Henri Assogba (2020), Journalismes spécialisés à l'ère numérique, Presses de l'Université Laval, 270 p.
1L’ouvrage collectif Journalismes spécialisés à l’ère numérique conduit sous la direction de Henri Assogba se penche sur le journalisme, dans une vision multiple de la pratique professionnelle. L’ouvrage, issu d’un colloque dans lequel ont collaboré une quinzaine d’enseignants-chercheurs spécialisés en journalisme, propose une réflexion sur la spécialisation de la pratique d’un journalisme numérique au sein d’un environnement pluriel, multi-plateformes et évolutif : la révolution numérique a modifié la réalité économique des entreprises de presse, et par incidence, la profession même liée au journalisme, faisant du reporter le gardien d’un savoir et d’une pratique fortement polyvalente, en pleine mutation. L'ouvrage développe l’idée, dans ses douze chapitres, de l’émergence de différentes problématiques qui viennent impacter les étudiants et les professionnels du journalisme débutant leur carrière. Le journaliste apparait comme le professionnel de l’information au sein d’un environnement de contestation : il est décrié alors même que le journalisme n’est pas unique, traversé par différentes pratiques professionnelles. La théorie d’une dualité est ainsi soulignée, entre le professionnel généraliste et le journaliste numérique hyperspécialisé.
2H. Assogba, dans son propos introductif, rappelle l’état des lieux de la production scientifique sur le journalisme spécialisé à l’ère du numérique et les enjeux liés aux spécialisations. Il expose une vision tripartite, à savoir des spécialisations qui sont au choix fonctionnelles, thématiques ou géographiques. Le collectif est alors appelé à partager leurs réflexions développées autour de ces trois propositions initiales.
3Dans le premier développement, Bertrand Labasse s’interroge sur la fragmentation médiatique : celle des pratiques journalistiques, mais également celle des différents publics, une réalité double qui pourrait faire évoluer le journalisme vers un équilibre nouveau, entre un cœur du métier commun à toute la profession et une spécialisation individuelle, propre à chaque professionnel.
4Un premier bloc de chapitres présente l’émergence de nouvelles pratiques pour la relève journalistique : étudiants et jeunes journalistes ont, dans leur formation, la possibilité de se former différemment, pouvant s’appuyer notamment sur les évolutions technologiques, incorporées à leur formation. Amandine Degand met en relation l’arrivée des étudiants en journalisme, futurs professionnels, au sein de rédactions dans le cadre de stages, avec la nécessite de polyvalence et d’une grande connaissance du numérique et des réseaux sociaux. Simon Gadras et Annelise Touboul s’interrogent eux sur la possibilité pour les étudiants, dans leurs études, de se spécialiser, mettant en avant l’idée selon laquelle les élèves ne se seraient pas majoritairement spécialisés, la faute à leur faible appropriation des spécifications offertes. Anne-Sophie Gobeil développe une idée semblable dans le cadre d’une étude de cas qui s’interroge sur la gestion des réseaux sociaux comme spécialisation journalistique ou comme apport d’une autre profession de la communication publique.
5Un second ensemble de chapitres s’interroge sur la spécialisation journalistique : l’étude de cas de Pascal Ricaud propose une vision nuancée, celle d’une profession de moins en moins spécialisée dans la diffusion de l’information, car désormais multiple, tout en proposant la vision d’une pratique polyvalente avec une spécialisation a minima. Dans le cadre d’une étude sur la spécialisation journalistique, Paula de Souza Paes met en lumière l’évolution de la spécialisation thématique, et ce, dans le cadre de la couverture médiatique de l’immigration et la réalité d’une pratique journalistique possédant ses propres pratiques et sa stratégie dédiée. Il est question d’une spécialisation spatiale dans le travail mené par l’équipe de Lara van Dievoet, qui se penche sur le journalisme local et la couverture médiatique qui y est liée, à savoir l’évolution mesurée du passage vers le numérique pour des médias locaux dans la Belgique francophone. L’étude de cas menée au Burkina Faso par Lassané Yaméogo reprend la même théorie sur la place du numérique dans les médias, à savoir une vision du numérique comme polyvalence technique plutôt que comme une hyperspécialisation. Cette hyperspécialisation est étudiée par Rayya Roumanos dans le cadre du journalisme de données, développant l’idée que l’hyperspécialisation du journaliste coupe le professionnel de l’opinion publique.
6Enfin, un ensemble de plusieurs articles proposent une plongé dans le monde médiatique évolutif, entre innovation et assimilation de la réalité contemporaine dans lequel doivent évoluer les entreprises de presse et les journalistes. Thierry Watine et Julie Gramaccia proposent une vision autour du « journalisme artificiel », pratique en développement qui interroge sur la place de l’intelligence artificielle au sein des rédactions et l’influence que cette dernière va avoir sur la pratique journalistique. Le journaliste, l’humain, se retrouve confronté à l’intelligence artificielle, devant apprendre à travailler avec cette nouvelle technologie. Le collectif mené par Marie-Ève Carignan propose d’appréhender la pratique professionnelle au sein d’un marketing évolutif, entre publicité native et marketing de contenu, désormais courant dans les médias. L’analyse est englobante, avec une plongée dans l’évolutions des pratiques, de la vision professionnelle du journaliste ou son rapport à l’intérêt public.
7Le chapitre conclusif de Thomas Kent s’éloigne de la seule étude scientifique, proposant une analyse nuancée qui oscille entre obligation journalistique de recherche de vérité et utilisation du fact checking comme base de pratique professionnelle. Kent propose une introspection sur le présent et le devenir du journalisme tel qu’il est aujourd’hui étudié et pratiqué.
8La force de cet ouvrage réside avant tout dans la nature même du collectif mené par H. Assogba, fort de parcours et de visions multiples de professionnels établis dans le monde entier. Des visions qui viennent nourrir une réflexion plurielle qui s’inscrit dans la modernité et la mise en lumière de thématiques essentielles dans la réalité de la recherche scientifique dédiée au journalisme. Mais cette envie de coller à la contemporanéité évolue en faiblesse : un sujet tellement évolutif que le numérique amène une impression d’une pensée théorique déjà en retard sur les enjeux de découverte du numérique par les médias. De plus, certains articles apparaissent au final trop courts, manquant de développements qui auraient été les bienvenus, à l’image de l’article sur l’intelligence artificielle : l’approche conceptuelle, inédite, aurait mérité un développement supplémentaire. Pour l’article proposé par l’équipe de Marie-Eve Carignan, un développement sur la conceptualisation de la reconstruction de la sphère communicationnelle dans le milieu numérique, avec une place nouvelle dans les échanges entre les acteurs que sont les médias, les institutions et l’opinion publique, aurait été bienvenu.
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