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Médias : acteurs clés pour une compréhension interculturelle. Introduction
Texte intégral
1Fin juin 2019, en plein conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis, le monde médiatique a les yeux rivés sur un débat diffusé en direct et en prime time sur Fox entre Liu Xin, présentatrice de CGTN (China Global Television Network) et Trish Regan, animatrice de la Fox Business Network. Une première sans précédent dans son genre. Aux yeux de spécialistes de médias et de relation internationale, l'affrontement des deux journalistes vedettes n'est certainement plus un débat à caractère journalistique. Liu Xin et Trish Regan s'invitent déjà, d'une manière plus ou moins, au conflit sino-américain bien que toutes les deux aient déclaré ne pas représenter le Parti communiste chinois pour la Chinoise et ne pas plaider en faveur de l'administration Trump pour l'Américaine. L’affrontement inédit ravive le débat sur le rôle des médias dans le conflit international.
2En effet, dans notre société contemporaine, les médias jouent un rôle important voire « éminent » (Mercier, 2012). Ils constituent un espace public en « entretenant un lien social minimal entre des individus » (Balle, 2012). Dans une démocratie, les médias sont même considérés comme le quatrième pouvoir pour servir de contre-pouvoir indispensable face aux trois instances de l’Etat : le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire en protégeant l'intérêt général (Balle, 2012). Classiquement, les médias sont supposés influencer l'opinion. Le pouvoir des médias dans la société est toujours un sujet de débat incessant au sein du milieu universitaire. Dans son article « Les vrais pouvoirs des médias » (2014), Erik Neveu a indiqué en résumé trois types de pouvoir et d'influence généralement attribués aux médias : définir, persuader et formater. Selon l’auteur, le pouvoir de définir est susceptible de s’interpréter par la force des médias susceptibles de fixer un ordre du jour social ; le pouvoir de persuader peut se traduire par la capacité des médias dans la manipulation voire la déformation de l’information pour créer un effet de masse ; et le pouvoir de formater signifie la capacité de médias à affecter les modes de pensée du public (Neveu, 2014).
3Des chercheurs prolongent le débat sur le pouvoir et l’influence des médias dans le domaine des relations internationales (Tudesq, 1997, 2010, 2013). Ils jugent que « le rôle d’acteur des médias dans la vie internationale apparaît comme une évidence » (Tudesq, 1997). Ces chercheurs considèrent que les médias et journalistes ne sont plus qu’un simple témoin de la vie internationale. En revanche, ils en sont devenus un acteur, voire jouent un rôle clé dans certains cas (Tudesq, 1997). L’ouvrage sous la direction d’André-Jean Tudesq indique que « les médias peuvent s’apprécier comme acteurs de la vie internationale sous deux aspects : - dans l’influence que des événements survenus à l’étranger exercent à l’intérieur de pays […] ; dans la pression de l’opinion publique mobilisée par les médias sur la politique extérieure de leur gouvernement. » (Tudesq, 1997).
4Une autre approche américaine s’intéresse particulièrement à la maîtrise des flux d’information au niveau international. Contraire à une force militaire ou économique, la notion de soft power forgée par Joseph S. Nye, politologue américain, met l'accent sur une puissance d'influence vis-à-vis d'autre(s). Une telle puissance dépend du « rayonnement de sa culture, de son idéologie et de sa valeur de société » (Nye, 1990). Considérée comme « armes » de soft power, les médias internationaux ont vocation pour les flux d’information au niveau international d'exercer des influences sur l'opinion publique mais aussi de jouer un rôle de « passeurs culturels » dans les « transferts cultuels » d’un espace géographique à l’autre (Delporte et Vallotton, 2013).
5A l’ère d’Internet et du numérique, les informations sont omniprésentes dans le monde virtuel. En offrant un nouvel ‘‘espace pour l’information’’, ces plateformes d’Internet « contribueraient […] à la diffusion internationale des nouvelles » (Mattelart, 2014). Considérés comme de « nouveaux acteurs de la couverture de l’actualité étrangère », les bridgeblogs « franchissent la barrière de langue et de culture ainsi que les frontières de pays pour réaliser une communication interpersonnelle » (Mattelart, 2014).
6Nous nous intéressons à la contribution des acteurs médiatiques (tant médias traditionnels que bridgeblogs) qui font circuler l'information à l'échelle internationale où les échanges entre cultures différentes favorisent une meilleure compréhension mutuelle entre les peuples du monde. Agissant en quelque sorte comme « un pont », ces médias constituent des acteurs clés dans ce processus de médiation culturelle transnationale.
7C’est pourquoi nous proposons ce numéro thématique pour raviver à nouveau le rôle de médias dans un monde en conflit permanent tant militaire que commercial et en débattre. Les questions principales que nous posons sont :
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Quel rôle les médias jouent-ils dans des conflits internationaux à l'ère du XXIème siècle ?
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Comment les médias contribuent-ils à faire circuler des informations internationales dans un contexte de mondialisation, qui permet des échanges favorisant une compréhension mutuelle entre des cultures différentes ?
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Quelle est la représentation des autres dans les médias, et pourquoi ?
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Comment les médias d'immigrés s'invitent-ils au processus de médiation culturelle transnationale ?
8L’article de Sawsan Atallah Bidart et Catherine Pascal porte un sujet sur la représentation des cultures par les médias internationaux auprès d’un public international mais aussi sur une compréhension interculturelle. Les deux auteurs ont réalisé une étude quantitative et qualitative des reportages audiovisuels couvrant les histoires des événements du soulèvement syrien et ses conséquences entre 2011 et 2014, respectivement produits par quatre chaînes TV (deux chaînes occidentales : Euronews et France 24 et deux autres portant des voix orientaux : Al Jazeera et Press TV). L’article a souligné l’importance de la compréhension et de l’adaptation culturelles au niveau international. Il ne manque pas de révéler une nouvelle fois des influences hégémoniques et géopolitiques des médias occidentaux dans le processus de circulation des informations au niveau international
9A part l’article sur la représentation de la Syrie dans des médias internationaux, tous les autres textes concernent soit la Chine soit les Chinois(es), dont la plupart se focalise sur les réseaux sociaux, Wechat par exemple.
10L’article de Marion Douillard aborde un sujet sur l’hybridité culturelle dans un contexte de globalisation. Sa recherche s’intéresse au mélange culturel que la mondialisation diffuse à travers les médias, et donc, par extension à la compréhension entre les cultures. Afin d’approfondir cette question, la recherche étudie les interactions entre la culture globale, très souvent associée à la culture occidentale, et la culture locale chinoise dans les publicités en Chine. Le but de cette recherche est de comprendre, si, et sous quelles formes la compréhension entre les cultures et plus précisément l’hybridité culturelle peut se manifester dans les productions publicitaires en Chine. L’article fait une analyse comparative de 281 publicités locales et internationales, afin de définir les formes observables du mélange culturel, ainsi que les éléments et agencements constitutifs de trois registres discursifs publicitaires du mélange culturel en Chine : (1) registre discursif de l’imitation et appropriation, (2) registre discursif de l’accommodation et négociation, (3) registre discursif du mélange, syncrétisme et hybridité.
11L’article de SHI Anbin et DAI Runtao ont rejoint des analyses sur l’événement de débat très médiatisé de LIU Xin et Trish Regan sur la chaîne américaine FOX, qui a suscité un vif intérêt dans l’opinion publique au niveau international. Ils se sont pourtant penchés sur les feed-backs publics recueillis sur la plateforme officielle de Twitter (50, 654 Tweets en anglais collectés du 9 mai au 14 juin 2019). L’étude démontre que LIU Xin a fait preuve d’un certain nombre de caractéristiques universellement reconnues au cours du débat. Sa maîtrise de l’anglais, son courage et son audace ont fait une bonne impression aux spectateurs occidentaux ayant des jugements souvent fondés sur des stéréotypes. Ses problèmes ethniques et ses discours plutôt radicaux sur la plateforme des médias sociaux sont devenus son talon d’Achille pour défendre la Chine. A travers l’étude de l’effet du débat, les auteurs voulaient donner une nouvelle orientation à l’élaboration de la stratégie de communication internationale de la Chine.
12L’article de WANG Runze et XU Cheng se concentre sur le rôle que jouent les écrivains immigrés chinois dans la communication interculturelle. Les auteurs ont réalisé des analyses textuelles mais aussi qualitatives des œuvres de nouvelles générations d’écrivains d’origine chinoise à l’étranger comme David Henry Hwang et Ha Jin aux Etats-Unis. Ils observent que cette génération d’écrivains immigrés chinois ont un style d’écriture différent de celui de leurs aînés : ils portent généralement le souvenir de la vie collective du continent et maintiennent une attitude controversée à l’égard de leur patrie et leur pays d’accueil. Les œuvres des immigrés chinois de la nouvelle génération reflètent pleinement la vie collective. Leur style d’écriture adopte une approche narrative plus individualisée et contribue également à dépasser le discours purement individualisé ou l’expression collectiviste. Selon les auteurs, l’écriture interculturelle des immigrés chinois produit un effet de « pont » qui peut aller au-delà du discours strictement individuel ou collectif.
13L’article de Marlène LOICQ s’intéresse à l’éducation interculturelle aux médias. Selon l’auteure, les médias sont des agents complexes d’organisation de la vie sociale et culturelle car ils disposent d’une forte dimension symbolique qui, au-delà de leur aspect technique, est contextualisée et évolutive dans le temps en fonction des groupes sociaux qui les mobilisent. Ils sont alors un espace de construction et de circulation de culture(s). En tant qu’extension sociale des individus et des groupes, ils sont initiateurs de situations empruntes d’interculturalité. Étant un fait plutôt qu’une capacité, celle-ci peut être mobilisée dans le cadre éducatif pour se transformer en une réelle compétence interculturelle. Les médias, en tant qu’acteurs de cette rencontre sont donc porteurs d’un fort potentiel interculturel. L’éducation aux médias se présente alors comme espace favorisant l’approche interculturelle des médias à partir des questions de communication, de citoyenneté, de signification et d’identité.
14En se basant sur le cadre conceptuel de la diaspora digitale, l’article de CHANG Jiang et CHEN Yali emploie les méthodes qualitatives des entretiens semi-directifs et des observations en ligne pour découvrir et discuter des motivations, des objectifs, des stratégies et des résultats de l’utilisation de WeChat, une des plateformes de réseaux sociaux les plus utilisées en Chine par les immigrées chinoises en Suisse. L’objectif vise à comprendre le rôle joué par les médias sociaux dans la reconstruction de l’identité et la réidentification culturelles des femmes migrantes. L’article démontre trois modèles d’utilisation de WeChat par les femmes chinoises en Suisse sur la co-présence virtuelle entre le pays d’origine, et la société d’accueil, l’exposition de soi, l’identification culturelle et le développement de l’E-commerce féminin. Il explique comment ces femmes utilisent les avantages technologiques de WeChat pour articuler les identités culturelles et les capitales culturelles en négociation avec leur patrimoine culturel d’origine, et comment elles problématisent leur façon de lutter pour l’égalité sociale dans la société d’accueil avec une approche individualiste et émotionnelle.
15L’article de WANG Peinan propose une analyse comparative de discours des reportages africains diffusés du 01 janvier au 31 mars 2019 sur les comptes Twitte de CNN et de CGTN. L’analyse de l’auteur révèle une différence de cadrage des reportages entre deux géantes chaînes d’informations internationales. En termes de nation visibility, CNN s’intéresse plus à des pays africains qui ont des relations commerciale et économique étroites avec les Etats-Unis. CGTN se focalise pourtant plus sur la dynamique sociale en Afrique que sur des intérêts économiques entre la Chine et certains pays africains. En ce qui concerne le cadrage des reportages, la chaîne américaine présente souvent des success stories des individus dans un contexte de troubles, de conflits et pauvreté. Et la chaîne nationale chinoise monte davantage du progrès et du développement du continent africain.
16Le texte de ZHANG Yuan et CHENG Sa présente une étude des interactions interpersonnelles et les modes de diffusion de l'information d'un groupe de minorité ethnique sur Wechat, un réseau social numérique en Chine. Les analyses des interviews de 20 activistes du groupe et le suivi de leurs interactions via Wechat durant 2 années permettent aux auteurs de découvrir que les relations entre les membres du groupe ont évolué en 2 ans d’une manière faible à une manière étroite. Grâce aux relations sociales et à l'accumulation de capital social, les réseaux sociaux contribuent au renforcement de la relation entre les membres du groupe et favorisent la réalisation de leur identité nationale.
17Les contributions présentées dans ce numéro venant de différents horizons ont pour l’objectif d’apporter des éclairages sur le thème « Médias : acteurs clés pour une compréhension interculturelle » sous différents aspects : représentation, réception du côté public, hybridé culturelle, éducation interculturelle, littérature d’immigrés voire diaspora digitale...
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