French Journal For Media Research

Etienne Fiacre

L’innovation digitale à l’épreuve du management de l’association sportive en développement. L’exemple d’un club de rugby professionnel

Texte intégral

1Résumé : Le développement de l’association sportive est au cœur de son processus d’innovation. Par une approche interdisciplinaire, cet article présente une brève analyse des composantes humaines de ces organisations et le risque d’une banalisation de la création digitale dans la communication face à la recherche de visibilité et de profits immédiats.
Mots clés : Communication ; Marketing ; Organisations sportives ; Humanités numériques

Introduction

2L’olympiade d’hiver de Pékin 2022 tout juste clôturée, la voie est désormais tracée pour les deux années qui précèdent l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. L’ensemble du sport français vit une période historique pour son développement et, sous les regards des mondes sportifs et politiques, se mobilise pour l’organisation de cette olympiade avec comme objectif d’en garantir la réussite sportive, historique et politique. Dans ce contexte, nous avons décidé d’orienter cet article sur une analyse de l’innovation en termes de communication digitale, en mettant l’accent sur la structure humaine qui régit le paysage associatif sportif français. Par structure humaine, nous entendons ici les bénévoles et salariés qui composent les bureaux des associations et leurs cellules professionnelles. Alors que le sport national va tenter de se promouvoir au plus haut niveau, cette recherche vise à percevoir un degré d’appropriation des nouvelles technologies d’information et de la communication (TIC) par ces acteurs associatifs du sport français et d’en évaluer la capacité d’innovation digitale.

3Les associations sportives sont des groupements volontaires qui se forment autour d’un projet sportif et qui peuvent être identifiables à des « formes sociales en mouvement » qui « évoluent au fil d’opportunités et contraintes » (Batazzi, 2022). Dans le cadre de cet article, nous souhaitons illustrer l’appropriation des outils de communication numérique par les associations et via une approche pragmatique de leur développement, en identifier le projet d’usage (Le Marec, 2001), les besoins et l’aspect humain associé.

4L’objectif de ces associations est d’œuvrer pour la pratique et la promotion du sport. En adéquation avec leurs opportunités – tel que le sport de haut niveau – ces structures se formalisent et se développent. Le numérique et la communication digitale sont inscrits dans leur fonctionnement à différentes échelles. À titre d’exemple, l’activité administrative se dématérialise au travers d’outils numériques, notamment dans le secteur de la compatibilité et des inscriptions mais également toutes pour toutes les opérations de communication telles que la diffusion des résultats sportifs, de l’actualité relative aux licenciés ou aux supporters grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, TikTok, LinkedIn) et autres plateformes digitales (site officiel, site des fédérations, comités etc…). C’est par une observation des composantes humaines du paysage associatif sportif et des besoins affirmés en termes de communication digitale et d’usage des réseaux sociaux que nous proposons une critique de la démarche d’innovation numérique de ces entités.

La professionnalisation, besoins et usages des TICs de l’association sportive

5Depuis plusieurs années, nous menons une recherche élargie sur les usages numériques et le sport professionnel pour laquelle nous avons recours à la méthode d’observation participante dans différentes structures azuréennes, dont le Stade Niçois Rugby. Afin de palier à la difficulté d’insertion dans les sphères d’analyse, aspect souvent rédhibitoire à la réussite de l’observation, nous agissons principalement en tant que consultant auprès de ces structures. La situation observée au sein de ce club sportif niçois – aux portes du monde professionnel – nous permet d’illustrer les propos que nous tenons dans cet article. Ambitieuse et très soucieuse de son développement dans sa quête d’accès à l’élite du rugby français, cette structure sportive constitue la source de données principale de la recherche que nous menons ici.

6La fin d’une saison sportive pouvant être incertaine, l’accès soudain au niveau supérieur offre un espace d’analyse de la structure, de ses nouvelles contraintes et de la mutation qui l’attend. Pour mener cette analyse, nous distinguons le niveau sportif de la structure de l’association. En d’autres termes, une structure sportive professionnelle peut posséder une équipe amateur, de la même manière qu’une équipe professionnelle peut être encadrée par une structure associative amateur. Naturellement, nous ne prétendons pas dresser une vision globale de usages numériques des associations sportives en quelques pages et sommes conscient que chaque besoin et usage des TICs est modéré par les ressources humaines et l’ambition sportive de chaque association. Cependant, le choix de porter cet article sur la transition entre le sport amateur et le sport professionnel a pour vocation de montrer la complexité d’une évolution qui peut être ponctuelle ou saisonnière.

7Qu’il soit professionnel ou amateur, l’univers sportif est rythmé par des périodes de plusieurs semaines ou mois appelées saisons qui articulent l’activité des associations. Cette temporalité est une composante essentielle à la structuration des bureaux, des équipes et des projets sportifs. Ce rythme représente également une limite majeure des organisations sportives qui ne sont pas nécessairement maîtressses de leur période d’évolution et ne réagissent à cette dernière qu’en fonction des résultats sportifs obtenus à l’issue de la saison. C’est ce que nous rapporte un extrait d’entretien récent avec le responsable marketing du Stade Niçois Rugby, un club sportif évoluant en Nationale, l’antichambre de la ProD2 et du rugby professionnel. Cet entretien est réalisé au milieu d’une saison sportive en complément de l’éthnométhode exposée précédemment et nous a permis d’obtenir un point de vue interne du développement à l’heure où la temporalité oblige à la fois le constat et la projection sur la suite de la saison.

« […] Les besoins en termes d’outils et de compétences se font sentir d’un coup. Nous y pensons en amont mais les anticiper reste très difficile actuellement pour notre club. Le marketing direct, la représentation, les média, la billetterie, la production graphique, l’administratif, la communication digitale et j’en passe, tout doit se professionnaliser en seulement quelques semaines. C’est un exercice extrêmement difficile pour une association, il faut aller à l’essentiel. » (M. Aimar, communication personnelle, 25 février 2022)

8Cet échange nous révèle une stratégie de gestion des besoins numériques et nous remarquons qu’ils sont pondérés par des décisions externes afin d’émettre une démarche de priorisation de l’innovation (Benoit-Cervantes, 2017).

9La démarche stratégique de la communication digitale, qui à ce stade ne semble être qu’une réaction opérationnelle due à l’évolution soudaine, est une composante de l’activité de l’association, du marketing, de la promotion commerciale, de l’affluence ; c’est à dire qu’elle interagit avec de multiples axes du développement. Dans les semaines qui composent l’intersaison de notre club témoin, on observe qu’au cours de cette course à « l’essentiel », la communication digitale, incluant réseaux sociaux, n’a que très peu de poids face à l’importance du développement d’un système de billetterie pour accueillir de nouveaux spectateurs, ou encore face aux besoins de la filière marketing qui élabore des stratégies financières très concrètes en commercialisant pour des milliers d’euros, l’avant d’un maillot ou l’affichage promotionnel dans le stade. Ces éléments laissent présager le fait que la communication est relayée en arrière-plan, et se voit davantage considérée comme un « bonus », une action réalisée si l’agenda le permet. Ainsi, elle a tendance à être sous-traitée, sous-estimée ou mal réalisée ce qui nous pousse à nous interroger sur la pertinence de communiquer lorsqu’un minimum de qualité n’est pas assuré. Au contraire, lorsqu’on l’inclut dans le processus d’innovation, elle possède un rôle support pour toutes ces activités et se fait ainsi relais médiatique lors de l’annonce d’un partenariat, ou portail d’accès aux données socio-démographiques qui nourriront les campagnes stratégiques de la billetterie par exemple. Son intérêt est donc double : d’une part elle œuvre à la promotion de l’activité et la diffusion des messages et de l’autre elle devient levier d’innovation pour d’autres axes de développement. Dès lors, dans l’innovation numérique associée au développement de l’association sportive, la communication digitale occupe une place paradoxale entre son aspect non-prioritaire et le support qu’elle apporte aux autres secteurs.

10La priorisation de l’innovation dans le développement en raison des contraintes temporelles, est l’un des facteurs responsable de l’usage polymorphe de la communication digitale d’une association sportive. L’affectation partielle d’un rôle de créateur digital ou de « communicant » est une démarche fréquente dans la gestion des ressources humaines par les structures qui recherchent le meilleur fonctionnement disponible mais également le moins coûteux. Bien souvent, la solution apportée par les dirigeants est de répartir la compétence entre des profils aux rôles multiples tels qu’un jeune chargé de projets marketing avec des brèves notions en communication ou un sportif espoir de l’association avec une volonté et une aisance d’utilisation des réseaux sociaux acquises par le biais de son usage personnel. Il s’agit d’une attribution de missions qui ne dépasse guère le statut de la déduction et du ressenti des dirigeants mais qui n’encourage pas l’exploitation optimale de ces dispositifs.

11Lors de l’évolution sportive, c’est tout le système de direction de l’association qui se complexifie et doit désormais assumer un rôle similaire à celui d’une entreprise afin de répartir les missions et les objectifs tout en tenant compte des profils très variés qui la composent.

Identifier la dualité bénévoles – salariés et modérer le développement

12La dualité bénévole - salarié est un terme auquel nous faisons référence de par notre expérience dans le milieu associatif et nos nombreux échanges avec des dirigeants d’associations sportives ayant exercé ces deux positions des années 1990 à nos jours. Cette dualité symbolise l’indépendance et la coexistence de ces deux fonctions essentielles à l’organisation des associations sportives contemporaines et porte notre recherche vers la sociologie des organisations tout en les considérant à la croisée entre l’entreprise et l’association.

Des structures affinitaires

13Nous l’avons présenté en amont, les technologies de l’information et de la communication agissent en qualité de support pour les associations sportives, tout comme elles sont des leviers très appréciés par les entreprises actuelles. Une différence est cependant notable, les TICs n’occupent que rarement une branche complète de l’association sportive alors que des services complets dédiés à la communication sont observables en entreprise. Il n’est pas rare d’observer que les tâches liées à l’informatique, le web, la communication, soient attribuées à des collaborateurs bénévoles qui possèdent un métier extra associatif dans ce domaine ou à des salariés avec des compétences transverses. Au-delà de la compétence, l’âge est devenu un critère d’attribution de ces tâches numériques et de nos jours, le jeune qui s’engage dans l’associatif sportif se verra plus probablement attribuer la gestion des réseaux sociaux que le suivi des compétitions. Cette « structuration affinitaire et informelle » (Cottin-Marx, 2020) intervient en premier lieu dans les associations qui, lors de leur création, construisent autour des moyens directement disponibles et intégreront par la suite des salariés pour accompagner le développement de l’entité au gré des problématiques rencontrées (Dussuet et Flahault, 2010).

14Pour revenir sur le cas de notre association sportive, qui voit son équipe première promue au niveau supérieur suite à de bons résultats, elle doit faire face à un nouveau « cahier des charges » implicite ou exprimé clairement par la fédération, et décide d’incorporer des salariés à l’association car le fonctionnement bénévole n’est plus suffisant. Les besoins en termes de temps dédié, de compétences spécifiques, deviennent significativement plus forts et la professionnalisation de l’association est incontournable. Cette évolution va conduire à ce qu’Hély (2004) nomme les « entreprises associatives ». Le recrutement de salariés va se combiner aux besoins exposés dans notre première partie et portera principalement sur des profils non-dirigeants, des chargés de marketing, de billetterie et de communication qui seront sous la direction actuelle de l’association. Considérant qu’en France, 90% du paysage associatif sportif est dirigé par des bénévoles Hély (2015) dont 41% d’entre eux sont âgés de plus de 65 ans (Tchernonog V., Prouteau L. 2019), nous observons un premier facteur limitant dans le processus d’innovation numérique.

Tensions et confusions managériales

15En parallèle de cette relation entre dirigeants bénévoles et nouveaux salariés, une seconde limite est identifiable : les nouveaux salariés viennent endosser des missions anciennement exercées par des volontaires. Cette collaboration des statuts entraîne une « bénévolisation du travail » (Simonet, 2010) car il est jugé normal qu’un salarié soit présent et actif lorsqu’un bénévole l’est, et même lorsque cela dépasse le cadre légal de son contrat de travail. Si un bénévole avait coutume de se présenter les week-ends afin de communiquer sur les compétitions des jeunes catégories de l’association, le salarié en communication ressentira très vite qu’il serait souhaitable d’en faire autant, même si ses missions ne portent que sur l’équipe professionnelle. La bénévolisation du travail laisse sous-entendre qu’une personne salariée pour une mission se doit de remplir les tâches que le bénévole remplissait avant son arrivée, même s’il n’y a aucune raison légitime à cela. De plus, l’insertion d’un salarié dans l’association peut provoquer un désengagement des bénévoles, qui ne souhaitent plus s’impliquer autant puisqu’une personne est désormais salariée pour les missions qu’ils menaient bénévolement auparavant. D’une démarche de recrutement supposée accélérer l’évolution de la structure, l’association se retrouve, dès lors, dans une situation humaine délicate. Si les tensions n’apparaissent pas toujours significativement, la gestion humaine se complexifie indéniablement pour les managers et dirigeants en charge du développement de l’association. Cette dualité bénévole - salarié induit une pression et trouble les systèmes de direction. Pour apaiser ces tensions et les prises de décisions compliquées, Mignon (1998) souligne le fait que les dirigeants reportent les responsabilités vers les actionnaires, les sponsors et autres engagements de fonds afin de faire valoir une position de proximité avec les salariés et les bénévoles en donnant l’impression d’être dans le « même bateau ».

16La professionnalisation d’une structure associative, via le prisme de l’accès au sport professionnel, est une démarche complexe car les besoins en termes de finances, de ressources humaines et de compétences se font ressentir simultanément. Malgré l’interdépendance de ces domaines dans l’innovation, la temporalité accordée à l’évolution entraîne des choix stratégiques et des conflits. Cependant, ces associations sportives possèdent des valeurs qui leurs sont propres. Rejoindre le développement d’une telle structure, c’est adhérer à une identité collective et un projet humain qui admet un dépassement des coutumes salariales, mais cela permet-il d’accorder une place cohérente à l’innovation ?

Innover, une démarche conscientisée

17Pendant son développement, l’association sportive accroît ses besoins humains et techniques. Lorsque cette phase d’évolution est condensée dans une très courte durée, comme une intersaison, l’ensemble des nouvelles ambitions s’opposent aux traditions, au vécu de la structure et cela constitue un sujet d’analyse de la place dédiée à l’innovation numérique et plus précisément encore, de la communication digitale.

18Dans la continuité de notre travail, notre raisonnement sur ce club nécessitant une structuration rapide suite à son accession à un niveau supérieur se poursuit. Nous abordons la question de la démarche d’innovation face aux priorités financières et aux désirs de visibilité immédiate. Dans la mouvance soudaine, les systèmes de direction ne sont pas toujours identifiés. Entre la présidence bénévole qui garde son pouvoir, les nouveaux actionnaires qui souhaitent que l’association colle à leur vision, la gestion des ressources humaines et techniques reste vague et toutes les branches d’activités sont impactées. Le début d’une nouvelle saison sportive arrivant, les profils en charge de la communication digitale se doivent d’être prêts à créer des campagnes innovantes pour répondre aux besoins de l’équipe marketing, sensibiliser les supporters et surtout préparer une communication dense tout au long de la saison.

19Conforté par un contexte d’accessibilité élevée à l’ensemble des dispositifs numériques, la direction de l’association sportive va très rapidement souhaiter acquérir une visibilité digitale auprès des personnes en charge de la communication. Elle n'imposera pas pour autant de norme de qualité des annonces, et ne se souciera probablement que de la fréquence de ces dernières, réduisant ainsi une démarche initialement rigoureuse au minimum. Lorsque l’importance est injustement placée et la priorité semble être de « communiquer pour communiquer », le processus de création se heurte à une dégradation car il est réduit à une simple formalité, une tâche à cocher sur le cahier des charges. Cette banalisation des tâches se fait ressentir pour les missions de communication digitale qui ne semblent pas apporter d’éléments tangibles tels que des fonds directs, des partenaires ou des supporters dans le stade.

20L’innovation est une démarche qui se saisit d’un contexte concurrentiel, de ce que font les autres associations, les autres clubs, afin de créer un produit attractif auprès d’une communauté. Ce processus de création nécessite une analyse détaillée et ne peut pas être limité et réduit à des opérations superficielles. Le salarié en charge de cette création se doit de regrouper les consignes dictées par les besoins de l’organisation et les outils mis à sa disposition afin de produire un élément abouti qui donnera satisfaction à la direction et à lui-même.

21Dans notre club témoin, considérant sa structure humaine et la répartition des tâches entre bénévoles et salariés, la place dédiée à la création dans l’innovation numérique paraît d’autant plus abstraite. Si l’on positionne cette situation dans la matrice de Proulx (2001) afin d’exprimer l’appropriation de l’usage de la communication digitale par la structure, on remarque qu’au-delà de l’accès à l’objet, soit la première des trois étapes, rien n’est défini. L’utilisation de la communication numérique intervient en réaction. En tant que dispositif très utilisé par la société et pris en main par la concurrence il paraît primordial de s’y adonner. L’usage n’est que réactif et sans projet réel pour le moment car les besoins n’apparaissent que dans un second temps. L’appropriation de ces dispositifs ne dépasse guère le souhait d’un usage et le début d’une utilisation hasardeuse dictée par les attentes de la direction. Cette perspective volontairement critique n’empêche ne s’oppose pas au fait qu’une ou plusieurs communications puissent être performantes à un moment du développement de l’association sportive. Cependant, la volonté de cet article est d’esquisser la place de l’innovation numérique dans nos clubs sportifs français ; et notre posture, associée à l’analyse précédente des besoins et des ressources, nous permet d’en exprimer certaines limites.

22Observer cette course à la visibilité et au profit, dissimulée derrière le terme d’innovation, nous conduit à questionner le rôle humain dans ce processus et la place accordée à cette dimension par les associations sportives. À l’heure de l’intelligence artificielle, des algorithmes et de l’automatisation, tout paraît pensé pour nous simplifier la vie et notre évolution. Compte tenu des éléments évoqués précédemment, nous prenons cette idéologie à contre-pied en nous appuyant sur les travaux de Pélissier et Oliveri (2019). Sous l’accent de la prévention, leurs recherches portent sur les « risques technosociaux » (RTS) engendrés par la pression exercée par les organisations et leur vision des dispositifs numériques. Ces chercheurs mettent en évidence les discours technophiles des organisations, le phénomène de valorisation des individus hyperconnectés – capables de travailler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit – alors que la structure elle-même n'est pas apte à accueillir les usages professionnels de ces dispositifs de communication digitale. Le « bricolage » (Levi-Strauss, 1962) opéré par le club sportif dans son développement express et soudain favorisera l’apparition de ces RTS, de la désillusion, du détachement et la perte de repères des collaborateurs. Tant de risques nuisibles à la continuité du projet de l’association qui bien souvent se veut fédérateur et proche des valeurs humaines du sport.

23Innover en communication digitale est une démarche complexe qui se base sur toutes les composantes de l’association sportive et pas seulement sur la recherche de résultats. Une prise de conscience est à faire valoir auprès des systèmes de direction pour qu’ils s’assurent de l’environnement sociotechnique de l’innovation afin de préserver l’humain et garantir la pérennité de leur projet.

Conclusion

24Le déroulé proposé dans cet article ne prétend pas s’approprier le fonctionnement de l’ensemble des associations sportives françaises car il n’est pas question ici de définir un panorama global de leur relation avec les TICs. L’approche qui est la nôtre vise toutefois à mettre en lumière la complexité de l’innovation numérique pour ces organismes présentant des histoires, des valeurs et des ambitions parfois divergentes.

25À l’heure où le sport français entre sur la scène internationale et où les sollicitations des politiques publiques vont alimenter de nouvelles ambitions pour les associations sportives, nous proposons ce raisonnement comme une base de conscientisation des facteurs techniques et humains de l’innovation au sein de ces structures. Que ce soit en amont des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ou lors d’intersaisons successives, cette prise de conscience doit s’opérer sur la perception du temps et sur la dimension humaine des stratégies d’innovation qui sont l’essence du fonctionnement des associations sportives et leur principal levier de développement.

26« Prenez le temps d’aller vite », cet oxymore, emprunté à la SNCF lors de l’arrivée du TGV dans les années 2000, pourrait symboliser l’analyse méticuleuse nécessaire des ressources à disposition et le développement des associations sportives. Dans une logique visant à favoriser l’évolution et l’innovation au sein des associations sportives face aux risques techniques et humains, nous apprécions l’importance accordée au temps dans ce slogan. Bien que les contextes concurrentiels et sociétaux semblent toujours imposer la précipitation des démarches d’embauche, de création et de diffusion des messages, les dirigeants se doivent de soumettre les usages et les ambitions liés au numérique à une régulation s’ils souhaitent assurer la qualité et la continuité de leurs activités.

27En transposant le concept de sobriété numérique (GreenIT, 2008) qui traite des usages du numérique et de leur impact environnemental vers la relation entre l’humain et le digital, nous pourrions en imaginer un schéma d’appropriation face aux discours technophiles des organisations.

Bibliographie

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Dussuet A., Flahault É. (2010), « Entre professionnalisation et salarisation, quelle reconnaissance du travail dans le monde associatif ? », Formation Emploi, n° 111, p. 35-50, https://www.cairn.info/revue-formation-emploi- 2010-3-page-35.htm.

GreenIT.fr, 2008 https://www.greenit.fr

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Mignon J.-M. (1998), La lente naissance d’une profession : les animateurs de 1944 à 1988, Thèse de doctorat d’histoire contemporaine, Université Michel-de- Montaigne Bordeaux 3, http://www.theses.fr/1998BOR30002.

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Proulx, S. (2001). Les formes d’appropriation d’une culture numérique comme enjeu d’une société du savoir. Colloque Gouvernance et usages d’internet : vers un nouvel environnement normatif ? Université du Québec à Montréal.

Simonet M. (2010), Le travail bénévole : engagement citoyen ou travail gratuit ?, Paris, La Dispute.

Tchernonog V., Prouteau L. (2019), Le paysage associatif français : mesures et évolutions, Paris, Dalloz.

Pour citer ce document

Etienne Fiacre, «L’innovation digitale à l’épreuve du management de l’association sportive en développement. L’exemple d’un club de rugby professionnel», French Journal For Media Research [en ligne], Browse this journal/Dans cette revue, 17/2022 Médiations culturelles et marchandes : des liaisons numériques dangereuses ?, Articles, mis à jour le : 20/07/2022, URL : http://frenchjournalformediaresearch.com/lodel-1.0/main/index.php?id=2223.

Quelques mots à propos de :  Etienne Fiacre

Etienne Fiacre

Doctorant

Université Côte d’Azur, SIC.Lab Méditerranée, Nice, France

etienne.fiacre@etu.univ-cotedazur.fr

 

 

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