Le leadership populiste en Roumanie à l`ère de la communication 2.0
Table des matières
Texte intégral
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Résumé : Notre étude se propose une incursion heuristique visant les programmes politiques des partis et des mouvements populistes récents sur la scène politique roumaine, dans une année électorale (élections parlementaires européennes et élections présidentielles en Roumanie). Notre corpus de recherche comprend les sites, les programmes politiques et les commentaires sur Facebook des leaders de ces formations politiques, des citoyens et des influenceurs. Les questions de recherche visent les aspects suivants :
Dans quelle mesure les nouveaux médias favorisent-ils la montée du populisme ?
Quels sont les traits du leadership populiste à l`ère des réseaux sociaux ?
Comment la communication politique a-t-elle été influencée par les TIC ?
Mots clé : populisme, leadership, communication 2.0, Facebook, influenceurs
Abstract: Our study proposes a heuristic investigation targeting the political programs of recent populist parties and movements on the Romanian political scene, in an electoral year (European parliamentary elections and presidential elections in Romania). Our research corpus includes the sites, political programs and Facebook comments of the leaders of these political parties, citizens and influencers. The research questions cover the following aspects :
- To what extent are the new media promoting the rise of populism?
- What are the traits of populist leadership in the age of social networks ?
- How has political communication been influenced by ICT ?
Key words: populism, leadership, communication 2.0, Facebook, influencers
Introduction
2Le populisme est une étiquette appliquée à certains partis et leaders politiques, tenant compte de leur vision et programmes. Les partis ne s`assument pas, de bon gré, cette attribution. Ils sont catalogués ainsi par les adversaires ou les analystes politiques.
3Transversal aux courants politiques, le populisme s’utilise avec diplomatie dans le monde entier avec plus ou moins d’habileté. Pourtant, il ne parvient pas à rassembler ses détracteurs et ses partisans autour d’une définition transparente, alors qu’il émerge en période de crise en même temps que le phénomène charismatique. Nous allons exemplifier avec quelques-unes des définitions concernant le populisme :
Le populisme est une pathologie compréhensible sinon «normale» de la démocratie d`opinion, dont il accompagne comme une ombre le développement. (Ph. Raynaud, 2017:14)
C’est une réaction de colère et de méfiance à l’égard des institutions et face aux forces centrifuges qui menacent les mythes fondateurs de la nation (Al. Dorna, 2003 : 8-9)
Le populiste serait celui qui, au nom d`une prétendue homogénéité du peuple, s`appuie sur le ressentiment populaire contre les «élites» (Raynaud, 2017:8).
Il s’agit de courants politiques pour lesquels l’appel au peuple est la source première de légitimation politique. Le peuple y est généralement opposé aux élites libérales qui, au plan interne ou européen, entraveraient l’expression de cette volonté populaire. (J. Rupkin, 2017)
Se basant sur un fond moraliste plus que sur un programme, les populistes …ne doivent donc pas, contrairement aux politiciens traditionnels, s’efforcer d’être cohérents par rapport à un programme politique (R. Balfour, 2016 : 61)
Le populisme est moins une idéologie qu’une rhétorique. Il existe une manière populiste, reconnaissable entre toutes, et qui transcende les clivages politiques et nationaux classiques (Christian Godin, 2012 :6)
Le populisme n`assure pas une vision compréhensive sur la société, mais il offre un sens précis et prioritaire à certains concepts-clé du discours politique (Momoc, 2014 ; 175)
4«De nos jours, le populisme a pris de nouvelles formes, celles du néo-populisme, en devenant une pratique politique avec des conséquences majeures qui dépassent la sphère du discours politique, avec un impact sur le contenu de la démocratie représentative et sur le parlementarisme» (Păuș, Ștefănel, 2017:83). On constate le discrédit de la représentation et l’emprise d’un système de communication de masse qui utilise davantage l’émotion que le raisonnement. «Si la démocratie représentative est en crise, le populisme est l’un de ses symptômes les plus saillants» (Al. Dorna, 2007 :31)
5L’absence d’un programme défini ou d’une doctrine idéologique achevée n’est alors pas étonnante : le populisme ne se veut pas une idée originale ni une théorie globale, encore moins une conception de l’homme et de la société, mais, avant tout, une volonté de reconstruction du bien commun. En premier lieu, le populisme est surtout un phénomène de transition qui se développe au sein d’une crise généralisée et d’un statu quo politico-social insoutenable pour la majorité. Le populisme ne conduit pas forcément à un changement définitif de régime. Certes, si le message n’est pas compris par la classe dirigeante, alors l’appel au peuple représente une solution de rechange à une situation bloquée. «La clef n’est pas l’effervescence sociale qui l’accompagne, mais le fonds émotionnel qui l’anime. Le ciment qui le rend cohérent n’est pas sociologique, mais psychologique » (Dorna, 2003:8-9). La cohésion nationale et sociale se brise avec une méfiance galopante à l’égard des appareils politiques.
Hypothèses explicatives
6Plusieurs hypothèses explicatives de la poussée des courants populistes et nationalistes peuvent être avancées. Selon Jacques Rupnik, (2017),
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« La première met l’accent sur les facteurs socio-économiques. Certes, on a assisté pendant plus de deux décennies à une formidable modernisation économique des pays d’Europe centrale. Toutefois, les bénéfices de celle-ci ont été inégalement répartis entre les couches de la population et entre les territoires».
7Les grandes villes, dans lesquelles vit une population jouissant d’un niveau d’éducation plus élevé que la moyenne, s’opposent dorénavant aux petites villes et au milieu rural où la population est plus âgée et avec un niveau d’éducation moindre.
8D’où, partout, un ressentiment accumulé, d’une part contre les élites prospères et souvent corrompues, liées aux investisseurs étrangers, et, d’autre part face aux inégalités jugées illégitimes par une partie croissante de la population. Ces fractures seraient à l’origine d’une « démocratie de la frustration »
9Les peuples de l’Europe centrale ont en fait tendance aujourd’hui à comparer leur niveau de vie non pas à celui qu’ils avaient auparavant, mais à celui des pays riches de l’Union européenne, à commencer par l’Allemagne.
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La seconde explication met l’accent sur une dimension idéologique du national-populisme qui correspond à l’épuisement du cycle libéral post-1989. Ce dernier reposait sur trois composantes complémentaires : la démocratie libérale, l’économie de marché et l’intégration européenne. Les trois objectifs ont été atteints, et ils sont dorénavant en crise. «Le projet libéral d’une démocratie permettant de jouir des libertés est épuisé sans que ceux qui en furent les porteurs sur le plan politique aient trouvé la capacité de le renouveler ou de définir un autre projet collectif. Ceux qui proposaient une alternative ont précisément été les partis populistes et nationalistes dont le discours se focalise sur la nation, la famille, l’Église».
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Le rapport aux élections en est une troisième caractéristique symptomatique : les populismes rejettent le système représentatif au profit du referendum et préfèrent s’adresser directement au peuple. En ce sens, il est le symptôme «d’un malaise dans le système représentatif». Comme il connaît les besoins de ce peuple, le leader populiste est à même d’identifier la volonté populaire, il n’a guère besoin d’institutions intermédiaires. «Le rejet des pratiques électorales se voit dans le décalage entre le résultat électoral et celui des populistes : la majorité silencieuse, n’ayant pu s’exprimer (pour quelle raison ? cela reste un mystère), les procédures électorales sont remises en cause. » (Stéphane François, 2018 :33)
10Ainsi, faute d’une définition opérationnelle du populisme et malgré les contours flous, quelques indices permettent de cerner le prototype et ses variantes à partir des traits suivants :
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La personnalisation du mouvement et l’adhésion à un homme providentiel charismatique.
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L’appel au peuple lancé par le leader avec une exaltation de la dimension affective de proximité.
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L’attitude anti-élitiste et anti-oligarchique.
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La dénonciation de la distance entre gouvernés et gouvernants, ces derniers étant considérés comme corrompus et avilis.
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Un discours fort qui fustige l’injustice sociale, l’insécurité, le chômage, la corruption et l’immigration.
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Un mouvement de masse qui se réclame de l’État-nation et du passé légendaire de l’histoire du pays
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Un positionnement de rupture avec le système en place.
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L’évocation manipulatrice des « vertus innées » du peuple qui rendraient inutiles toutes les médiations. (A. Dorna, 2007 :31-32)
11Schématiquement :
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Détresse populaire (crise)
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Leader (charisme + message)
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Rupture ➔ Ordre nouveau
Le discours populiste à l`ère de la communication 2.0
12A l`ère de l`Internet 2.0, le leader populiste charismatique tend à être doublé et remplacé par un leadership collectif, diffus, ayant un effet de push-up, assumé, en ligne, sur Facebook, par les influenceurs, des personnes avec une bonne réputation dans leur domaine de compétences, pas nécessairement dans la sphère du politique, qui affichent un style de communication autoritaire-persuasif, quelquefois avec des accents d`intolérance envers les commentaires qui contredisent leurs opinions.
13Ici, il y a un point de convergence entre le message populiste des leaders et les attentes d`un public mécontent des décideurs, désireux du changement ou frustré, qui, pour autant, peut être facilement radicalisé.
14Pour autant, le populisme donne un nouveau souffle aux partis traditionnels, les obligeant à une réaffirmation idéologique et pousse la population vers la politique. Les populistes accusent les élites de ne pas répondre aux besoins du peuple et peuvent modifier le vote de l`électorat dans une nouvelle configuration en leur faveur.
15C`est aux nouveaux médias d`avoir ouvert la voie des nouvelles pratiques de mobilisation des publics. Il y a pourtant un paradoxe : ouvert à tous, le Facebook antagonise les opinions et mène à l`isolationnisme médiatique. Les groupes adhèrent aux leaders dont les opinions sont conformes aux leurs et repoussent violement les autres opinions. On retrouve ici l`un des dangers du populisme : le radicalisme.
16Un autre trait qui s`ajoute au discours populiste en ligne est le phénomène de contagion. L`opinion du leader informel, l`influenceur, est reprise, sans discernement et sans être vérifiée par les membres du groupe. C`est ce qui a favorisé le dénigrement des opposants politiques et les fake-news dans le message politique.
17Cette attraction toute particulière pour les opinions politiques populistes est due aussi à la peur d`être anonyme dans «la société spectacle». Le sensationnel, le spectaculaire dans la manifestation des opinions (les faisceaux lumineux des portables pendant les protestations publiques, les gilets jaunes qui confèrent une identité au groupe, etc…) après avoir été mis en scène sur Facebook, se retrouve ensuite en off en ligne, dans les mouvements des manifestants dans la rue et les places publiques, qui rassemblent un nombre impressionnant de participants, de toutes les catégories sociales et tous les âges, dont le lient n`est pas une conviction politique coagulant le groupe, mais plutôt l`adhésion à des opinions leur permettant d`être membres d`un groupe dont le leader est l`objet de leur admiration et qui, par cette appartenance même, leur rend un statut valorisant. «Le pouvoir que le leader exerce est essentiellement informel au sein d’un mouvement social, dont le premier cercle forme avec le chef une « communauté émotionnelle » (A.Dorna, 2007 :33)
18A partir de ces constatations, nous nous sommes proposé de répondre à quelques questions de recherche:
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Dans quelle mesure les nouveaux médias favorisent-ils la montée du populisme par le libre accès à l`expression de l`opinion ?
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Quels sont les traits du leadership populiste à l`ère des réseaux sociaux ?
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Comment la communication politique a-t-elle été influencée par les TIC ?
19Trois défis sont associés à ces questions : définir le leadership des acteurs politiques et leur communication, déterminer quelle est la clé de leur succès et établir le rôle des médias et des réseaux sociaux dans la promotion des politiques populistes.
20L`analyse du populisme doit suivre trois niveaux s`exprimant simultanément :
a. le contexte structurel et situationnel ;
b. les partis, les mouvements et leur représentativité ;
c. Les médias journalistiques et sociaux.
21Notre étude se propose une incursion dans l`analyse des programmes politiques lancés par des partis et mouvements politiques qui essaient de se frayer chemin sur la scène politique roumaine dans une période agitée marquée de protestations et de disputes politiques et sociales, surtout dans cette période électorale prolongée (2019-2021): élections pour le parlement européen, élections présidentielles, élections locales et élections parlementaires. Les partis visés par notre analyse sont des partis de date récente qui figurent une nouvelle constellation politique en Roumanie: le parti Vérité et Justice, http://www.pad-dd.ro/ , DEMOS http://platforma-demos.ro, le parti Pro-Roumanie, https://www.proromania.ro , PMP (Le parti le Mouvement Populaire), USR (L` Union Sauvez la Roumanie) https://www.usr.ro/, le parti PLUS (Liberté, Unité et Solidarité), https://www.ro.plus/.
Analyse de contenu
22Une première remarque vise le fait que leur activité a contribué, en grande mesure, et surtout par la présence des influenceurs sur les réseaux sociaux, à la cristallisation du mouvement #Résiste avec sa présence massive aux mouvements protestataires dans tout le pays et ensuite, qui a mené à la cristallisation du plus récent mouvement politique, transformé en parti politique, +Plus (le Parti de la Liberté, de l`Unité et de la Solidarité), initialement la Plateforme la Roumanie 100, initiée par un groupe d`intellectuels mécontents sur Facebook.
23Après avoir consulté les études consacrées au populisme et à ses manifestations dans le monde contemporain, et après l`analyse de la situation existante sur l`échiquier politique en Roumanie, on pourrait affirmer qu`en Roumanie de nos jours on ne peut pas identifier des partis populistes, dans le sens consacré pas les définitions ou assumé par leurs leaders. A notre opinion, on pourrait parler plutôt d`un état d`esprit induit et cultivé par les leaders de ces partis/mouvements, état d`esprit agréé par le public, surtout sur les réseaux sociaux.
24Les deux dimensions fondamentales de cette démarche de conviction sont l’émotion et le leadership charismatique qui jouent un rôle essentiel dans la quête d`une adhésion à une identité virtuelle collective du public. Le peuple du populisme n’est pas un organisme - le « corps politique » des théories et républiques classiques - mais un agrégat : l’addition d’une multitude d’individus pour lesquels, comme dit Dominique Reynié, « la classe sociale ne constitue plus un univers d’appartenance ni même de représentation Le « peuple » du populisme n’a ni un sens ethnique, ni un sens politique, ni un sens social. Il ne se définit pas pour, mais contre : contre les élites…» (D. Reynié, 2011 :14)
25Une deuxième remarque qui vise notre analyse c`est le fait qu`en Roumanie il n`y a pas de délimitation nette entre les programmes politiques des partis à tendance populiste et ceux des partis politiques traditionnels. «Le populisme réduit le phénomène politico-idéologique qui suppose la formation, dans le temps, d`un électorat ayant certaines convictions à une simple technique de conquérir le pouvoir par l`offre d`une réponse à un besoin immédiat, réponse identifiée soit scientifiquement, soit par intuition, soit par des campagnes médiatiques». (Bocancea, 2017:13)
Le leadership populiste
26Dans une époque où les leaders politiques au pouvoir sont fortement contestés, le leader charismatique est remplacé par les influenceurs sur Facebook. Ceux-ci ne sont pas nécessairement des leaders politiques. Ils peuvent appartenir aux domaines assez divers, science, culture, journalisme, le trait d`union étant leurs opinions politiques affirmées et leur adhésion aux messages des mouvements politiques à vocation populiste (plutôt rhétorique qu`idéologique). Par l`affirmation de la non-appartenance politique formelle, ces influenceurs, avec une grande audience, deviennent d`autant plus crédibles. A notre avis, un nouveau concept, celui de «personnalité collective accentuée» pourrait être proposé, à partir du concept de «personnalité accentuée» de Karl Leonhard.
27Si les premiers leaders populistes après 1989 ont fondé des partis politiques sur le modèle des partis traditionnels (le parti La Grande Roumanie de Vadim Tudor), le parti La Nouvelle Génération de Gigi Becali, www.png.ro, les leaders de l`époque Facebook, soutenus par les influenceurs dans les milieux en ligne, ont été, au début, ceux qui ont obtenu l`adhésion des suiveurs en ligne autour des mouvements civiques et des ONG, pour se transformer, ensuite, en partis politiques participants aux élections avec des chances considérables de gagner des pourcentages notables: la plateforme La Roumanie 100 https://www.ro100.ro , mouvement civique très actif sur Facebook, qui a précédé le parti PLUS (le parti Liberté ; Unité et Solidarité, https://www.ro.plus/, USR (L ”Union Sauvez la Roumanie, à l`origine ONG fondé par son leader, Nicusor Dan, militant civique pour Bucarest (L`Union Sauvez Bucarest).
28Des éléments populistes se retrouvent aussi dans la rhétorique et les mesures politiques du parti au pouvoir (2016-2019), le PSD (le Parti Social-Démocrate). Les leaders PSD considèrent que ce discours – non assumé comme populiste – est légitimé par l`électorat qui représente le peuple et les mesures législatives prises sont vouées au bien-être du peuple.
29On entre dans une spirale du populisme, dans laquelle les leaders politiques prennent, temporairement, l`habit discursif de ceux qu`ils combattent, pour se sauver devant leur propre «peuple». (Bocancea, 2017: 17)
30Dans la construction de son discours populiste, PSD fait appel à trois éléments fondamentaux :
(1) Le vote populaire, qui leur offre la légitimité ;
(2) La lutte contre les élites qui exercent leur contrôle sur diverses institutions de l`Etat, représenté par l`Etat parallèle - syntagme introduite dans le discours politique par les leaders PSD - et contre une élite économique internationale qui essaie de manipuler les citoyens et les médias pour influencer le climat politique.
(3) la protection de la volonté du peuple qui doit avoir droit au référendum dans les problèmes importants pour la société roumaine. (Vlad Bujdei-Tebeica, 2017 :53)
31«Le leader charismatique et visionnaire doit pouvoir aligner les gens pour atteindre leurs objectifs» (Păuș, 2013:78). Les leaders politiques actuels doivent pratiquer un double leadership qui fonctionne en ligne et off ligne. Il y a déjà une pratique courante d`annoncer une démission ou une nominalisation sur Facebook sur les pages personnelles, on émet des opinions ou des critiques sur la même voie. La principale répercussion, à notre opinion, c`est un leadership fragilisé, exposé aux commentaires directes de la part des suiveurs, soient-ils positifs ou négatifs. Dans la même mesure, ils peuvent se retrouver sujets des fake news lancés par leurs détracteurs et des médias hostiles, nouvelles distribuées sur les réseaux sociaux sans avoir la possibilité de les stopper.
Analyse des programmes populistes en ligne
32Dans les conditions de l`existence de deux types de messages, en ligne et hors ligne, on constate aussi la présence de deux types de discours. Le discours oratoire, rigoureux, argumentatif, est remplacé par un langage émotionnel, moins structuré, moins rigoureux et plus plastique, quelquefois même injurieux et empreint de subjectivité. Le parler dru de ces leaders, qui usent volontiers de tours familiers et de tournures argotiques, ravale l’idiolecte des professionnels et des experts de la politique au rang de moyen cynique de dissimulation et de mensonge.
33«Le leader populiste entraîne à la manière d’un animateur de télévision ou d’un disc-jockey. Il n’a plus besoin, comme jadis, d’être un orateur, même si, à l’occasion, il l’est». (Ch. Godin, 2012 :7)
34Sur le plan du contenu, plusieurs traits caractérisent le populisme actuel, qu’il soit de gauche ou de droite :
a) la condamnation sans appel des élites ;
b) la défense d’une identité nationale menacée ;
c) le rejet des forces étrangères menaçant cette identité.(Ch. Godin, 2012 :7)
Avec le populisme, le clivage entre le peuple et les élites se substitue au clivage gauche/droite.
35Ce type de discours se plie parfaitement au message populiste, essentiellement émotionnel et qui suscite des réactions rapides et virulentes dans les commentaires des suiveurs sur Facebook. Les commentaires et les réactions sont dans un régistre de langue familier, informel, ce qui donne une impression de rapprochement entre l`émetteur et les récepteurs multiples, soient-ils directs (ceux qui font des commentaires ciblés au message du leader) ou indirects (ceux qui réagissent aux distributions du message. Dans ce cas, on prend en compte aussi la personne qui l`a distribué : crédible/non-crédible, digne de confiance/douteux, connu/inconnu, avec/sans autorité, influencer/suiveur; etc..
36Un autre trait du leadership en ligne c`est sa possibilité de se multiplier par la participation directe des membres du groupe initial et d`autres groupes, par la distribution multiple. Les commentaires, favorables ou défavorables au message initial et/ou au leader qui l`a lancé, ne font qu`exprimer, diffuser, compléter ou corriger les opinions du leader, dans un leadership participatif que les membres de la communauté virtuelle se partagent. Dans un mot, on assiste à la naissance d`un leadership participatif et collaboratif qui se fait jour, en temps réel dans un milieu virtuel. Cela pourrait expliquer le succès des leaders populistes sur les réseaux sociaux Facebook ou twitter, selon l`extension de ces réseaux dans les pays respectifs (Trump communique sur twitter, les leaders politiques roumains sur Facebook).
37Enfin, le vocabulaire populiste trouve un champ fertile d`expression sur les réseaux sociaux. «Les figures de proue des partis populistes actuels sont jeunes, charismatiques et décomplexées. Elles jettent au feu la langue de bois, ferraillent contre le politiquement correct, mais prennent soin d’éviter les dérapages explicitement racistes et xénophobes qui les marginaliseraient.» (Chr. Godin, 2012 :11).
38Nous allons exemplifier avec la présentation succincte des partis actifs sur la scène politique roumaine actuellement et de leurs programmes avec la précision que ces partis et leurs leaders ne s`assument pas ouvertement une vision populiste. Cependant, par le contenu de leurs messages et les programmes qui expriment leur vision politique, on peut déceler bien des traits du populisme. « Se basant sur un fond moraliste plus que sur un programme, les populistes ont tendance à manipuler les questions de façon instrumentale et ne doivent donc pas, contrairement aux politiciens traditionnels, s’efforcer d’être cohérents par rapport à un programme politique » (Rosa Balfour, 2017 :61). La traduction du roumain de ces informations prise sur les sites des partis respectifs nous appartient.
39«La Plateforme DEMOS, http://platforma-demos.ro/index.php/evenimente/ est devenue active en automne 2015, en réponse au besoin d`organiser les énergies progressistes, articulant une critique puissante du sous-développement, de l`inégalité et de la division de la société roumaine.
La plupart des membres et des amis de la Plateforme n`avaient pas fait de la politique auparavant, en étant actifs au niveau civique et communautaire. Nous voulons changer la manière de faire de la politique, par une construction propre, à base de volontariat, avec des ressources modestes mais transparentes, tout au nom des valeurs et des principes dans lesquelles nous croyons.
L`élite politique gouverne sans vision et sans projets, préoccupée seulement d`avoir accès aux ressources. Elle mime la lutte politique et instigue les citoyens à la haine et mépris réciproque.
Après 25 ans de transition, nous vivons dans une société que quelques-uns essaient de spolier, d`où plusieurs veulent s`échapper et dans laquelle la plupart espère survivre.
Le programme DEMOS est un document collaboratif, rédigé par des dizaines de personnes, membres et amis, qui nous ont communiqué avec générosité leurs idées. Nous les remercions tous pour leur contribution et leur attitude constructive. https://demos.org.ro/
40Le Parti du Mouvement Populaire https://pmponline.ro/ a comme devise «Une nation libre, active et solidaire ».
41Dans le programme du parti est prévu :
- La nation souffre à cause du déficit de confiance des citoyens dans la Roumanie d`aujourd`hui.
- Les gens politiques négligent les valeurs nationales
- Les politiciens incompétents défendent l`immobilisme, ont peur de compétition pour maintenir les réseaux d`influence.
Parmi les principes du PMP « en ce qui concerne la nation »:
1. une identité nationale puissamment associée à une identité européenne assumée
2. la cohésion de la nation est définie par le patriotisme, par une culture commune et par le travail.
3. le patriotisme signifie la préservation des valeurs nationales...
4. La nation signifie un projet et une destinée communs qui ne doivent pas être confondus avec une population amorphe du point de vue identitaire…et la liste continue dans la même manière, les mots nation, national, patriotisme, identité ; se retrouvant à chaque point du programme.
42Le Parti Vérité et Justice, https://www.Facebook.com/partiduladevarsidreptate/, une autre formation politique nouvelle sur la scène politique roumaine, a choisi pour son site l`image d`un groupe de paysans en costumes populaires, aparemment une photo ancienne.
La présentation du programme politique sur le site suit les principales idées populistes :
- Nous sommes le parti né des souffrances séculaires de notre peuple, un parti destiné à vaincre et à aider son peuple pour renaître ;
- Nous voulons une réforme profonde et totale des structures de la société roumaine, grièvement affectée à présent par la corruption, l`incompétence et la trahison.
- Nous sommes la force dont la source d`énergie nous parvient des racines d`un peuple ancien, dont la continuité sur cette terre ne peut être nié que par les ennemis et les traîtres de cette nation.
43Le Parti USR (L`Union Sauver la Roumanie) https://www.usr.ro/ , parti parlementaire en ascension dans les sondages et dans les scores électoraux, se caractérise sur son site, comme une union qui regroupe des gens à orientation politique diverse, de gauche ou de droite. Le but du parti est de proposer une autre politique, opposée à la politique actuelle corrompue, une politique axée sur l`intégrité et la compétence, au profit des citoyens. Les problèmes importants de la Roumanie sont la corruption généralisée dans tous les partis et la rupture entre la politique et la société.
USR se propose de résoudre d`urgence ces problèmes, avec une large participation, indifféremment des valeurs idéologiques qui animent ces gens.
En même temps, par leurs efforts pour éliminer ces obstacles (vol, inefficience), USR lutte pour la reconstruction de la Roumanie, en soutenant l`innovation au cœur du développement.
Un autre parti parlementaire en ascension sur la scène PRO Roumanie https://www.proromania.ro/ . Le parti s`affirme comme un projet politique nouveau qui unit et représente tous les citoyens qui ont confiance en Roumanie, dans son potentiel humain et naturel.
44Pro Roumanie se propose d`être un laboratoire politique où les gens compétents bâtissent et mettent en pratique des projets concrets pour le développement du pays.
45Dans leur manifeste sur le site, on affirme :
« Nous sommes convaincus qu`aucune force politique ne connaisse mieux les intérêts et les ressources du pays que les citoyens et que personne ne puisse donner forme et suivre ces projets que la communauté qui agit volontairement. Nous croyons qu`un parti moderne doit avoir des stratégies pour mettre ensemble ces communautés animées par des valeurs et des principes éthiques et politiques communs. Nous considérons qu`il n`y a pas de démocratie consolidée sans le respect de l`Etat de droit par tous les citoyens. Dans l`absence de ce respect, surtout de la part de ceux qui sont au pouvoir et sont mandatés de représenter les citoyens, la démocratie se retrouve vide de contenu, ayant seulement le rôle de légitimer de point de vue électoral ces politiciens. Nous ne sommes pas d`accord de laisser la corruption accaparer tout le pays.. . »
Conclusion
46Surtout, le populisme relève d’une crise de la représentation pour deux grandes raisons :
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premièrement, l’électorat des grands partis s’érode, par manque à la fois du renouvellement du personnel politique et des idées ;
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deuxièmement, l’électorat devient volatil. L’un des enjeux serait donc de renouer la confiance dans les partis au gouvernement et de proposer des idées nouvelles et mobilisatrices.
47Sur le plan du contenu, plusieurs traits caractérisent le populisme actuel, qu’il soit de gauche ou de droite :
a) la condamnation sans appel des élites ;
b) la défense d’une identité nationale menacée ;
c) le rejet des forces étrangères menaçant cette identité. (Ch. Godin, 2012 :7).
48Avec le populisme, le clivage entre le peuple et les élites se substitue au clivage gauche/droite.
49Le populisme est moins une idéologie qu’une rhétorique. «Il existe une manière populiste, reconnaissable entre toutes, et qui transcende les clivages politiques et nationaux classiques» (Christian Godin, 2012 :6).
50«Dans les systèmes démocratiques consolidées, il est attendu que le populisme ait une influence petite ou modérée sur la qualité de la démocratie. Par contre, dans les démocraties non-consolidées, les gouvernements populistes peuvent avoir des effets fortement négatifs sur le système politique» (Stefănel, A., 2016). En réalité, il est extrêmement difficile de mesurer les paramètres de la démocratie, si on tient compte de sa dynamique et sa sensibilité au contact avec les facteurs contextuels, internes et internationaux. Il parait qu`une dose raisonnable de populisme dans la rhétorique politique ne fait qu`agrandir la popularité des leaders, à condition que le discours ne soit pas trompeur. Le système de la démocratie représentative ne satisfait plus les citoyens qui, dans l`ère de l`Internet et de la communication 2.0 ressentent le besoin de s`impliquer et d`être davantage impliqués dans la vie de la cité.
Bibliographie
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Dorna,Alexandre « Faut-il avoir peur du populisme ? » dans Le monde dyplomatique, nov. 2003, pages 8-9
Godin, Christian, Qu`est-ce que le populisme ? Presses Universitaires de France | « Cités » 2012/1 n° 49 | pages 11 à 25, https://www.cairn.info/revue-cites-2012..htm
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Păuș, Viorica., Ștefănel, Adriana., “Economic populism between charismatic and authoritarian leadership”, Manager Journal, 2017, Vol. 25, p. 83-91.
Păuș, Viorica., “New Media and Leadership: Social Media and Open Organizational Communication”, Manager Journal, nr.17, 2013, pp. 73-78
Raynaud, Ph., „Le populisme existe-t-il? «, Questions internationales », no. 83, 2017
D. Reynié, Populismes : la pente fatale, Paris, Plon, coll. « T ribune libre », 2011
Rupnik, Jacques, « Populismes et révolution conservatrice en Europe de l’Est », dans La Documentation française, juillet, 2017
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Stefănel, Adriana, „Notes of populism”, in Revue Roumaine de Philosophie, tome 60, 2016, Nr.1, p.129-138 http://www.institutuldefilosofie.ro/page.php?51
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