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La construction de l’ethos des femmes politiques sur les pages Facebook en campagne électorale. Le cas des élections locales roumaines de 2016
Résumé
Vu que le genre est devenu l’un des premiers ‘langages du politique’ il nous semble crucial d’analyser la présence, les rôles, les responsabilités, ainsi que la représentation des personnalités politiques féminines, leur ethos (textuel et iconique sur les réseaux sociaux, ainsi que la dynamique du clivage genré dans la mise en discours et la mise en visibilité.Le principal objectif de recherche vise la question de Nancy Fraser concernant la légitimité des femmes (légitimité d’identité et de statut) dans la nouvelle sphère publique digitale à même de construire leur visibilité et reconnaissance.
Table of content
Full text
introduction
1À partir de la dernière décennie du siècle passé, deux révolutions profondes marquent la société globale : la révolution du genre (Froideveaux-Metterie, 2015 ; Macé, 2015) et la révolution numérique (Jenkins, 2006 ; Proulx, Poissant et Sénécal, 2006 ; Cardon, 2010, 2012 ; Flichy, 2010, Castells, 2001, Proulx, Garcia et Heaton 2014) dans le contexte du monde globalisé. La première révolution implique la sortie du cône d’ombre de la moitié de l’humanité (Gilles Lipovetsky 1997).La deuxième révolution apporte la démocratisation de l’accès à Internet, l’appropriation massive des nouvelles technologies de communication, l’apparition de nouveaux acteurs dans l’espace public à la recherche d’une visibilité immédiate.
2Le Web, grâce à son orientation vers l’interaction et l’exposition de soi (Papacharissi 2011, Cardon, 2010 ; Allard, 2008), a créé les conditions favorables pour le dialogue, le partage d’informations , des formes nouvelles de participation politique et de citoyenneté (Pélissier et Guaaybess, 2015 ), tandis que la présentation de soi actuelle - networkedself- (Papacharissi 2011) engage des formes nouvelles de visibilité et discursivité.
3Dans le contexte actuel des frontières liquides, d’hybridation des identités et de théâtralisation et privatisation du politique, les vies publiques et privées des femmes se redessinent, l’espace virtuel se recontextualise. La construction de l’identité digitale en tant que technique de production de soi avec son corollaire le tournant expressiviste (Allard 2008) demande une analyse du genre dans la double perspective du contenu disséminé ainsi que de la nature de la relation instituée. Il serait donc important d’analyser la présence, les rôles, les responsabilités, ainsi que la représentation des personnalités politiques féminines, leur visibilité (textuelle et iconique) sur les réseaux sociaux, ainsi que la dynamique du clivage genré dans la mise en discours et la mise en visibilité.
4L’individualisme institutionnalisé (Beck et Beck-Gernsheim, 2002) de la modernité réflexive ainsi que le networked individualism (Rainie & Wellman 2012) trouvent leurs cas de figure dans la privatisation du politique (Van Aelst, Sheafer et Stanyer, 2011), d’où l’intérêt d’étudier l’identité personnelle et sociale des actrices et acteurs politiques en corrélation avec l’utilisation des nouveaux instruments numériques d’expression et de connexion. Dans ce contexte, la perspective du genre (sous-jacente à l’économie, à la politique et à la vie quotidienne en général)) repositionne les rôles, les attentes et les représentations des femmes à travers des corrélations nouvelles entre les anciens et les nouveaux médias, la vie privée et la vie professionnelle, l’isolement et la mobilisation, etc.
5À l’heure de l’ego- politique en tant que « forme contemporaine de la personnalisation du pouvoir dans un contexte d’individualisation du social » (Le Bart, 2013 : 6)., de la perpétuelle production de soi et de la mise en visibilité, le triangle femmes/politique/réseaux sociaux numériques est susceptible de fournir des interrelations significatives dans la construction identitaire stratégique. Nous nous proposons de voir comment agissent stratégiquement les politiciennes roumaines sur Facebook et, pour cette raison, nous avons choisi de privilégier les actrices et leur usage du dispositif (page Facebook en l’occurrence) à l’interférence des stratégies identitaires et « d’usages stratégiques des technologies » (Mabi et Théviot, 2014 : 15).
6La réponse à la tyrannie de la visibilité (Aubert, Nicole & Haroche, Claudine 2011 ), autrement dit la mise en visibilité des politiciennes est fondée sur l’appropriation et la transformation du modèle masculin, caractérisé par le surinvestissement professionnel dans le discours de campagne des candidates roumaines, ainsi que sur la légitimité hétéro-attribuée (les femmes ont besoin de l’appui d’un collègue, d’un membre de la famille ou d’un groupe d’hommes).
7Dans la première partie du présent article, nous présentons les fondements théoriques et épistémologiques à l’appui de notre hypothèse concernant la (re)configuration de l’identité de genre à l’époque du Web 2.0 ; dans la deuxième partie, nous présentons brièvement les éléments du contexte postcommuniste roumain (de l’exclusion vers la réinsertion du féminin dans la politique) pour discuter dans une troisième partie les résultats empiriques de l’analyse visuelle sur Facebook des leaders politiques féminins lors des dernières élections locales (2016).
Facebook, communication politique et genre
8La nouvelle réalité est construite et décrite à partir des syntagmes tels “digital democracy”, “knowledge economy”, “ “ web collaboratif”, etc. Cette réalité renferme une multitude d’aspects : i) participation, affiliation, création de contenu, dialogue, sharing; ii) “démocratie digitale” centrée autour du partage et de l’interconnexion ( avec le monde global ) ; iii) culture participative.
9Zizi Papacharissi (2002) décrit l’émergence d’une “virtual sphere 2.0”, dans laquelle les citoyens participent en exprimant le désaccord avec l’agenda public à travers des blogues, ou des commentaires dans des groupes de discussion en ligne. Et ce nouvel espace public virtuel est basé sur l’explosion du « networked self » (Papacharissi 2011) visant les opportunités sociales pour « expression et connexion » (Papacharissi 2011 :317).
10Facebook le premier réseau de socialisation du monde avec 2,23 milliards d’utilisateurs actifs au niveau international (www.statista.comstatistics consulté le 2 septembre 2018) connait depuis cinq ans en Roumanie une croissance aussi spectaculaire qu’au monde entier. Facebrands.ro mentionne pour janvier 2017 le chiffre de 9.600.000 comptes Facebook en Roumanie (www.facebrands.ro.,consulté le 2 septembre 2018).
11Interpellés par cette explosion des plateformes numériques, les institutions, les partis politiques, les leaders mais aussi les gens ordinaires font constamment appel aux posts sur Facebook (dominant dans le paysage socio numérique roumain).Lors de la dernière campagne électorale présidentielle en Roumanie (2014), les politiciens connus (et soutenus par la formation politique), de même que les candidats indépendants (challengers) ont largement utilisé Facebook et la victoire de l’un des candidats au deuxième tour a été considéré un effet Facebook.
12On est témoin d’une reconfiguration fulgurante du politique: déplacement des pratiques politiques et des formes de politisation (voir « le printemps arabe », les protestations de Bucarest-aout 2018, les ‘gilets jaunes’ en France), transformation des discours (débats, conflits, polémiques etc.), des supports (blogs, réseaux sociaux , SMS etc.) et des genres discursifs.
13Facebook en tant qu’acteur principal dans la ‘révolution des réseaux socio- numériques’ constitue donc une plateforme interpellante, semi-privée et semi-publique (multiple identité, créativité éditoriale), susceptible de favoriser l’apparition d’une nouvelle grammaire de la conversation politique. Facebook contribue de manière significative à la libération de l’expression, a la’ démocratisation de la démocratie’, à la redéfinition de la citoyenneté en termes de mobilisation et participation.
14À l’origine un simple outil d’expression privé, Facebook est devenu un instrument important qui sert également à l’expression publique des organisations, des institutions, des partis politiques etc. Pour ce qui est de la communication politique, Facebook devient un instrument gratuit et performant pour déployer des stratégies novatrices de marketing politique: expressivisme, connectivité et mobilisation (Cardon 2012).
15Pour ce qui est de la communication politique dans les campagnes électorales, nous investiguons comment Facebook devient un instrument indispensable pour le marketing politique qui participe à la construction de l’ethos politique des candidat(e)s.
Facebook et nouvel ethos expressif
16Vu la possibilité d’entamer une “face to face communication” sans médiation du journaliste Facebook offre la proximité, l’interactivité, le temps réel. En plus, l’image –essence du Facebook et du tournant visuel - accroche et approche l’acteur politique de ses fans, votants, etc. Signe iconique par excellence la photo crée l’identité en ligne qui accompagne les messages textuels. Elle donne vie aux personnes et à Facebook.
17Défini par Patrick Charaudeau (2005) comme l’image du locuteur résultant du dévoilement des traits personnels de caractère, des déclarations verbales, etc., l’éthos politique rencontre l’imaginaire socio discursif de l’auditoire, peuplé par des croyances, des représentations collectives, des stéréotypes.
18 A partir du concept d’ethos discursif (Maingueneau 2014), Louise Charbonnier et Jean-Claude Soulages (2009) proposent le concept d’éthos iconique en tant qu’image de soi construite à travers des représentations et celui d’éthos pré-iconique qui concerne l’« image préalable édifiée au fil des représentations » (2009 : 48). Ce que le candidat/la candidate vise par la diffusion d’images officielles c’est de : «chercher à confirmer ou à rectifier cet ethos pré-iconique, cette représentation véhiculée préalablement par des images » (id. :48).
19L’hypertrophie des images, doublée par les techniques caractéristiques du Web a ouvert l’éthos à la multimodalité qui caractérise Internet : « […] ce que dit le locuteur, c’est alors aussi ce qu’il donne à voir, ce sont aussi les dispositifs techniques qu’il met en place ou dans lesquels il fait le choix de s’inscrire. L’éthos permet une connexion globale de ces phénomènes » (Couleau, Deseilligny et Hellegouarc’h, 2016).
20.
Identité politique féminine dans le contexte roumain
21La faible représentation politique des femmes est une caractéristique du système politique roumain postcommuniste nommé par les actrices politiques elles-mêmes ou par les chercheures « la terrible phallocratie roumaine » ou « l’asymétrie de genre de la démocratie roumaine » (Popescu, 2004 : 298).
22Le passage du système de représentation imposé, à savoir du pourcentage de 30 % de femmes imposé par le Parti communiste roumain avant 1989, au système libre après la révolution anticommuniste de décembre 1989 révèle et reflète la mentalité des Roumains concernant les rôles de genre, les relations de pouvoir et les perceptions acceptées de la féminité et de la masculinité. De plus, de 30 % de représentativité féminine à l’échelon central sous le régime communiste, on est arrivé à 3,9 % après la chute du régime communiste, à 11,5 % aux élections parlementaires de 2012 et à 19 % en 2016.
23Après plus d’un quart de siècle de régime démocratique basé sur la séparation des pouvoirs et l’égalité des citoyens, la politique en Roumanie est toujours une profession déclinée au masculin : les gouvernements sont quasi masculins, tous les partis parlementaires (à deux exceptions, le Parti National Libéral et le Parti Conservateur) ont eu des leaders hommes.
24Le postcommunisme roumain peut être divisé du point de vue de l’évolution du leadership politique féminin en trois périodes distinctes : i) l’invisibilité postcommuniste imposée ou auto-assumée ; ii) la préparation de l’entrée en Europe (l’adoption top-down de Bruxelles à Bucarest des réglementations européennes, y compris la promotion de l’égalité de genre) ; iii) la pénétration dans des bastions masculins (partis, gouvernement, Parlement). (Roventa-Frumusani & Irimescu 2018).
25Dans la première décennie postcommuniste, les femmes sont peu présentes au Parlement, participent au sein des partis dans des « ghettos roses » (les organisations des femmes au sein du parti, résidus de la structure communiste) et sont plutôt actives à l’échelon administratif local. En fait, on a mis en évidence une corrélation stable : moins l’échelon est important, plus les femmes sont nombreuses (Paul Vass, 2011)..
26A partir de 2014, des métamorphoses significatives se produisent : les femmes sont plus nombreuses au Parlement national et européen, deux femmes entrent dans la course électorale pour la présidence du pays et obtiennent des résultats supérieurs aux hommes, même si au deuxième tour la lutte continue entre deux hommes.
27Pendant les 20 premières années postcommunistes, les femmes ne dépassent pas 10 % des membres du Parlement, ne participent que de façon périphérique à la vie des partis, sous le chapeau des « organisations des femmes », etc. Pour certains chercheurs (Monica Pavel,2015 inter al.) l’activité des femmes dans le Parlement reflète leur présence (lois en faveur des jeunes mères, loi pour l’égalité de chances et contre la violence etc), alors que pour Ionela Bălută (2010) le législatif roumain reste un Parlement de « genre masculin » tant dans sa composition que dans son activité. Toutefois, à la suite des dernières élections du 11 décembre 2016, on trouve dans la composition de l’actuel Parlement la meilleure représentation des femmes de toute la période postcommuniste.
Methodologie et corpus
28En partant de l’hypothèse l’ethos féminin prédiscursif traditionnel dans l’espace public roumain postcommuniste, on a pressenti l’hypertrophie de l’activité professionnelle, vu que des recherches antérieures avaient confirmé le modèle du boy’s game joué par les femmes pour gagner en politique.
29Afin de combler un manque dans la recherche (plus attentive aux discours qu’au visuel),on a réalisé une analyse de contenu des photos postées par des femmes candidates aux élections locales de juin 2016 pendant la campagne électorale pour la mairie de Bucarest et les mairies d’arrondissement.
30Nous avons d’abord observé les différents réseaux sociaux des candidates (Facebook, essentiellement, mais aussi blogues, YouTube), puis les sites Web des candidates, des partis et des instances qui ont surveillé les élections et l’utilisation des réseaux sociaux et, enfin, nous avons pris connaissance des études consacrées aux élections. Ainsi, en partant de l’hypothèse du déficit de légitimité des femmes dans l’espace public roumain postcommuniste entretenu par l’héritage du passé communiste, nous nous sommes proposées de voir comment les femmes roumaines décident d’attaquer le bastion masculin de la politique dans l’espace public en ligne.
31Si l’analyse des discours politiques des acteurs et des actrices politiques et de leurs représentations médiatiques a fait l’objet de nombreuses recherches, les recherches portant sur la représentation visuelle sont beaucoup moins fréquentes (Bard, op. cit. ; Săvulescu et Viţelar, 2012 ; Cmeciu, 2014 ; Cmeciu et Pătruț, 2014 ; Rovența-Frumușani, 2015). Afin de pallier ce manque, nous nous proposons de voir comment les femmes politiques roumaines choisissent de se mettre en visibilité par rapport aux modèles féminins et masculins préexistants (adoptés ou sabotés). Les dimensions de l’analyse sémiovisuelle viseront i) le niveau dominant de la mise en visibilité (public ou personnel) ainsi que ii) l’accent mis sur la personnalité de la candidate ou sur les autres (acteurs politiques, membres de la famille ou citoyens ordinaires). La mise en visibilité sépare l’espace public de l’espace privé et pour ce qui est de l’espace public les institutions publiques (bureaux parlementaires, mairies, sièges de parti) des rues, des jardins. De plus, en ce qui concerne le choix de mise en visibilité, on distingue la persona seule de l’actrice politique dans des groupes de collègues, des foules ou avec les membres de la famille.
32Nous avons collecté toutes les images postées sur le page Facebook officielle des candidates durant la periode de campagne (6 May - 4 June 2016) ainsi que le jour des elections(5 June 2016) et nous nous sommes posées les questions de recherche suivantes :
33Q1-Pour légitimer leur présence les candidates choisissent-elles de souligner uniquement leur vie professionnelle ou réalisent un équilibre entre le travail et la vie de famille?
34Q2- Comment est-ce qu’elles choisissent d’apparaître (seules, avec des collègues, avec des membres de la famille)?
35Gabriela Firea candidate PSD
36Nous avons analysé le Facebook public de Gabriela Firea ex journaliste,MP et représentante du Parti Social Démocrate durant la campagne électorale pour le fauteuil de maire de Bucarest.
37Le nombre total de photographies -110- a été plus que le double par rapport à un mois “normal” sur le Facebook d’un acteur politique. En outre on a remarqué que le nombre de photos et posts s’accroît si la personnalité jouit d’une plus grande visibilité.
38Du total de photos 85% représentent des photos professionnelles (rencontres politiques, syndicales, avec les ONG et citoyens, visites d’hopitaux) et 15% photos de famille ou reliées aux cérémonies de la vie privée (noces, baptêmes).
Catégorie d’images |
Nombre de photos (110) |
Photos de groupe (bains de foules) |
N=30;27,5%% |
Photos individuelles professionnelles- image emblème (slogan+image) |
N=16;14,6% |
Photos professionnelles avec les collègues |
N=32;29,3%% |
Photos avec la famille |
N=14;12,8% |
Photos femmes dyades |
N=5;4,58% |
Photos dyades mixtes |
N=3;2,75% |
Nouveaux emblèmes |
N=10;9,1% |
Photo-emblème
39Il est intéressant de noter que les femmes engagent des dialogues avec toutes les catégories d’électeurs- infra) en privilégiant toutefois les dyades féminines.
Bains de foule- dialogue avec les électeurs
Dyades féminines
Image professionnelle symbolique
Image professionnelle de campagne (entourée des leaders du parti)
Vie privée (vie de famille, célébrations ,etc.)
40Si dans les rencontres électorales (bains de foule) les femmes cherchent les représentantes de leur sexe (supra), dans les réunions professionnelles surtout en campagne électorale les femmes promeuvent des dyades mixtes avec des leaders masculins du parti, susceptibles de fournir le soutien par l’argument du type magister dixit.
41Cristina Pocora- candidate du Parti Naional Libéral
42Une autre candidate que l‘on a analysée est Cristina Pocora (37 ans), membre du PNL (Parti National Libéral) depuis 2001, députée dans le Parlement de la Roumanie dans les législatures 2008-2012 et 2012-2016 Elle a connu une ascension politique assez difficile au sein du parti, ayant occupé des positions de leadership seulement à l’échelon local en tant que présidente du PNL Ialomița et ayant été seulement porte-parole du parti sans réussir à obtenir la fonction de vice-présidente.
43.
Catégories d’images |
Nombre de photos (66) |
Photos individuelles emblèmes |
N=23;33,8% |
Photos de groupe(bains de foule |
N=9;13,2% |
Photos professionnelles (avec des collègues) |
N=10;14,7% |
Photos de famille |
N=6;8,8% |
Photos d’ objets |
N=4;5,8% |
Photos argument |
N=4;5,8% |
Nouveaux emblèmes |
N=12:17,6% |
44Par rapport à sa collègue représentante du Parti Social Démocrate (PSD) Gabriela Firea qui hypertrophie le visuel collectif, la jeune candidate du Parti National Liberal favorise les photos individuelles en contexte professionnel, mais utilise aussi l’argument visuel magister dixit (l’appui du président Klaus Iohannis). Il semble que l’opposition individuel vs collectif est moins une conséquence du genre que l’effet de l’idéologie (libéralisme et individualisme vs. socialisme et collectivisme).
Photo-emblème (surenchérissement de l’individualité)
Légitimité hétéro-attribuée.L’appui du président du pays
Conclusions
45Par rapport à d’autres analyses de l’ethos iconique (Charbonnier et Soulages 2009)qui ont dichotomisé féminin vs masculin comme opposition individu solitaire vs groupe (id. : 55-62), nos images montrent au contraire la domination de l’appel aux groupes d’hommes dans le cas des femmes et la propension pour la posture solitaire (en public ou en privé) pour le candidat homme.
46Dans notre recherche le côté non professionnel de la vie est bémolisée par les femmes candidates (4% pour Gabriela Firea et 5% pour Cristina Pocora). Si dans d’autres recherches (Savulescu & Vitelar 2012 par exemple) l’absence de la vie privée des femmes sur Facebook a été considérée comme une exploitation non adéquate des réseaux sociaux, nous considérons que le modèle légitime pour l’espace public roumain est à l’heure actuelle le modèle mâle susceptible de conférer la légitimité et l’acceptation dans une position de leadership des femmes.
47Si dans des situations exceptionnelles (la course à la présidence) les femmes à la différence des hommes ne s’ancrent que dans le professionnel, dans une bataille politique plus “normâle” (les locales, les parlementaires) apparaissent des tentatives et réussites de défigement des stéréotypes (la femme leader assumant simultanément le leadership, la solidarité de genre et une identité de genre stratégique).
48Dans la tension réputée insoluble entre représentation du féminin et représentation du pouvoir (Coulomb-Gully et Rennes, 2010), le recours au modèle masculin induit la connotation de légitimité et de réussite potentielle, car plus un rôle politique est politiquement important et exposé, plus les contraintes à respecter se révèlent étroites et leur violation politiquement risquée (Braud, 2010 cité dans Paoletti, 2013).
49C’est la solution adoptée pour l’instant par bon nombre de femmes politiques roumaines, avec des modulations induites par l’idéologie du parti et la persona de la candidate. Ce qui est intéressant et mérite une étude approfondie c’est qu’au niveau visuel les femmes tentent de reproduire le modèle masculin, alors que dans les commentaires sur les réseaux sociaux le public les réduit à leur identité de genre par l’usage de formules d’adresse spécifiques, actes de langage différents, etc.
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