’attaque terroriste qui a secoué la ville de Sousse. Inévitablement, les unes desjournaux s’emparaient de la photo représentant l’attaque.
13Etant donné que les médias audiovisuels pourront fournir des informations visuelles instantanées, nous avons choisi d’étudier la couverture télévisée de l’attaque de Sousse. La majorité des chaines télévisées tunisiennes à savoir la chaine nationale publique « Wataniya 1 » et les deux chaines privées « El Hiwar Ettounsi » et « Nesma TV », a rompu avec la programmation habituelle et a consacré une édition spéciale, traitant cette attaque en présence d’un certain nombre d’invités.
Méthodologie
14Afin de répondre à notre problématique, nous avons eu recours à l’analyse de contenu des éditions spéciales des chaines télévisées suivantes : « Wataniya 1 », « El Hiwar Ettounsi» et « Nesma TV ».
15Notons déjà que l’analyse de contenu est « un terme générique souvent utilisé pour désigner l’ensemble des méthodes d’analyse de documents … des documents visuels (affiches publicitaires, photographies, film ; etc.), de document écrits (rapports d’activité, journaux périodiques…etc.) ou de documents sonores (enregistrements radios, musicaux… etc.) » (Bonneville, Grosjean et Lagace, 2007, p : 100).
16Nous distinguons généralement deux types d’analyse de contenu : qualitative (qui vise à saisir les significations à partir des documents) et quantitative (qui vise à saisir les significations grâce à des techniques de décomposition, de décodage, de comptage, de dénombrement ; etc.).
17Donc la méthodologie adoptée dans cet article, nous a permis de déterminer les éléments suivants :
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Le nombre et la nature des éléments diffusés : vidéo, audio, photo fixe ou photo animée ;
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Le type des éléments diffusés selon leurs genres journalistiques : reportage vidéo, reportage vidéo muet, reportage journalistique, passage informatif télévisé ou interview télévisée par correspondance ;
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Les sources d’informations : les sources institutionnelles, les sources intermédiaires, les sources personnelles ou les sources occasionnelles ;
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Les personnes intervenantes : membre de la société civile (citoyen, représentant d'une association ou autres), expert, journaliste ou militant politique (membre d'un parti politique), membre du gouvernement ou dirigeant d'une institution publique, Membre de l'Assemblée des Représentant du peuple ;
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Les moyens déployés par les chaines télévisées : Duplex, envoyé spécial, intervention téléphonique ou intervention au plateau de la chaîne ;
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Le type de discours adopté selon les sujets traités : discours informatif, discours argumentatif, discours informatif et descriptif ou critique ;
-
Les sujets traités au cours des débats : Le bilan de l'attaque, le secteur du tourisme, la situation sécuritaire et le terrorisme, le rôle du gouvernement, le rôle de la société civile ou le rôle de la communauté étrangère.
Traitement médiatique télévisée de l’attaque de Sousse
18À l’occasion de l’attaque terroriste de Sousse, la chaine nationale publique « Wataniya 1 » ainsi que les deux chaines privées « El Hiwar Ettounsi » et « Nesma TV » ont rompu avec la programmation habituelle et ont consacré le 26 juin 2015, des éditions spéciales dont la durée varie entre trois et cinq heures.
Tableau 1: Présentation du corpus de la recherche
La chaine télévisée |
L’intitulé de l’émission |
L’animateur |
La durée |
El Hiwar Ettounsi |
Couverture spéciale |
Hamza Balloumi et Elyess Gharbi |
4 H |
Nesma TV |
Ness Nesma - Couverture spéciale |
Borhan Bsaeis |
5 H |
Wataniya 1 |
Couverture spéciale |
Said Khzemi |
3 H |
19Il s’agit de trois débats télévisés auxquels ont participé des invités et durant lesquels ont été diffusés aussi une panoplie d’éléments (vidéo, audio et photo). Ce sont des travaux journalistiques menés par les présentateurs et une équipe de journalistes contactés en direct ou par correspondance.
Résultats
Histogramme 1: La nature des éléments diffusés
20Selon l’histogramme 1, nous confirmons que la chaine télévisée El Hiwar Ettounsi et Nesma TV ont diversifié leur contenu médiatique, en proposant des vidéos, des éléments audio et des photos, mais en se focalisant beaucoup plus sur les vidéos.
21La Wataniya 1 a produit quelques vidéos et quelques éléments audio. Aucune photo n’a été diffusée par la chaine publique alors que les autres chaines privées ont diffusé des photos de la scène après l’attaque (au bord de la plage de Sousse ou à l’hôtel visé) notamment durant les premières heures.
22Notons qu’aucun sigle d’âge n’a été ajouté à l’une des émissions, bien que certaines photos diffusées aient représenté les cadavres couverts avec une couverture blanche teintée de sang. Signalons ainsi que la Wataniya 1 a accordé beaucoup plus d’intérêt au débat lancé entre les intervenants présents sur le plateau alors que les autres chaines télévisées de notre corpus ont eu recours à d’autres types de production informative.
Histogramme 2 : Les éléments diffusés selon leur genre informatif
23L’histogramme 2 confirme aussi que la chaine El Hiwar Ettounsi a présenté un contenu diversifié mis à part le débat tenu entre les intervenants présents sur le plateau. Bien que Wataniya 1 et Nesma TV aient donné plus d’importance aux reportages vidéo journalistiques, El Hiwar Ettounsi a accordé plus d’intérêt au passage informatif télévisé, présenté par ses envoyés spéciaux. La Wataniya 1 n’a pas fourni assez d’effort pour assurer une correspondance en direct. Signalons aussi que mis à part le reportage vidéo journalistique qui a été présenté en arabe courant, les autres éléments ont été présentés en dialecte tunisien. De même, les reportages vidéo muets sont des vidéos amateurs dont la radio privée « Jawhra FM » dispose le droit de diffusion.
Histogramme 3 : Les sources d'informations
24Nous parlons en journalisme de quatre types de sources d’informations : les sources institutionnelles (celles qui sont détentrices de l’autorité publique), les sources intermédiaires (celles qui sont détentrices d’une légitimité sociale), les sources personnelles (les sources dont le journaliste dispose dans ces différents milieux) et les sources occasionnelles (les témoignages qui arrivent de manière spontanée).
25Dans leur couverture médiatique de l’attaque de Sousse et selon l’histogramme 3, El Hiwar Ettounsi a eu recours à maintes reprises aux sources occasionnelles à travers ses envoyés spéciaux. Par contre la Wataniya 1 a négligé complètement les sources occasionnelles et a cédé la parole aux hommes politiques du gouvernement et des partis politiques. De son côté, Nesma TV a essayé de varier ses sources d’informations.
Histogramme 4 : Le statut des intervenants
26Selon l’histogramme 4, El Hiwar Ettounsi a appliqué le critère d’impartialité au niveau des invités au débat de son émission. Il y a autant d’hommes politiques que d’experts, de journalistes et de membres de la société civile. Pareil pour Nesma, bien qu’elle ait négligé les membres du gouvernement, elle a créé un certain équilibre. Par contre, la Wataniya 1 a accordé plus de temps aux militants politiques de l’opposition, beaucoup plus que les acteurs du gouvernement ou de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP).
Histogramme 5 : Les moyens déployés par les chaines télévisées
27Selon l’histogramme 5, El Hiwar Ettounsi a investi tous les moyens possibles pour assurer la couverture médiatique de l’attaque terroriste de Sousse. Elle est d’ailleurs, la seule chaine télévisée qui ait eu recours au duplex avec la radio privée régionale Jawhra FM. Par contre, la Wataniya 1 a misé sur la présence des invités au le plateau de l’émission. De même, El Hiwar Ettounsi a fait intervenir les hauts responsables et les témoins via le téléphone ou grâce à la présence des envoyés spéciaux sur le champ d’action. Cela impose la disposition des moyens financiers nécessaires, notamment quand il s’agit de la couverture en direct qui est plus au moins coûteuse.
Histogramme 6 : Le type de discours dominant au cours de l'émission
28L’histogramme 6 a confirmé qu’au cours des débats tenus dans le cadre de ces émissions, le discours critique ainsi que le discours argumentatif étaient les deux styles de discours dominants.
29Pour El Hiwar Ettounsi, toute information a été accompagnée de description ou d’arguments. Le style informatif simple n’a pas trouvé de place par rapport aux autres chaines télévisées de notre corpus de recherche. La Wataniya 1 a cédé la place au discours argumentatif au point que toute déclaration a été justifiée par des exemples.
30Concernant la qualité du discours des présentateurs, ils ont tous utilisés des adjectifs critiquant l’acte barbare du terroriste accusé.
Histogramme 7 : Les sujets traités au cours des émissions
31D’après l’histogramme 7, les débats de ces chaines télévisées ont été axés sur six sujets : le bilan de l’attaque, le secteur du tourisme, la situation sécuritaire et le terrorisme, le gouvernement, la société civile et la communauté étrangère. Bien qu’une phrase ait été répétée tout au long de l’émission de Nesma TV : « Le terrorisme frappe encore une fois la Tunisie et menace le secteur du tourisme », le secteur du tourisme était le sujet le moins traité par rapport aux autres sujets, et ce par toutes les chaines télévisées de notre corpus de recherche.
32Les présentateurs des émissions ont mis l’accent, en présence de leurs invités, sur deux sujets : le bilan de l’attaque et la situation sécuritaire du pays ainsi que la propagation du tourisme. La société civile a été aussi au cœur des débats en rappelant le rôle des citoyens et leurs responsabilités pour faire face au terrorisme et pour instaurer un climat de sécurité. Signalons qu’El Hiwar Ettounsi n’a pas dépassé les frontières tunisiennes dans son traitement de l’attaque de Sousse alors que Nesma TV et Wataniya 1 ont mis l’accent sur l’intervention étrangère et les avis des hommes politiques étrangers suite à cette attaque terroriste.
Interprétation des résultats
33Dans son ouvrage Le récit impossible. Le conflit israélo-palestinien et les médias, Jérôme Bourdon(2009), a essayé de rendre compte du traitement journalistique du conflit palestino-israélien notamment la deuxième Intifada (septembre2000 - 2006), en mettant l’accent sur la fabrication de l’information et sa critique. Il souligne ainsi qu’il y a des facteurs qui participent à la constitution de « l’événement médiatique » du Proche-Orient, depuis le travail des correspondants sur le terrain aux cadrages effectués par les rédactions en chef.
34Notre recherche rejoint ainsi cette affirmation. El Hiwar Ettounsi et Nesma TV ont essayé d’apporter une couverture appropriée à la situation en rapportant le maximum d’informations sur ce qui se passait dans les rues, en essayant d’expliquer les causes de la crise d’un point de vue socio-économique et politique du pays. Elle a ainsi diversifié ces sources d’informations (duplex, correspondants ; etc.). Cependant, la chaine publique Wataniya 1 s’est heurtée à la limitation du nombre de sources. Ceci dépend des mutations économiques auxquelles les chaines télévisées sont confrontées (Bernier, 2004). Ajoutons que « l’intervalle de temps entre le déclenchement de la crise et l’arrivée des médias est un facteur variable selon l’accessibilité et l’époque de l’événement » (Arboit, 2007, p : 119). Nous avons remarqué ainsi la présence du système de « crowdsoursing » étant donné que les vidéos diffusées étaient prises par des citoyens qui étaient parmi les premiers témoins présents sur le champ. Au cours de cette couverture, nous avons enregistré alors l’utilisation d’images et de vidéos amateurs, publiées sur Internet trop répandues à mesure que les techniques numériques et de communication avancent, ce qui permet de rendre plus spectaculaire le drame humain. Mais le recours à ces moyens est justifié par l’absence des médias classiques sur le champ de l’attaque. Internet a déjà montré sa capacité à rendre compte des événements (Touboul, 2003). Notons d’ailleurs, que le visuel est un élément important dans la couverture des événements étant donné qu’il confirme les faits, sauf qu’il est préférable, selon les normes journalistiques de citer les sources des photos ou des vidéos s’il ne s’agit pas de travail journalistique.
35Jérôme Bourdon(2009), a mis l’accent aussi sur la fragilité des notions d’objectivité, de symétrie du traitement ou encore d’équilibre entre les protagonistes. Malheureusement la Wataniya 1 n’a pas assuré l’impartialité entre les intervenants après avoir négligé les témoins qui ont assisté à l’attaque et s’est concentrée sur les sources institutionnelles. C’est vrai que « la plupart du temps, faute de correspondants mobilisables sur place, les médias étrangers se trouvent dépendants de l’information traitée localement par les radios et les télévisions nationales ou fournie par les autorités » (Arboit, 2007, p : 119) mais il faut penser à assurer un certain équilibre pour être objectif et neutre. D’ailleurs « l’un des objectifs majeurs que poursuivent les politiques de régulation médiatique a été de garantir la persistance d’une pluralité des visions et des points de vue dans la sphère publique » (Brunet et David-Blais, 2004, p : 119). Certes, « une tendance naturelle et fréquente en situation de crise est de chercher à rassurer. Il est fréquent que l’on craigne les données, les modèles, les informations, que l’on pense « inutilement inquiétants » quand ils ne sont pas validés. C’est toujours une erreur » (Abenhaiem, 2005, p : 31). Or assurer un équilibre entre les intervenants demeure important.
36En ce qui concerne les experts ou les analystes politiques ou militaires présents sur le plateau, aucune présentation n’a comporté des détails sur l’un de ces experts car il s’agit d’un statut sensible qui est attribué à quelqu’un spécialiste du domaine, qui a déjà des études empiriques menées ou des publications scientifiques. La connaissance des interlocuteurs est un préalable à l'édification d'une relation de confiance car « rien n'est plus important que la distinction entre ce que les médias disent et ce que pensent les interlocuteurs cibles » (Libaert 2001 : 43). Aucune chaine n’a fait participer les citoyens au débat comme acteur participatif mais juste comme témoin. Il n’y avait pas d’interactivité entre le téléspectateur et la chaine télévisée bien que toutes les chaines disposent des moyens nécessaires. Cette interactivité aurait pu avoir lieu via le téléphone. El Hiwar Ettounsi s’est limitée à présenter les réactions des internautes sur les médias sociaux et Nesma TV rappelait ses téléspectateurs son site Internet et de sa page Facebook. Par contre, s’agissant des phénomènes de réception et d’appropriation des contenus médiatiques par les différents publics, Jérôme Bourdon pense que « les publics ne consomment pas les médias pour connaître le réel ou pas seulement, mais se reconnaître eux-mêmes (et autrui en même temps). Les médias ne sont pas ici des pourvoyeurs d’information mais des vecteurs d’identité » (Bourdon, Op. Cit.) vu que les téléspectateurs y sont membres.
37Par ailleurs, nous confirmons que « le journaliste occupe une position d’autorité, se tient au-dessus de la mêlée, doit distinguer le vrai du faux, et donne l’impression que, si le monde est un chaos, le discours télévisuel a pour fonction de l’ordonner et de l’expliquer » (Bertho Lavenir, 2000, p : 217). Cela a été remarquable à travers les trois débats sauf que la critique injustifiée était dominante. La chaine publique était la seule chaine qui a opté pour un discours argumentatif car il ne suffit pas de mettre l’accent sur une crise, d’accuser quelqu’un ou d’expliquer les résultats sans donner des arguments. De plus, le présentateur TV ne devrait pas adopter un discours haineux. Il est plutôt appelé à rassurer les gens.
Conclusion
38L’attaque de Sousse peut apparaître comme un modèle de médiatisation des crises majeures qu’a traversées la Tunisie, après le 14 janvier 2011. Elle montre d’ailleurs, comment une médiatisation peut transformer un événement en opération de communication planétaire. Ensuite, au cours d’une crise, les chaines télévisées à quelques exceptions occupent leur place de lieu d’expression et de dialogue social. Elles jouent ainsi leur rôle d’intermédiaire entre les publics et les autres secteurs de la société (politique, économique et culturel).
39De même, au cours d’une crise pareille, le présentateur télé devient membre de la communication gouvernementale au profit de l’intérêt du pays et non pas au service du terrorisme. Entre-temps, il est appelé à rassurer les citoyens mais cela ne signifie pas qu’il devra avoir recours seulement qu’à des sources institutionnelles pour assurer la couverture de l’attaque. Cela fut le rôle de tous les médias notamment les médias publics. Ces médias sont appelés à adopter un discours argumentatif pour rassurer les citoyens et instaurer un climat de paix dans le pays.
40De même, au cours de la couverture médiatique des crises, le citoyen est devenu un acteur. La couverture médiatique de l’attaque terroriste n’est plus une mission complètement assurée par journalistes mais le citoyen s’est approprié le métier de journaliste participatif. Quand les médias classiques s’absentent, le citoyen s'acquitte de cette tâche avec les moyens du bord disponibles, à savoir la tablette et le smartphone.
41Ajoutons aussi que le rôle des médias dans le processus de démocratisation d’un pays passe par la démocratisation des médias eux même, à travers une multiplication des sources d’informations et de leur indépendance. Ils jouent un rôle important dans l’éveil des populations Or dans le cadre de cette crise, la chaine publique n’a pas diversifié ses sources d’informations. Dès lors, on se demande si les journalistes de la chaine publique se plient aux exigences du gouvernement et sont soumis à une certaine autocensure. Dans un Etat supposé démocratique, un média public devrait céder la parole aux citoyens pour s’exprimer librement. Or aucun citoyen n’est intervenu dans l’un des débats télévisés. Les citoyens ont juste rapporté les faits de l’attaque en tant que des citoyens.
42Pour conclure, de nombreux chercheurs ont traité la manière dont les médias abordent les faits en période de crise tels que Philippe Breton (2001), Jérôme Bourdon (2009), Sophie Pontzeele (2005), Catherine Coquio (2004) ou encore Jean-Marie Charon et Arnaud Mercier (2004). Cette recherche n’est qu’une suite aux anciennes études. Nous avons essayé via cette recherche de souligner les pratiques journalistiques correctes pour couvrir une situation de crise mais d’autres études devront compléter ce travail afin d’éclaircir certains points absurdes à savoir l’effet du discours médiatique sur les publics récepteurs.
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Notes
1 Cf.site web : http://ethicaljournalisminitiative.org/en
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